dimanche 19 décembre 2010

Fragon - Kokina

La vente de fleurs est une traditionnelle activité des Çingene (Gitans) en Turquie et ce fragon qu’ils proposent sous le joli nom de "kokina" m’a remis en mémoire la tragique actualité du quartier de Sulukule. Nous en avons eu de nombreux échos au printemps mais la décision de démolition avait été prise en 2006, au moment de l’élection d’Istanbul Capitale Européenne de la Culture 2010.


Les dernières habitations ont été démolies en avril dernier. Quelques unes seulement ont été épargnées. Mais, victime d’un hypothétique renouvellement urbain, le quartier aura du mal à retrouver son âme tsigane…
Il est vrai que ce quartier rassemblait des situations de grande insalubrité et qu’il était facile d’expulser cette communauté vulnérable aux conditions d’existence souvent précaires, sans véritable identité reconnue. Mais il aurait peut être été possible de trouver une solution moins radicale. Le sort de ceux-là a désormais rejoint celui qu’ils ont dans d’autres pays : un exil à bonne distance des agglomérations… à défaut d’expulsions du territoire. La Turquie n’a pas l’exclusivité en matière de décisions impopulaires.
Curieusement la culture rom, indissociable du paysage culturel stambouliote depuis plus d’un millénaire, ne pesa pas lourd dans la prise de décision de la nécessité impérative de raser Sulukule, ce qui n’empêcha pas le premier ministre d’afficher sa présence en mars 2010 au grand rassemblement festif et musical des Rom qui eut lieu dans l’immense salle de sports Abdi İpekçi à Zeytinburnu.
Originaires de l'Inde, chassés par l’intolérance, ils ont entrepris une longue migration jusqu’en Europe sans revendiquer ni territoire ni souveraineté politique mais uniquement une reconnaissance de leur existence. Certains d’entre eux avaient trouvé refuge dans la capitale de l’empire byzantin. Ils furent ensuite appréciés dans l’empire ottoman, tolérés par la République turque mais l’économie de marché triomphante ne leur laisse plus beaucoup de place. Nomades ou sédentaires, les métiers qui leur sont dévolus sont souvent saisonniers et donc précaires.
Certains ethnologues avancent des chiffres qui mettraient la Turquie au premier rang avec trois millions de Rom, d’autres estiment qu’ils seraient huit cent mille aujourd’hui. Pour faire connaître leur histoire, Elmas et Haluk Arus ont filmé les Tsiganes de Turquie. Dans le documentaire qui a pour titre : « Buçuk », Elmas part à la recherche de ses origines.
Le photographe Matthieu Chazal a lui aussi sillonné le pays sur leurs traces et s’est arrêté quatre mois à Sulukule avant l’arrivée des bulldozers. Ses nombreuses photos ont fait l’objet de plusieurs expositions en 2009 dans le cadre de La Saison de La Turquie en France.
Loin de moi l’idée d’alimenter la polémique, bien inutile maintenant, mais il m’a semblé important de ne pas oublier que ce quartier représentait un témoignage historique de l’installation des Rom dans ce pays, important aussi de ne pas rester dans le mépris ou l’indifférence.

2 commentaires:

  1. C'est bien triste de voir disparaitre définitivement un des plus grands centres mondiaux de la culture Rom... Et que cela ait finalement pu se faire, en dépit de toutes les tentatives de sauvetage menées par des milliers de personnes...

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  2. Bien décevant en effet de constater que la résistance pacifique des Rom n’a pas eu les résultats espérés. Un blog retrace, depuis octobre 2007, le journal de la résistance des habitants du quartier de Sulukule et de la mobilisation des sympathisants : http://www.sulukulegunlugu.blogspot.com/

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