lundi 25 novembre 2019

Des cheminées industrielles à Paris

Lieu de résidence de la noblesse parisienne du 13e au 18e siècle, le quartier du Marais a conservé de nombreux hôtels particuliers, témoignages architecturaux de cette période et centre de curiosité touristique depuis plusieurs décennies. Ainsi l’hôtel d'Albret au 31, rue des Francs-Bourgeois.


La cheminée de brique de 35m de hauteur aperçue depuis le jardin des Rosiers – Joseph-Migneret, semble bien incongrue dans ce paysage. 


Mais l’histoire de Paris n’est pas un long fleuve tranquille.
Après la Révolution les luxueuses résidences sont à l’abandon et très vite occupées par des marchands, des artisans. Au 19e siècle, l’industrialisation est en marche et investit la capitale. Les populations ouvrières sont logées près des usines et des ateliers. Le quartier n’est que très peu touché par la vague haussmannienne. Les façades du Marais se délabrent et dans la première moitié du 20e siècle l’insalubrité de certains îlots est dénoncée. On envisage même la démolition à grande échelle.
Des programmes de sauvegarde et de préservation du quartier sont entrepris à partir de 1965 sur l’initiative d’André Malraux. Le paysage urbain se transforme pour mettre en valeur les lieux historiques et les lieux de mémoire en relation avec les communautés y ayant vécu. Des musées, des établissements culturels s’installent dans les édifices à l’architecture remarquable, tandis que les immeubles d’habitations sont rénovés ou réhabilités. Mais les nouveaux loyers sont excessifs pour les anciens locataires, ouvriers et artisans, qui sont donc obligés de partir en périphérie.
De ce passé industriel, de cette population laborieuse, un vestige a été conservé. Si la haute cheminée en est la partie la plus emblématique, la bâtisse construite en 1867 pour la Société des Cendres est toujours visible au 39, rue des Francs-Bourgeois.


Jusqu’en 2002 on y traitait les déchets provenant des ateliers de bijoutiers, orfèvres et prothésistes pour en extraire, par un processus complexe, les particules précieuses. Cette société fonctionnait sous la forme d’une coopérative, les clients étant aussi les actionnaires. Une reconversion de son activité se continue ailleurs mais elle est restée propriétaire des lieux. Elle a posé comme condition à la location la mise en valeur des traces de son histoire. 
Depuis 2014, derrière la belle façade restaurée portant toujours en lettres dorées sur son fronton « fonderie d’or et d’argent traitement des cendres essais et analyses », sous la haute verrière et les charpentes métalliques, les adeptes du shopping se pressent et se bousculent pour trouver la pièce manquante à leur garde-robe. 



Combien d’entre eux jettent-ils un œil désabusé sur la cheminée de briques rouges qu’ils prennent pour un simple décor accrocheur ?






Combien ont la curiosité de descendre au sous-sol de la boutique pour découvrir quelques pièces de ce patrimoine industriel exposées derrière les vitrines ?
Authentiques meules en fonte, mortiers, tamis, pilons, établis d’atelier et autres accessoires rescapés, participent ici à l’image de la marque... Comme une mise en scène pour signifier le légendaire respect nippon?

Il existe une autre cheminée dans un quartier mitoyen, plus reconnu comme lieu traditionnel d’activités industrieuses. Invisible depuis la rue du Faubourg Saint-Antoine, elle se dresse au fond de la cour des Bourguignons dont la dénomination remonte pour le moins au 17e siècle. L’entrée se situe au No 74.




Entre 1862 et 1868 le négociant en bois Charles-Auguste Hollande, fournisseur des ébénistes du quartier, fait aménager les lieux. Deux longs bâtiments dotés de grandes baies vitrées sont construits pour y accueillir des ateliers de menuiserie dont la manufacture de meubles Krieger. Une machine à vapeur surmontée d’une cheminée en brique de 32 m prend place au rez-de-chaussée.
Plus de 500 ouvriers et artisans s’activaient dans ces locaux, dessinateurs, sculpteurs, ébénistes, et tapissiers dont la réputation a franchi les frontières pendant plusieurs décennies comme en témoigne le panneau sous le porche à l’élégante architecture.



La cour entièrement rénovée accueille aujourd’hui des entreprises, des agences artistiques. Elle est aussi dénommée le "Lieu du Design" bien que l’organisme homonyme s’y étant installé en 2009 l’ait quitté en 2014 pour le 19e arrondissement. (Créé par la Région Île-de-France, le Lieu du Design a pour mission d’accompagner les entreprises franciliennes dans leur démarche d’innovation par le design et de soutenir la profession de designer.)

La rue du Faubourg Saint Antoine a bien changé de visage depuis l’inauguration de l’Opéra Bastille en 1989 et les programmes de rénovation et de réhabilitation qui ont suivi. Ce quartier populaire a subi en parallèle un processus de conquête immobilière par les classes moyennes et supérieures. Mais il cache encore derrière ses portes cochères ou bien en évidence sur ses façades d’autres vestiges de son passé industriel et artisanal, sujet d'autres articles


jeudi 21 novembre 2019

Jardin secret à partager au cœur du Marais


Bars et cafés, boutiques branchées, galeries d’art, la rue des Rosiers aligne aussi la plus grande concurrence en matière de falafels, spécialité culinaire moyen-orientale. Mais c’est en allant chercher une petite boite de chocolat au No 2 de cette rue piétonne que je me suis arrêtée devant un portail (entre le No 8 et le No 10) captant mon attention malgré son apparente banalité.


Il ouvre sur un discret jardin, bien moins fréquenté que celui de la place des Vosges. C’est le jardin des Rosiers – Joseph-Migneret, nommé ainsi en hommage au directeur de l’école des Hospitalières-Saint-Gervais qui participa activement au sauvetage de plusieurs enfants juifs du quartier pendant l'Occupation et fut reconnu en 1990 comme Juste des Nations.


Les vestiges de l'une des tourelles de l'enceinte de Philippe Auguste (12/13e siècle) semblent en protéger l’accès. 


Le passage franchi on longe un mur masqué par quelques arbres fruitiers en espaliers pour découvrir une belle surface limitée par la façade arrière de l'hôtel d'Albret (construction fin 16e siècle), siège actuel de la Direction des affaires culturelles de la ville de Paris. 


Au pied des grandes fenêtres, les riverains ont le privilège de se partager une petite parcelle pour faire pousser quelques légumineuses. Pour le moment la pelouse est en repos hivernal fermée par un grillage en attendant le retour du printemps.



Jouxtant l'hôtel Barbes, un passage avec terrasse ombragée invite à la méditation devant un curieux figuier rampant.


Il s’ouvre vers un autre rectangle de pelouse accessible et agrémentée de quelques installations ludiques pour les petits. Les bouleaux colorent encore l’espace de teintes automnales.


A l'abri d'un rideau de cannes de Provence on distingue l’arrière de l'hôtel de Coulanges où vécut au 17e siècle la marquise de Sévigné (avant son mariage avec le marquis). Il était occupé ces dernières années par l'association "Maison de l’Europe", qui a déménagé. L’entrée se trouve rue des Francs-Bourgeois et l'édifice est actuellement en pleine rénovation pour y accueillir au printemps 2020 un espace dédié à la création et à la mode. 



Depuis le jardin on aperçoit aussi la haute cheminée d’un bâtiment industriel du 19e siècle occupé par la Société des Cendres qui traitait les rognures, limailles et balayures des ateliers de bijoutiers et de prothésistes afin d’en récupérer des particules de métal précieux. Au 39, rue des Francs-Bourgeois une succursale de la marque japonaise de prêt à porter y est installée aujourd’hui avec pour décor intérieur la cheminée et la verrière de l'ancienne fonderie.


Réunion de plusieurs jardins privés, cet ensemble a été aménagé entre 2007 et 2014. Il est ouvert au public de 8h à 17h15 en cette saison. Même si les températures ne sont pas idéales pour prolonger la pause, l’endroit vaut bien un petit détour !


lundi 18 novembre 2019

Exposition « Nourrir Paris » à la bibliothèque Forney


Le thème de l’exposition de la saison ne m’a pas paru vraiment attractif, peut être parce que trop d’actualité, trop dans les préoccupations obsessionnelles du moment, mais comme j’ai eu l’occasion de voir dans cet élégant cadre médiéval de surprenantes collections (Cuillères, Indigo, Loupot, Jacqueline Duhêmes…) je n’ai pas voulu rester sur une idée préconçue.


Evidemment, il ne faut pas espérer y trouver une dimension poétique ou esthétique. Le sujet proposé par le Comité d'histoire de la Ville de Paris est purement historique, économique, politique, vaguement nostalgique… et un brin écologique.

  
Il évoque par le biais d’affiches, documents divers, photographies, tableaux et quelques objets, l’évolution de l’organisation d’un approvisionnement quotidien de proximité par les maraîchers aux portes de Paris, de l’arrivage de produits régionaux ou étrangers.



De la spécialisation des divers métiers de l’alimentation (boulangers, bouchers, charcutiers, poissonniers auxquels s’ajouteront pâtissiers et chocolatiers) qui a façonné la gastronomie française.
De la centralisation des denrées qui dès le Moyen-âge s’était fixée dans le quartier des Halles jusqu’en 1969. Les forts des Halles, dont la corporation fut créée au 13e siècle est l'une des plus anciennes de la capitale. 


Ils étaient reconnaissables à leur grand chapeau de cuir avec calotte de plomb incorporée pour protéger le crâne, le « coltin » d’où est dérivé le verbe « coltiner », porter un lourd fardeau sur la tête (au sens propre comme au figuré !)  
Des circuits de distribution, petits commerces spécialisés, marchés de quartiers, coopératives ouvrières ou enseignes alimentaires diversifiées (Félix Potin et Julien Damoy au milieu du 19e siècle) dont les techniques de ventes ont préfiguré celles des grandes surfaces actuelles.



Des préoccupations sanitaires.



Des rationnements et même la famine menaçant les Parisiens dans les périodes de crises ou de guerre.


De la diversification des lieux de restauration, tavernes, buffets de gare, « bouillons » avec menus économiques, et restaurants gastronomiques.


Un catalogue de l’exposition bien illustré et gratuit est à disposition des visiteurs. La visite est également gratuite. Une bonne occasion de faire le point sur nos habitudes alimentaires que la situation contemporaine devrait faire évoluer vers des attitudes de consommation plus réfléchies.

La nuit tombe déjà sur Paris mais un éclairage donne une autre vision des façades de l’hôtel de Sens. 


Quelques bacs dans la cour révèlent la possibilité de faire pousser herbes aromatiques et condiments pour une consommation personnelle. Une invitation à cultiver le carré de terre d’un jardin partagé ou de planter quelques graines de persil ou de ciboulette dans les pots en rebord de fenêtre ou sur les balcons.


   
Il est encore temps de s’accorder une flânerie sur les quais de la Seine.





vendredi 15 novembre 2019

Bicentenaire de la naissance de Courbet au Petit Palais


Le musée Courbet à Ornans a célébré l’été dernier le bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet (1819 - 1877).
La collection permanente la plus fournie se trouve évidemment au musée d’Orsay qui réunit une cinquantaine d’œuvres.
Pour en avoir une autre approche, il faut aller en ce moment au Petit Palais qui propose une exposition gratuite de sa collection, plus limitée mais représentative de l’œuvre du peintre qui a ouvert la voie du Réalisme au milieu du 19e siècle.


En bonne place, cette toile : la première à être acceptée par le jury du Salon de Paris en 1844, autoportrait au chien noir (1842).


Une dizaine de tableaux de Courbet côtoient exceptionnellement dans la galerie des grands formats ceux d’un artiste invité, Yan Pei-Ming. A sa demande, l’exposition est intitulée « Corps-à-corps ». 


Le Petit Palais a effectivement passé commande au peintre contemporain franco-chinois, admirateur de Courbet, pour que les œuvres des deux artistes se répondent comme par des effets de miroir dans un accrochage volontairement dense révélant leur proximité et évoquant au passage la disposition des œuvres dans les salons artistiques au 19e siècle.
C’est donc aussi l’occasion de découvrir l’artiste talentueux, né à Shanghai en 1960, venu en France en 1980 et installé depuis de nombreuses années en Bourgogne. Une exposition de ses œuvres a eu lieu récemment au musée des Beaux-arts de Dijon, du 17 mai au 28 octobre 2019.
Invité à résidence trois semaines en avril 2019 dans l'atelier de Courbet à Ornans, Yan Pei-Ming y a peint ces portraits géants que l'on découvre à chacune des extrémités de la galerie: le portrait de Gustave Courbet et son autoportrait au même âge, 58 ans, se confrontent.



Et puis de chaque côté, des toiles monumentales et d’autres plus intimes dévoilent des similitudes dans la volonté de transcrire la réalité sans fard ni artifice, de faire partager des émotions à travers des portraits, des paysages, des images de la nature.

Ainsi Yan Pei-Ming représentant sa mère d’après une ancienne photo retrouvée fait écho au portrait de Juliette Courbet, sœur du peintre, à peu près au même âge.
De même, le portrait de Régis Courbet, père de Gustave, et celui du père de Yan Pei-Ming.


Une toile de Yan Pei-Ming évoque un épisode dramatique de la vie de Courbet : sa responsabilité présumée dans le renversement de la colonne Vendôme, symbole du militarisme impérial, en mai 1871 par les Communards. Entre temps engagé dans les rangs de la Commune, il sera poursuivi en justice, emprisonné quelques mois puis sommé de financer sa reconstruction. Ce qui l’obligera à s’exiler en Suisse et d’y rester jusqu'à sa mort.


« Le Sommeil », œuvre non destinée à être exposée en public mais commanditée, comme l’ «Origine du Monde », par Khalil Bey, diplomate ottoman, pour sa collection privée, est ici associée au couple de crocodiles du tableau « Wild Game: The Way of the Crocodiles ». D’après l’artiste, les poses sinueuses soulignent deux formes différentes de rencontres dans l’animalité. Les poses alanguies de « La sieste pendant la saison des foins », comme les couples de tigres et de loups célèbrent la beauté des corps.


Un ensemble de quatre toiles réunit un portrait de Victor Hugo par Yan Pei-Ming et l’hommage posthume de Courbet à son ami, qui vient de mourir (1865): « Pierre-Joseph Proudhon et ses enfants en 1853 », encadré d’un autre autoportrait de Yan Pei-Ming et du portrait de Gustave Courbet en format plus intimistes. 


Pour mieux s’imprégner de la démarche de cette exposition, une conférence flash d’environ une demi-heure est proposée (gratuitement et sans inscription) tous les vendredis à 12h30 dans la galerie des grands formats.
Exposition « Corps-à-corps » au Petit Palaisdu 12 octobre 2019 au 19 janvier 2020. Fermé le lundi.


Pour découvrir le triptyque monumental de Yan Pei-Ming, «Un enterrement à Shanghai», composé de Montagne céleste, Ma mère et L'adieu, s'inspirant d'«Un enterrement à Ornans», et conçu spécialement pour le musée d'Orsay en célébration du 200e anniversaire de la naissance de Courbet, il faut aller au musée d'Orsay du 1 octobre 2019 au 12 janvier 2020 (entrée 14 €).