dimanche 30 avril 2023

Station de pompage de Cendere et Funiculaire F3

Des articles précédents font apparaitre qu’Istanbul porte de nombreux vestiges concernant l’acheminement et la distribution de l’eau au cours des siècles, citernes, fontaines, hammams, tours de niveaux
Dans un quartier récemment construit autour du nouveau stade de Galatasaray baptisé Nef et désormais incontournable dans le paysage urbain avec ses hautes tours accueillant des bureaux de sociétés internationales et des banques, de luxueuses résidences et un centre commercial ultra moderne, se cache un vestige inattendu : le bâtiment industriel historique d’une station de pompage d’eau de source, rescapé du tout début du 20e siècle et en bon état de conservation, à l’exception de sa cheminée en brique de 33 mètres disparue. Il vient d’inaugurer son affectation en centre culturel et artistique, Cendere Sanat


Il porte sur son fronton le monogramme du sultan Abdulhamid II (règne: 1842-1909)


A partir de 1903, la station a pompé, à l’aide de machines à vapeur, l'eau collectée des sources alentours pour la distribuer par un réseau de vingt bassins, de châteaux d’eau et de conduits en fonte de 22,5 cm de diamètre vers différents quartiers de la ville sur une distance de trois kilomètres pour certaines branches de distribution.  Mecidiyeköy, Harbiye et Maçka, Beyoğlu et Kasımpaşa, Dikilitaş, le palais de Yıldız, Beşiktaş et Ortaköy. 1200 m 3 d'eau étaient ainsi livrés quotidiennement à la ville.
La réhabilitation du bâtiment fut envisagée en 2001 et des travaux de préservation et restauration ont été effectués de 2006 à 2009 dans le but d’y accueillir un musée des civilisations de l'eau d'Istanbul à la demande de la Compagnie des Eaux (İSKİ). Projet resté dans les cartons.
La Municipalité Métropolitaine d'Istanbul (IBB) s’est emparée récemment de l’opportunité de finaliser les travaux et de valoriser ce patrimoine industriel en inaugurant Cendere Sanat le 24 octobre 2022. Espace de culture et de mémoire mais aussi de détente.



Le grand hall et les petites salles adjacentes sont ouverts aux expositions temporaires d’œuvres d’Art Contemporain. La toute première qui se termine aujourd’hui a pour titre Témoin du Flux.



Tableaux, sculptures, vidéos et installations d’un collectif d’artistes proposent une réflexion sur les courants du quotidien qui emportent les individus dans les flux de l’existence, flux d'informations, flux des souvenirs, flux du temps, flux des modes et de la consommation, flux de circulation, flux d'énergie ou flux de nos responsabilités.
Posons-nous dans le jardin pour prendre conscience de la puissance du courant qui façonne la société et tentons d’y échapper quelques instants, tel ce platane d’Orient bien enraciné, impassible témoin de tant d’événements et de flux en tous genres ! 




Il a 391 ans, 207 cm de circonférence, et 23 m de hauteur. Il a été planté au cours du règne du sultan Murat IV. Insolite et bienfaisante apparition dans ce quartier emblématique de l’agitation contemporaine.


Et pour donner une suite à mon article précédent ayant pour sujet les funiculaires d’Istanbul, l’accès à Cendere Sanat est possible par le funiculaire F3, en service depuis le 29 octobre 2017 et en correspondance avec la M2, au niveau de la station Seyrantepe. A noter que cette dernière est en dérivation au niveau de Sanayi Mahallesi, station de la ligne M2. L’option funiculaire est fortement conseillée pour ne pas se perdre dans les méandres des routes et des ponts de ce quartier très bétonné.


Contrairement aux trois autres funiculaires d’Istanbul, le F3 (Seyrantepe – Vadistanbul) est aérien. Répertorié par le réseau de transport stambouliote (IETT), il est cependant exploité par une société privée qui le nomme Vadistanbul Havaray.


L’avantage des funiculaires souterrains c’est leur absence de nuisances sur le paysage urbain et les édifices historiques mais ici les motivations et objectifs étaient bien différents. L’efficacité et la rapidité de mise en service furent les priorités avec en prime une vue panoramique sur le gigantesque stade et les constructions de Vadistanbul, quartier récemment sorti de terre comme un champignon.
La ligne F5 (İTÜ - İstinye) est en projet.
  

mardi 25 avril 2023

Funiculaires d’Istanbul

Un rayon de soleil aguicheur provoque une irrésistible envie de profiter du clapotis des eaux du Bosphore ?
Il est temps de tester son accès par funiculaire !



La ligne F4, entre l'Université de Boğaziçi/Hisarüstü et Aşiyan sur la rive européenne, a été mise en service le 28 octobre 2022. Elle est en correspondance avec la ligne M6 (Levent - Boğaziçi Üniversitesi / Hisarüstü), la plus courte ligne du réseau métropolitain d’Istanbul, elle-même en correspondance avec la ligne M2.
 
D’autres l’ont précédée dont la ligne F1 (Taksim – Kabataş) reliant la place Taksim et l’embarcadère de Kabataş depuis juin 2006. Très fréquentée par les usagers des Vapur, navettes reliant les deux rives du Bosphore en de nombreux points et même les îles aux Princes.
Tout comme le tramway de la rue Istiklal, la ligne F2 (Beyoğlu – Karaköy) est emblématique des trajets nostalgiques d’Istanbul. Ce moyen de transport souterrain est l’un des plus anciens au monde. Rescapé d’une autre époque, il est plus connu sous le nom de Tünel. Conçu en 1867 à l’initiative d’un ingénieur français, Eugène- Henri Gavand, pour relier les quartiers nommés alors Pera et Galata, ce funiculaire fut mis en service le 18 janvier 1875. Les deux machines à vapeur qui l’actionnaient on été remplacées par un système électrique en 1971. 



A l’occasion de cette modernisation les voitures d’origine en bois ont été remplacées par des rames sur pneumatiques issues de la RATP. Celles actuellement en circulation date de 2007.
 
Mais revenons au tout dernier funiculaire récemment inauguré. Les stations ni les couloirs n’ont bénéficié d’une décoration d’exception comme celle de la station Yenikapı, mais sur le quai d’Aşıyan une fresque nous informe des éléments culturels ou historiques qui nous attendent à l’extérieur... 


La forteresse médiévale Rumeli Hisar, construite pour Mehmet II en vue d'assiéger Constantinople, la maison-musée du poète Tevfik Fikret (1867-1915) dans laquelle il a passé les dernières années de sa vie, le cimetière  Orhan Veli (1914-1950) est enterré...
Quant au couloir de sortie, il accueille une exposition temporaire inattendue. La Municipalité Métropolitaine d'Istanbul (IBB) a réuni dans huit vitrines des collections relatant les 108 ans d'histoire des théâtres municipaux de la ville. 




On y découvre des affiches, des accessoires et des costumes de scène de pièces à succès dont : 
C’est une légende Sarah Bernhardt de John Murrell, Cyrano De Bergerac, Lukus Hayat, Cem Sultan, Roméo et Juliette, Monsieur Butterfly de David Henry Hwang (rocambolesque histoire d’amour entre Bernard Boursicot, un diplomate français et Shi Pei Pu, personnage au genre indéterminé, sur fond d’espionnage).
Et puis un ascenseur nous propulse à la surface pour un grand bol d’air. On est venu pour ça mais l’effet produit reste saisissant.


La navette pour la côte asiatique n’est jamais loin. 


Embarquement immédiat pour un petit tour en Asie. Deux destinations possibles Üsküdar ou Küçüksu.


Le pavillon de Küçüksu, construction néo baroque du 19e siècle à l’emplacement d’un pavillon de chasse en bois, est accessible aux visites sauf le lundi. 


La fontaine fut construite pour la sultane Mihrişah, mère du Sultan Selim III (règne : 1789/1807).
A proximité, un parc fera le bonheur des enfants et les terrasses sont accueillantes.


 
Au retour, tandis que d’intrépides canots bravent les flots non loin de la côte, la navette croise le tanker “Vladimir Tikhonov”, allégé de sa cargaison. Le pétrole russe semble avoir trouvé les astuces permettant de contourner les sanctions.



     
La rame de la ligne M6 porte encore les traces du 23 avril, jour férié célébrant la souveraineté nationale et les enfants. Des supports pédagogiques d’apprentissage de la lecture, comme des guirlandes, rappellent qu’il n’est jamais trop tôt pour respecter les règles de civilité dans les transports en commun… et en toutes circonstances rester dans le sillage d'Atatürk!


Il nous reste à tester bientôt la ligne F3 (Seyrantepe – Vadistanbul) en service depuis le 29 octobre 2017 et en correspondance avec la M2, au niveau de la station Seyrantepe. A noter que cette dernière est en dérivation au niveau de Sanayi Mahallesi, station de la ligne M2.
 

samedi 22 avril 2023

Citerne byzantine au parc de Gülhane

Derniers jours pour admirer les tulipes dans le parc de Gülhane avant la fanaison. Si les pétales sont déjà trop flétris, on appréciera une balade sous les grands platanes d’Orient qui bordent l’allée centrale ou une visite au musée de l’Histoire des Sciences et Technologies de l’Islam.


Mais depuis début avril une surprise attend les promeneurs. Une autre citerne byzantine vient d’être ajoutée au patrimoine culturel de la péninsule historique.


Petit trésor resté enfoui pendant de nombreux siècles, ce n’est qu’en 1913 que sa présence fut décelée, quand il fut décidé d’ouvrir au public les jardins contigus au palais de Topkapi. Ce dernier n’accueillait plus le sultan ni sa cour depuis longtemps, préférant la modernité du palais de Dolmabahçe.
Les premiers coups de pelle pour réaménager les lieux révélèrent la présence de vestiges ensevelis. Un historien d’art Karl Wulzinger et un assyriologue Eckard Unger reçurent du musée impérial l’autorisation d’entreprendre des fouilles et de publier les résultats de leurs travaux au sujet de cette citerne probablement construite au 7e siècle. 



Avec ses trois rangées de quatre colonnes elle peut nous sembler bien modeste en comparaison de la citerne de Théodose qui n’est pourtant pas la plus vaste.



Au milieu du 20e siècle, on installa des aquariums dans les parties déblayées, puis l’édifice resta à l’abandon jusqu'à la restructuration du parc en 2004.



Il a fallu encore presque vingt ans pour que la citerne retrouve son aspect d’origine. Les ajouts ultérieurs à sa construction ont été retirés à l’exception de la fontaine de style baroque portant le monogramme du dernier sultan ottoman Mehmet Reşad (règne : 1909-1918).
Les travaux de conservation et restauration entrepris ces dernières années par la Municipalité Métropolitaine d’Istanbul ont permis de sortir de l’oubli cet héritage et d’y accueillir divers événements culturels ou artistiques.


En ce moment et jusqu’au 20 juin 2023 une jeune artiste, Buşra Kölmük, y expose ses dernières créations. Ses sculptures métalliques s’y dévoilent entre ombre et lumière.





« On ne peut voir la lumière sans l'ombre, on ne peut percevoir le silence sans le bruit, on ne peut atteindre la sagesse sans la folie. » Carl Gustav Jung
 
  

mercredi 19 avril 2023

Métamorphose de la citerne de Théodose


L’eau est un bien précieux qu’il ne faut pas gaspiller. Il n’est pas inutile de le rappeler. Istanbul en porte les traces millénaires à travers une architecture hydraulique omniprésente dans le paysage urbain, à commencer par l’aqueduc de Valens, vestige romain du 4e siècle, dressant sa silhouette caractéristique en haut du boulevard Atatürk.
Les monumentales fontaines ottomanes de marbres finement sculptés de rinceaux et de fleurs, gravés de poèmes calligraphiés peuvent à elles seules faire le sujet d’une étude fournie et parfois même d’expositions.
Les hammams, pour certains encore en activité, sont de véritables joyaux réalisés par les plus grands architectes et des restaurations récentes ont révélé leurs splendeurs.
Les curieuses tours disséminées dans de nombreux quartiers participaient au contrôle des débits de distribution. Ce sont les tours de niveau d’eau.
De la période ottomane également un réservoir du 18e siècle, aujourd’hui désaffecté fait office de galerie d’exposition. Le kiosque Maxem attenant assurait la régulation du débit et de la distribution d’eau dans tout le quartier de Taksim.
De la période byzantine une monumentale citerne en surface construite au 12e siècle, la citerne Theotokos Pantokrator connue sous le nom de Zeyrek sarnıcı, montre sa structure externe sur le boulevard Atatürk, mais la plupart se révèlent comme des trésors cachés dans le sous-sol d’Istanbul.
La plus visitée et la plus vaste est la citerne basilique (Yerebatan Sarnıcı), construite au 6e siècle, à l’emplacement d’une basilique civile détruite par un incendie lors de la révolte de Nika en 532 sous le règne de Justinien.
La plus ancienne retrouvée est datée du 4e siècle, la citerne de Philoxenus (Binbirdirek Sarnıcı)
Récemment révélée aux visiteurs, la citerne de Théodose (Şerefiye Sarnıcı), de dimensions plus modestes, est située entre la place Sultanahmet et celle de Çemberlitaş, avenue Piyer Loti. D’après ses caractéristiques architecturales, on suppose qu’elle a été construite entre 428 et 443 sous le règne de Théodose II pour compléter l’alimentation en eau du Grand Palais, du Nymphée et des Bains de Zeuksippos (à l’emplacement actuel du hammam de Roxelane).
Renommée d'après le quartier où elle se trouvait pendant la période ottomane, elle fut découverte à l’occasion de la construction du manoir Arif Pacha à la fin des années 1800 qui fut utilisé comme bâtiment annexe de la municipalité d'Istanbul entre 1930 et 1984, puis de la municipalité d'Eminönü. La citerne fut conservée en l’état et il était possible d’apercevoir, dans la pénombre, ses colonnes déjà cerclées d’anneaux d’acier.


Cette porte y donnait accès au rez-de-chaussée de l’édifice, mais en 2009 on pouvait constater que les visites n’étaient plus autorisées.
En 2010, le bâtiment en surface fut démoli avec la promesse de conserver la structure historique de la citerne qui se trouvait dessous et de la restaurer. C’est chose faite depuis 2018.
L’aspect des lieux a bien changé. 


L’entrée discrète donnant le sentiment d’avoir le privilège de pénétrer dans un lieu secret a été recouverte d’une structure de verre et d’acier un tantinet prétentieuse. Destinée à attirer l’attention du plus grand nombre, une mise en scène muséale jouant sur la transparence confirme qu’ici se trouve une curiosité relevant d'un patrimoine culturel d'exception.


La mise en lumière des 45 voûtes de briques rouges soutenues par quatre rangées de huit
​​colonnes de marbre toutes surmontées de chapiteaux corinthiens d’origine sculptés de feuilles d’acanthe, est stupéfiante. Elle augmente de façon spectaculaire la perception de l'espace.



Elle est complétée par une séance de mapping vidéo, autrement dit une projection d’images utilisant les volumes existants comme un écran.
C’est ainsi que la citerne s’anime pour offrir une expérience immersive dans les siècles qu’elle a traversés ; Des mosaïques byzantines aux carreaux de faïence ottomans jusqu’au portrait d’Atatürk, symbole de l’avènement de la République.



Cette technologie a évidemment son revers. Difficile d’occulter les installations disgracieuses de cet outil numérique de sons et lumières.
La vieille dame de 1600 ans ne semble pas s’en offusquer et continue de refléter dans les quelques centimètres d’eau qui lui restent le témoignage de l’importance culturelle de l’eau à Istanbul.



Elle accueille aussi ponctuellement des expositions et des concerts.
L’entrée est désormais payante, après une période de gratuité suivant son inauguration. Le tarif est assez dissuasif pour les touristes étrangers (environ 15€). Pour ceux munis  d'un permis de séjour, le tarif est celui réservé aux visiteurs turcs, plus abordable, avec le privilège de la gratuité pour les plus de 65 ans.