lundi 27 avril 2020

Derrière la façade du Palais de la Femme


Faute de pouvoir, avant longtemps, flâner dans les jardins et parcs de la capitale, je continue d’arpenter à dose homéopathique les trottoirs de mon quartier.


Dans le 11e arrondissement de Paris, à l'angle de la rue Faidherbe et de la rue de Charonne, on ne peut ignorer l’imposant édifice en pierres meulières et briques roses, dont les façades sont ornées de parements de briques émaillées soulignant les arcs des ouvertures. 



L’entrée monumentale est surmontée d’un bas-relief évoquant sa destination à caractère social dès sa construction en 1910 par les architectes Auguste Labussière et Célestin Longerey pour la Fondation Groupe des Maisons Ouvrières. L’hôtel populaire pour hommes célibataires ne gardera pas longtemps ses pensionnaires, enrôlés et décimés par la guerre de 14-18. Le bâtiment fera provisoirement office d’hôpital, puis de bureaux pour le Ministère des Pensions.
Le tracé de la rue de Charonne date du 17e siècle et sur cet emplacement un couvent de la congrégation des Dominicaines y était préalablement installé depuis 1641. Vaste domaine, il n’était pas limité par la rue Faidherbe qui ne fut percée qu’en 1888. On dit que Cyrano de Bergerac (1619?-1655) auteur libertin du 17e siècle, qu’une célèbre pièce de théâtre d’Edmond Rostand met en scène, y fut inhumé, sa tante Catherine de Cyrano, en étant à l’époque la prieure. Mais rien n’est jamais venu étayer cette légendaire affirmation.

Inoccupé depuis 1924, le bâtiment retint l’attention d’Albin et Blanche Peyron, commandeurs de l’Armée du Salut. L’organisation militaire hiérarchisée de cette mission religieuse créée en 1878 à Londres par le pasteur William Booth, a été introduite en France dès 1881 par sa fille Kate Booth.
En janvier 1926, une grande campagne de souscription est lancée pour l’acquisition du lieu, dans le cadre des ambitieux projets du couple pour venir en aide aux plus démunis. En juin 1926 le Palais de la Femme est inauguré.


L’établissement dédié depuis cette date à l’accueil des femmes en situation de précarité, est toujours placé sous l’égide de la Fondation de l’Armée du Salut.
La présence des salutistes est aujourd’hui bien plus discrète que dans les réminiscences de mes souvenirs d’enfance associés à l’emblématique chapeau de paille noire et bandeau rouge avec inscription « Armée du Salut », noué sur le côté de la tête avec un gros ruban que portaient encore les éléments féminins jusque dans les années 70. Leur déambulation en uniforme et leur bruyante fanfare retenaient l’attention des passants, les incitant à déposer quelques pièces dans un chaudron, principalement dans la période de Noël. Un moyen de récolter des fonds afin de pouvoir distribuer au moins une soupe chaude à ceux qui en avaient besoin… La méthode a fait par la suite des émules jusque dans les rangs laïcs puisque la précarité est loin d’avoir disparue.

Dans l’Armée du Salut, les femmes ne sont pas exclues des plus hautes fonctions, même celle de général, mais la plupart du temps leur engagement reste dans l’ombre. Ainsi la figure de Blanche Peyron, s’est-elle un peu effacée derrière celle de son compagnon. Pourtant Raoul Gout, lui a consacré une publication en 1942 : Une victorieuse, Blanche Peyron : 1867-1933, Paris, Éditions Altis
Aucun doute que Laetitia Colombani s’en soit inspirée pour écrire son roman Les Victorieuses dont la parution en 2019 a été largement évoquée par les médias.
Après consultation des critiques, je ne suis pas très pressée de le lire. Le personnage fictif de Solène, avocate quarantenaire qui se voit prescrire du bénévolat comme remède à ses souffrances existentielles et se reconvertissant en écrivain public une heure par semaine auprès des pensionnaires du Palais de la Femme, ne m’a pas semblé très convaincant. Quelques extraits du roman montrent une écriture plutôt conventionnelle pour décrire des vies dévastées, en attente de reconstruction.
Les passages consacrés à Blanche Peyron, personnage hautement plus déterminé et combatif, semblent pouvoir cependant répondre à la curiosité d’en savoir plus sur l’histoire du Palais de la Femme.
La version officielle de cette histoire passée et récente est également consultable sur le site web de l’Armée du Salut.
Une restructuration du bâtiment a été effectuée entre 2006 et 2009 sur les cinq niveaux d’habitation et les éléments architecturaux des espaces collectifs réaménagés du rez-de-chaussée ont été restaurés.
Il se compose d’un foyer d’hébergement de 280 places en studios individuels tous équipés d'une salle de bain, et certains d’une cuisine; d’un centre d'hébergement de stabilisation de 50 places (30 femmes seules et 20 mères avec leur enfant).
Une maison relais permet d'accueillir sans limitation de durée, quelques couples et personnes seules (hommes ou femmes) ayant un faible niveau de ressources et dans une situation d'exclusion importante.
Un abri de nuit temporaire a été créé depuis l’hiver 2017-2018 dans l’inter-sol du Palais de la Femme et se compose de 4 chambres équipées de lits superposés pouvant accueillir 40 femmes sans abri en période de grand froid.



Mais ailleurs, d’autres pages web mentionnent des conditions d’accueil irrespectueuses de la vie privée, des conflits engendrés par la promiscuité, des maltraitances institutionnelles, des expulsions arbitraires, des loyers excessifs, un encadrement paternaliste en contradiction avec l’objectif de recherche d’autonomie, un manquement au suivi des dossiers pour accéder à des logements sociaux en dehors de la structure.  Les présences masculines en augmentation sont une source d’inquiétude supplémentaire pour les femmes ayant subit des violences conjugales.
Un collectif de soutien a été mis en place pour relayer les revendications des résidentes.
De quoi nuancer les descriptions élogieuses concernant le fonctionnement de ce centre d’hébergement. On ne peut qu’imaginer, à l’intérieur de ce palais, l’exacerbation des tensions en cette période de confinement !

dimanche 19 avril 2020

Vers un dé-confinement masqué


Même si on ne parle plus que du dé-confinement, il ne sera pas effectif avant plusieurs semaines, et progressif. La date du 11 mai a été avancée pour renvoyer les enfants à l’école afin que leurs parents puissent reprendre leurs activités professionnelles, processus incontournable pour relancer l’économie en berne, on l’a bien compris. En début de semaine, ce projet semblait exclure les « vieux » improductifs priés de rester chez eux encore longtemps pour ne pas saturer les services de réanimation, occuper des lits dont les plus jeunes, infectés par le virus dans les transports ou leurs lieux de travail pourraient avoir besoin.
Après l’annonce, le moral des « vieux » a été passablement ébranlé ! Comme tout le monde, ils ont suivi, depuis le 17 mars, les consignes et participé à l’effort collectif pour réduire la propagation de la pandémie. Sans céder à l’illusion d’un retour à la vie d’avant, ils n’étaient pas prêts à se retrouver relégués dans la catégorie des inutiles, des irresponsables qu’il faut protéger malgré eux. Rester en bonne santé n’est pas suffisant pour se sentir vivant, ni donner du sens à sa vie!
Entre mes quatre murs, j’ai senti poindre un souffle de découragement. Il y avait urgence à le disperser avant qu’il n’envahisse l’espace.
L’antidote : se mettre au défi de fabriquer quelque chose en dehors de ses compétences, quelque chose d’utile si possible. Les travaux d’aiguilles ne sont pas mon passe temps favori, et quoi de plus nécessaire en ce moment que des masques alternatifs, dont l’académie de médecine recommande le port généralisé pour pallier à la pénurie, se protéger et protéger les autres. Le challenge était trouvé.


Mon regard est alors tombé sur un jouet d’une autre époque, qui m'a été offert il y a plusieurs décennies, que j'ai récupéré dans des cartons de l’appartement familial et posé depuis quelque temps sur une étagère en guise d'objet décoratif. Après avoir réuni quelques chutes de tissus, du matériel basique de couture, ne manquaient plus que les élastiques. S’en procurer se révéla mission quasi impossible. Comme la farine, c’est devenu un produit très convoité et donc en rupture de stocks un peu partout ! Maman en avait chez elle quelques reliquats et j’ai trouvé un « jeu de l’élastique », habituel accessoire des cours de récré, dans une boutique de bric à braque du boulevard Voltaire, inexplicablement ouverte.


Trouver un tutoriel pour la réalisation des masques ne présenta aucun problème ! Mais la confection fut un peu laborieuse. La machine à coudre modèle réduit, performante malgré son grand âge, avait ses limites. Les finitions ont été réalisées à la main et malgré le dé, les doigts ont un peu souffert. Le résultat est cependant satisfaisant. Fonctionnel et plutôt confortable. Je l’espère, efficace!  Voici ma production destinée à l’usage personnel et familial : une dizaine d’exemplaires distribués.


Mes travaux de couture vont sans doute s’arrêter la, mais l’objectif de la semaine est atteint.
Entre-temps le sujet du dé-confinement a fait couler beaucoup d’encre et fait projeter beaucoup de postillons. Le projet est tricoté, détricoté, re-tricoté et ce n’est pas fini.  
Pour les occupations des semaines à venir, je choisirai autre chose que le tricot !

Alors que le temps consacré à la lecture pourrait s’étirer sans restriction, les réserves s’épuisent dans l’appartement parisien. Les rayonnages sont loin d’être aussi fournis que ceux d’Istanbul ! Mais dehors, les libraires ont baissé le rideau il y a 5 semaines. 


Celui-ci que je connais bien, a dû être profondément perturbé pour laisser s'échapper une faute d’orthographe, stigmatisant ainsi le responsable de son infortune !


Je retiens cependant sa proposition et envisage de faire appel prochainement à son service de livraison en gage de soutien.
Il n’aurait pourtant pas été plus difficile que dans les magasins d’alimentation, d’y faire respecter les règles de distanciation et les gestes « barrières ». Tragique paradoxe, les nourritures de l’esprit n’ont pas été retenues comme produits de première nécessité ! Il faut donc se rationner en lecture. Une concentration fuyante nous vient en aide, nous contraignant à quitter des yeux un peu trop fréquemment les pages du livre, retardant ainsi le moment de le fermer sur la dernière phrase.


mardi 7 avril 2020

The Show Must Go On... Un hymne au courage


Plusieurs initiatives musicales ont démontré depuis plusieurs semaines que l’impératif "chacun chez-soi", n’empêche en rien de faire des choses ensemble pour se sentir plus fort. J'ai retenu celle-ci: 135 artistes ont partagé leur passion pour offrir un moment d’émotion et de motivation en interprétant le célèbre titre de Queen. Le spectacle doit continuer!


Une stimulation de plus pour faire de cette journée un moment privilégié, riche en délicates attentions, en témoignages émouvants d’amour et d’amitié. 
Confinée en solitaire, mais pas dans la solitude! 
Il y a eu des appels, des messages, des images du lilas d’un jardin à Rungis, de fleurs d’oranger du village de Kargı.  





Et puis, une bougie plantée dans une part de flan parisien, je suis prête pour la connexion.


D'autres bougies seront soufflées à distance…


Le dessin lumineux d’Elvan s'affiche:  


Et son cadeau surprise se fait admirer sous toutes ses facettes après avoir été prestement dépouillé de son emballage. 


Une mangeoire pour les mésanges de Tekirdağ, artistiquement décorée, que j’espère pouvoir suspendre à une branche du sapin au plus vite !





Quant à l'enregistrement de sa contribution musicale à la contrebasse, je n'ai pas réussi à l'insérer ici pour le moment...
Chaleureux remerciements à tous!

Mise à jour du 10 avril:
Victime du ralentissement de la distribution des services postaux, une autre belle surprise m'attendait aujourd'hui dans la boite aux lettres, une enveloppe contenant une aquarelle réalisée par Perine et dédicacée au verso : "symbole de longévité et d'amour, le Ginkgo Biloba".
Un beau cadeau de plus pour tenir bon!


vendredi 3 avril 2020

La maison Boutet, architecture Art déco


En décembre dernier, les grèves de transports avaient en partie limité mes déplacements. Ce fut l’occasion de redécouvrir entre Bastille et Nation, entre numéros pairs et impairs de la rue et une incursion rue de Charonne, des traces du passé industriel du faubourg Saint-Antoine, dévolu depuis des siècles aux ébénistes, menuisiers et autres artisans spécialistes de l’ameublement.
La crise sanitaire a encore plus rétréci le périmètre des vagabondages de ce séjour printanier ! Mais dans la rue Faidherbe, jouxtant celle de mon domicile, se trouve une pépite de l’architecture Art déco, conçue par Achille Champy en 1926 pour un fabricant de planches et contreplaqués en bois de pays et bois exotiques.


La façade est généreusement percée de hautes fenêtres soulignées verticalement de carreaux émaillés de divers tons de bleu, et délimitée de chaque coté d’un large panneau ocre aux reflets bleutés. Elle est rythmée à l’horizontale par trois décoratifs bandeaux de mosaïques annonçant les activités et l’enseigne de la maison Boutet, ponctués de petites rosaces en céramique bleue.
Autres détails ornementaux remarquables, la corniche décorée d’une frise en mosaïque d’inspiration florale et la marquise en béton et verre dont les éléments sont soulignés d’une mosaïque dorée, et percé de pavés de verre coloré filtrant la lumière à la porte d’entrée.



De 1944 à 1983, les locaux sont investis pour une activité bien différente. Avec « La Suisse normande », les effluves de chocolat remplacent les fragrances des essences de bois. Au départ de la chocolaterie, la façade fut endommagée par le déménagement des machines à malaxer. Après rénovation, le bâtiment a servi de bureaux d'études pour la RATP.
Depuis 2016, l’immeuble restauré avec un soin tout particulier dans le respect de son passé, abrite le premier hôtel cinq étoiles de l’Est parisien. Des élèves de toutes les sections de l’Ecole Boulle, établissement public de formation aux métiers de l'art, du design et des techniques industrielles, ont été mis à contribution pour l’aménagement des quatre-vingts chambres, et quatre suites dont deux intégralement agencées et décorées par eux. Une annexe de l’école renommée jouxte d’ailleurs le complexe hôtelier actuel.



A défaut d’en occuper une chambre, je serais curieuse de voir le hall et l’escalier… Mais jusqu'à nouvel ordre, les portes du « Paris Bastille Boutet » sont closes.


Je l’imagine réquisitionné avec les 70 autres hôtels cinq étoiles, concentrés pour la plupart dans les 1er, 8e et 16e arrondissements de la capitale, et offrant quelques jours de convalescence régénératrice aux rescapés des salles de réanimation, aux soignants et autres personnels contaminés par le virus dans l’exercice de leur activité professionnelle…