jeudi 31 octobre 2019

Le Létoon, sanctuaire lycien dans la vallée du Xanthe


Le Létoon, situé sur la rive droite du Xanthe, est indissociable de la cité lycienne Xanthos, à 4 km en amont sur la rive gauche. Son établissement n’est attesté comme presque tous les sites archéologiques de Lycie, qu’à partir du 7e siècle avant notre ère.


Les Lyciens vénéraient probablement sur cette terrasse rocheuse les Eliyãna, divinités des eaux. De fait la caractéristique aquatique du site participe encore aujourd’hui à la fascination ressentie par les visiteurs.


L’installation du sanctuaire autour d’une source sacrée est antérieure à la mise sous tutelle de l’Anatolie par les Perses achéménides (milieu du 6e siècle).
Malgré des velléités d’indépendance, les Lyciens avaient fini par accepter leur présence pas trop contraignante. Sur la base des préceptes zoroastriens, fondés sur la bonne pensée, la bonne parole et la bonne action, une charte des droits des nouveaux sujets de Cyrus le Grand stipulait : «Je n'ai autorisé personne à malmener le peuple et détruire la ville. J'ai ordonné que toute maison reste indemne, que les biens de personne ne soient pillés. J'ai ordonné que quiconque reste libre dans l'adoration de ses dieux. J'ai ordonné que chacun soit libre dans sa pensée, son lieu de résidence, sa religion et ses déplacements, que personne ne doit persécuter autrui». La préservation des particularismes linguistiques, religieux, artistiques et institutionnels, explique sans doute que les Lyciens leur sont restés la plupart du temps fidèles, tandis que dans un même temps ils se montrèrent hostiles aux tentatives de colonisation des Athéniens… jusqu'à l’arrivée du conquérant macédonien Alexandre (334 avant notre ère) qui marquera la fin de la dynastie achéménide.
Les Lyciens n’ont cependant pas attendu la période hellénistique pour se laisser séduire par l’hellénisation qui commença de se propager à l’époque classique (de 480 à 330 avant notre ère). La mythologie grecque s’empara de ce décor pour y accueillir Létô, fuyant la furieuse jalousie d’Héra, autre épouse de Zeus. Venue se rafraîchir avec ses deux enfants, Apollon et Artémis, des paysans des environs lui refusèrent l'accès à la source. Létô les transforma en grenouilles!
Le culte de Létô, d’Apollon et d’Artémis, aurait été instauré vers - 400 par le dynaste Arbinas, souverain de Xanthos et des cités de la vallée (Pinara, Tlos et Telmessos). Il fit ériger trois temples dans l’enceinte du sanctuaire lycien. Cette initiative d’assimilation des divinités grecques devait sans doute être destinée à lui donner plus de prestige et de pouvoir. Les dieux anciens n’ont cependant pas été évincés du panthéon et les inscriptions bilingues et trilingues les mentionnent dans les textes en lycien. Létô se nomme « mère de l’enceinte sacrée ». Apollon porte le nom louvite Natri, tandis qu’Artémis qui n’a pas d’équivalent lycien est simplement transcrite Ertemi.

Les voyageurs du 19e siècle se sont intéressés au site (Richard Hoskyn et Charles Fellows en 1841) mais il ne fut vraiment identifié qu’avec la mission épigraphique autrichienne et Otto Benndorf en 1882.
Des fouilles sont entreprises en 1950, par une mission française dirigée par Pierre Demargne, puis s’intensifient en 1962 sous la direction d'Henri Metzger. Elles se sont poursuivies avec Christian Le Roy, Jacques des Courtils, Didier Laroche et Laurence Cavalier. Depuis 2011, une équipe turque de l'université d’Ankara a pris la relève.
Les nombreuses inscriptions retrouvées, datées du 4e siècle avant notre ère, et les excavations de vestiges architecturaux réalisées dans un contexte difficile de plusieurs mètres d’alluvions et d’une nappe phréatique envahissante, témoignent des étapes de constructions et de l’importance du lieu pour l'affichage des documents officiels et honorifiques.
La célèbre stèle trilingue en grec, en lycien et en araméen (langue officielle de l’empire perse), retrouvée en 1978 sur la voie sacrée conduisant aux trois sanctuaires, a fait avancer le déchiffrement du lycien et apporté des enseignements nouveaux sur l’histoire de la région. Elle est visible au musée de Fethiye.


Entre le 3e et le 2e siècle avant notre ère, trois nouveaux édifices de style purement hellénistique (ordre ionique pour le temple de Létô, ordre dorique pour le temple d’Apollon) furent élevés à l’emplacement des trois temples primitifs en conservant leurs éléments en pierre (ayant servi de base d’une construction en bois), comme pour les protéger dans un écrin.





Seul le temple de Létô, le plus vaste, a pu être partiellement reconstitué (entre 2000 et 2005) afin de lui rendre un aspect significatif. D’autres pièces du gigantesque puzzle en 3D sont en attente. De celui d’Artemis, le plus petit au milieu, ne reste que l’emplacement. Celui d’Apollon n’est guère mieux conservé.


Comme les temples primitifs ils sont parfaitement alignés et à égale distance l’un de l’autre. Ces travaux d’envergure furent certainement entrepris dans un contexte politique particulièrement favorable que les historiens rapprochent de l’activité de la confédération lycienne.
Le Létoon devient alors un sanctuaire fédéral, où se réunissent chaque année les représentants de toutes les cités membres qui selon leur importance avaient trois, deux ou une seule voix.
Pour que les Eliyãna puissent continuer d’être vénérées, un lieu de culte monumental fut construit. L’eau sacrée de la source fut désormais recueillie en contrebas de la terrasse des temples, dans le bassin d’un nymphée hellénistique (agrandi et embelli à l'époque romaine). Des Eliyãna  aux Nymphes grecques, l’assimilation allait de soi.
Le théâtre adossé au versant de la colline fut également construit à cette époque. (Certains gradins ont été taillés directement dans la roche). 



Il était destiné à recevoir les rassemblements de la confédération lycienne, les spectacles, les concours musicaux et dramatiques organisés pour ces occasions. On y pénétrait par deux passages voûtés symétriques.


Les gradins partiellement enfouis et la scène ont été dégagés par la municipalité de Kumlu Ova. Suite au développement intensif de la culture sous serres, bien perceptible dans toute la vallée, le théâtre a accueilli plusieurs années un festival de la tomate. Il semble avoir été déplacé pour d’évidentes raisons de sécurité et aussi de protection des vestiges antiques.
Les portiques, édifices publiques, colonnades couvertes permettant au peuple de s’abriter des intempéries ou de l’ardeur du soleil et dont les vestiges se reflètent aujourd’hui dans l’eau, ont été remaniés à plusieurs reprises pendant la période impériale romaine. 


La aussi on a retrouvé quelques lignes honorifiques attestant de la générosité d’Opramoas de Rhodiapolis au sujet de leur reconstruction au 2e siècle de notre ère.

Avec l’édit de Théodose au 4e siècle, les cultes anciens disparaissent. Le Létoon est christianisé et la source comblée. 



Le temple de Létô semble épargné dans un premier temps mais une église est édifiée à l’emplacement de l’autel ainsi qu’un monastère. La plupart des éléments architecturaux des deux autres sanctuaires ont été concassés ou directement réemployés dans ces constructions.

Crédit photo - Plan du Létoon - D. Laroche
Les ruines ont été envahies par la montée des eaux de la nappe phréatique. Le site sera abandonné au 7e siècle. Le lieu de mémoire cultuelle et historique des Lyciens s’est enlisé pour longtemps mais sort peu à peu de l'oubli.
Malgré le travail colossal effectué, il reste encore bien d’autres vestiges enfouis, d’autres traces à découvrir !

Références bibliographiques :

*Jacques des Courtils: Guide de Xanthos et du Létôon, Ege Yayınları, Istanbul 2003
*Jacques des Courtils, Xanthos et le Lètôon au IIe siècle a.C. p. 213-224
*Christian Le Roy, ancien directeur de la Mission archéologique française de Xanthos-Létoon : Panorama des fouilles de Xanthos
*Christian Le Roy, Lieux de mémoire en Lycie (article, 2004)
*Dossiers d'Archéologie n° 239- décembre 1998, Xanthos, de la Perse à Byzance (bilan général de l'exploration de ces deux sites, une ville et un sanctuaire religieux) 
*Projet de restauration de Xanthos et du Letôon, présentation conçue et mise en page par J.-Fr. Bernard et Didier Laroche, architectes.

mercredi 23 octobre 2019

Sidyma, cité antique lycienne oubliée


Après la visite de Tlôs et le détour par Saklıkent, Pinara l’une des six plus importantes cités lyciennes disposant d’un triple droit de vote au sein de la Confédération (comme Xanthos, Patara, Tlôs, Myra et Olympos), était au programme mais après avoir quitter la D 400, pour suivre la direction de Minare (village proche du site), la route soi-disant stabilisée s’est rapidement transformée en piste déserte pour véhicules tout terrain. Malgré notre persévérance sur plusieurs kilomètres, et peut être très près du but,  nous avons fini par rebrousser chemin pour retrouver la D 400 en direction de la localité Eşen. Quelques kilomètres au sud d’Eşen, une bifurcation indique Sidyma (village de Dodurga) à 14 km. Comme Pinara, la cité domine la vallée, côté rive droite du Xanthos (Eşen).


Le village actuel a été construit parmi les vestiges, réemployant à l’occasion des éléments éparpillés dans les environs. Et le matériau ne manque pas !



Le site n’a pas fait l’objet de fouilles, tout au plus quelques prospections en 1982, 84 et 86 sous la direction d'Edmond Frézouls, professeur à l'Université de Strasbourg, et se limitant à des notes et relevés des vestiges de surface. Il doit être proche de l’état dans lequel Charles Fellows (encore lui) l’a visité en 1843. A une petite nuance près ! En déambulant dans les sentiers aux alentours du village, me revient en mémoire une anecdote lue page 339, dans les Nouvelles Annales des Voyages et des Sciences Géographiques de 1848 rédigées par M. Vivien de Saint Martin et rapportant les observations de Charles Fellows à propos de sa visite des lieux : S’étonnant de voir les villageois tous armés de fusils, il en demande la raison et apprend que "le pays est plein de bêtes sauvages", qu'il est fréquent d’y rencontrer des lions, des tigres, des hyènes, sans compter les loups, les ours et les lynx. Mais oui, à cette époque pas si lointaine, les lions n’étaient pas confinés en Afrique subsaharienne et les tigres pas tous en Sibérie ! Quant aux autres, ils en existent encore sur certains territoires anatoliens, mais plus en Lycie. 
Rassurons les randonneurs, ils n’ont rien à craindre dans les parages, sinon les crocs du kangal, impressionnant chien de berger qui peut être agressif s’il sent le troupeau menacé.
Les visiteurs ne se bousculent pas et on peut supposer que les villageois sollicités ne seraient pas en mesure de répondre aux éventuelles questions des curieux. Ils ont espéré vainement la venue d’une équipe d’archéologues qui redonnerait un peu de prestige à cette cité oubliée, au risque de perdre leur tranquillité. En attendant, un panneau explicatif, probablement récent vu son bon état de lisibilité, a été planté bien en vue sur la place au cœur du village.


Il fait mention d’un portique à cet emplacement et d’un petit temple d’Artemis de 9 mètres de long. 


Les 4 colonnes et quelques pierres au sol figureraient une partie des vestiges. Ces constructions auraient été réalisées pendant le règne de l'empereur Claude (41-54 de notre ère). Aucune précision sur la fondation de la cité antique n’est donnée, à part que son nom en « yma » et de rares vestiges de la période classique (5e et 4e siècles avant notre ère), laissent supposer une origine bien antérieure aux plus anciennes inscriptions retrouvées et datées du 1er siècle avant notre ère. Les ruines visibles aux alentours proviennent de constructions de l’époque impériale romaine et de la période byzantine. En suivant un sentier caillouteux on peut voir un tombeau-maison, plutôt bien conservé. Puis un autre au milieu d'un champs.




Et l’on peut continuer à chercher les restes de sarcophages, de murs de fortification, de gradins d’un théâtre, de thermes romains et sentir naître une vocation d’explorateur sans risquer de se voir barrer le chemin par un fauve !


lundi 21 octobre 2019

Les gorges de Saklıkent, en Lycie

Après avoir crapahuté plus d’une heure sur les sentiers de Tlôs parsemés de vestiges antiques, une pause détente est envisagée dans les gorges de Saklıkent. Il suffit de redescendre la vallée de la rivière Eşen (Xanthe) sur une dizaine de km pour trouver l’œuvre d’un de ses affluents descendant de la montagne blanche (Akdağ). 



Le cours d’eau semble avoir incisé la paroi rocheuse comme un fil métallique dans une motte de beurre ! À moins qu’il se soit engouffré dans la faille provoquée par la rupture de la roche lors d’un bouleversement sismique pour y faire son lit. Bref l’événement ne date pas d’hier et je n’ai pas de connaissance particulière en géologie pour donner plus de précisions. Je me contenterai de vous dire que c’est une merveille naturelle qui ne doit rien aux divinités lyciennes ou grecques qui hantent la région.



Malheureusement, elle semble avoir subi des interventions humaines disgracieuses. Les aires de parking se sont multipliées et des rabatteurs guettent les visiteurs pour le compte des nombreux cafés-restos qui s’agglutinent en aval, sans compter les guinguettes les pieds dans l’eau et celles sur pilotis !
Vues en octobre 1992, les gorges de Saklıkent étaient déjà mentionnées dans les listes des incontournables, mais avaient encore leur aspect sauvage, malgré l’existence d’une passerelle de fortune facilitant l’entrée de la gorge sur environ 200 m. La vision de ces parois rocheuses de 300 m de hauteur dominant le torrent bouillonnant par endroit et formant plus loin une vasque paisible et rafraîchissante avait suffit à notre enthousiasme. (A l'appui, 2 photos de mes archives 1992)



Mais c’était avant la création en 1996 du parc national, incluant les gorges.
J’ai lu quelque part qu’un berger aurait découvert les lieux en 1988. La fable est grossière quand on sait que plusieurs grottes disséminées sur les 18 km du canyon étaient fréquentées par les hommes au paléolithique. D’accès difficile certes et ignorés des touristes sans aucun doute, mais inconnus des autochtones certainement pas.
Par contre la vraie découverte du berger ou autre petit malin c’était l’idée de rendre possible la visite de cette curiosité géologique, et surtout d’en faire une attraction lucrative, puisque les clients potentiels étaient déjà sur place. Le tourisme balnéaire et les circuits culturels étaient alors en plein essor.  
En 30 ans, les aménagements se sont multipliés pour suivre le rythme de la fréquentation.



La passerelle a été solidifiée et sécurisée, mais je n’ose imaginer les embouteillages à la période estivale sur les 500 premiers mètres ! 



Ensuite ça doit être plus calme. Encore faut-il être en très bonne condition physique et expérimenté pour s’y engager… Si c’est le cas, rafting et canyoning sont les seules options pour ne pas avoir l’impression d’être dans le métro aux heures de pointe ! Et bien sur, c’est prévu, à grand renfort de banderoles publicitaires qu’il est bien difficile d’éviter dans les prises de vues. La location de chaussons en plastique pour ne pas glisser en barbotant dans l’eau glacée et de casques est aussi prévue.
Il va sans dire qu’emprunter la passerelle est payant.

  
Une dernière chose avant de clore le chapitre des récriminations. Sans vouloir porter offense à la république de Turquie, et pourtant bien habituée à le voir flotter un peu partout, je ne vois pas la nécessité de ce gigantesque drapeau barrant l’entrée de la gorge de Saklıkent. Protéger l’environnement, ça devrait vouloir dire aussi se faire discret pour le dénaturer le moins possible et non pas le revendiquer comme un trophée.


Pêchées dans le torrent, ou puisées dans des bassins d’élevage ? Un brin soupçonneux quant à la provenance des truites grillées, la spécialité locale annoncée, nous passons notre chemin, avec l'intention de visiter Pinara et Sidyma, avant de retourner à Kaş.

mercredi 9 octobre 2019

Tlôs, cité antique lycienne


Tlôs est situé sur la rive gauche dans la moyenne vallée du Xanthe (actuellement Eşen) qui se déroule encore sur une trentaine de kilomètres jusqu'à l’estuaire du fleuve à Patara. Les terres fertiles de cette vallée ont attiré les hommes du mésolithique (à la fin du 9e millénaire avant notre ère) et leur établissement dans la région au néolithique est plus que probable.


Les textes hittites du 14e siècle avant notre ère mentionnent la cité sous le nom de Dalawa, Tlawa en louvite.
Sa fondation est attribuée à Tlôos, fils aîné de Trémilès et de la nymphe Praxidiké, selon un mythe décrit au début du 5e siècle avant notre ère, issu probablement d’une tradition orale bien plus ancienne faisant référence à un flux de migrants qui fonda à l’âge du Bronze récent les cités de Dalawa/Tlawa/Tlôs, Pina/Pinara et Kragos/Sidyma ou bien à l’arrivée de populations louvites au 2millénaire avant notre ère qui évincèrent les Solymes, occupant précédents des lieux ?
La mythologie grecque offre une version de Termiles venus de Crète avec à leur tête Sarpédon, frère de Minos, fils de Zeus et de Laodamie (elle-même fille de Bellérophon), qui régna sur la Lycie et fut allié des Troyens. L’absence d’intervention de Zeus lors des combats (pour la cause que l’on sait depuis la visite de l’autel de Zeus en Troade!) sera fatale à son fils Sarpédon.
Bellérophon (grand-père de Sarpédon) monté sur le cheval ailé Pégase s’était déjà illustré dans la région en la délivrant d’un monstre, la Chimère au corps de lion, chèvre et serpent, crachant le feu, (feu qui continue de brûler à Chimera). Cet exploit lui aurait valu la reconnaissance du roi, qui lui donna sa fille en mariage et en fit l’héritier du royaume.


Un peu avant d’arriver sur le site, on aperçoit un tombeau rupestre dont les bas-reliefs représentent des fauves, gardiens de la sépulture, et Bellérophon sur sa monture. Inaccessible à la visite depuis cet endroit et vivement déconseillé de tenter l’approche périlleuse depuis l’intérieur du site. Ce serait la plus ancienne sépulture avec façade en forme de temple en Lycie et elle est datée de la période classique.
Depuis sa découverte par Charles Fellows en 1838, le site n’a fait l’objet de fouilles systématiques que récemment, contrairement à Xanthos.
Des études de surface ont été entreprises par les membres du département d’archéologie de l’Université d’Akdeniz en 1992. Les fouilles ont commencé en 2005 sous la direction du Professeur, Dr. Taner Korkut, et se poursuivent.
Auparavant l’archéologue Hüseyin Öztürk avait découvert en 1996, devant la grotte de Girmeler, près de Tlôs, des tessons de céramiques néolithiques du 7e millénaire avant notre ère, et comparables à ceux d’ Hacılar (près de Burdur).
Une hache datée du 2e millénaire avant notre ère est jusqu'à présent, le seul artefact retrouvé à Tlôs concernant cette période.   


Au sommet d’un éperon rocheux que l’on voit de loin, et qui permettait un contrôle efficace des alentours, un habitat lycien s’est développé pendant toute la période achéménide sur l’acropole fortifiée. Aujourd’hui s’y élèvent les vestiges d'une citadelle habitée au 19e siècle par un seigneur turc nommé "Kanli Ali Aga" (Ali le sanguinaire).
On y accède par des sentiers escarpés, traversant la nécropole s’étageant sur les flancs du piton. 
La nécropole fut utilisée de manière continue à partir de la période classique (5e et 4e siècles avant notre ère). Les tombes taillées dans la roche constituent un ensemble important du site. Leurs façades remarquables reproduisent l'architecture en bois traditionnelle de Lycie. 





D’autres encore plus monumentales évoquent l’entrée d’un temple.


Le deuxième groupe de sépultures de la nécropole de Tlôs est composé de sarcophages. Les plus anciens sont de type lycien caractérisés par des couvercles de forme ogivale, comme la coque renversée d'un bateau, tandis que d’autres datés de la période romaine ont des toits triangulaires.


Depuis l’acropole on découvre les vestiges de la ville basse qui ne s’est probablement développée qu’à la fin de l’époque hellénistique et surtout à l’époque romaine. Les plus anciens sont datés du 2e siècle avant notre ère, période faste de la Confédération Lycienne, mais la plupart des monuments ont subi des reconstructions importantes suite au séisme destructeur de 141.


L'agora, centre de la vie commerciale, politique et administrative ainsi que lieu des activités sociales et culturelles n’a été que partiellement fouillée. Elle est encore recouverte de couches accumulées par l’érosion. Les éléments architecturaux trouvés en surface datent du 2e siècle de notre ère. La zone, réutilisée au début de la période byzantine a du subir d’importantes  modifications, dont la construction d’une basilique attestée par quelques arches.
On distingue cependant les structures monumentales qui devaient déjà exister dans la période hellénistique. Le bouleutérion, les gradins du stade (à gauche sur la photo ci-dessous). 


Et de l'autre coté du stade, la stoa et le théâtre. 


Les thermes, la palestre avec accès direct sur des bains sont des constructions de la période romaine.   


Un petit temple, unique exemple en Anatolie de culte dédié à Kronos, est situé tout près de la basilique. Identifié par W. Wurster en 1976, il a fait l’objet d’études et de restaurations entre 2010 et 2014.


Crédit photographique: http://www.tloskazilari.com/
Sa construction au cœur de la ville dans sa période romaine, coïncide avec des données épigraphiques concernant le culte de Kronos débutant ici au 1e siècle de notre ère, inscriptions se multipliant au 2e et 3e siècles. On sait aussi que la ville organisait des fêtes, les Krôneia, tous les quatre ans, pour honorer la divinité grecque.
Il semblerait que sa vénération soit due à son assimilation au dieu de l’Orage Tarqas (Tarhunt louvite) qui avait fait l’objet d’une loi gravée au 4e siècle avant notre ère concernant l’organisation de son culte et de celui de la déesse-Mère, à Tlôs mais aussi à Pinara, Telmessos et Kadyanda. Ce qui laisse à penser que Tlôs aurait été un centre cultuel d’importance peut être en rivalité avec Xanthos, mais surpassé par cette dernière à partir du 4e siècle avant notre ère. Tlôs aurait pu aussi trouver à la période romaine, le moyen de raviver le traditionnel culte de Kronos, ce Titan, dieu des Solymes selon une légende remontant aux plus hautes époques de l’histoire lycienne et racontée par Plutarque (46/125).

Les textes gravés dans la pierre ne sont pas toujours faciles à interpréter mais parfois ils sont limpides et font passer un individu à la postérité. Ainsi nous apprenons que la reconstruction du théâtre a été financée par un certain Opramoas de Rhodiapolis. Il existe ailleurs en Lycie d’autres traces écrites de ses généreux bienfaits.
Un autre témoignage de reconnaissance sociale a été découvert près de l’agora en 1892 par une expédition autrichienne. Le piédestal d’une statue disparue, daté approximativement de 95-55 avant notre ère, porte cette inscription : «Antiochis de Tlôs, fille de Diodotus, félicitée par le conseil municipal et les habitants de Tlôs pour ses capacités dans l’art médical, a érigé cette statue d'elle-même».
Il semblerait que ses compétences et ses recherches aient largement dépassé les frontières de la cité et de son époque: Héraclite de Tarente lui aurait dédié un ouvrage pharmacologique sur la thérapeutique des saignements. Et Galien (129-216) la cite comme une autorité dans le domaine des soins de rate douloureuse, de rétention d’eau, de sciatique, d’arthrite.

Nous quittons l'un des plus importants établissements de la civilisation lycienne pour aller sur les traces de Pinara et Sidyma, cités « sœurs » de Tlôs, non sans un regard de convoitise sur les superbes fruits que porte ce grenadier, tout aussi inaccessibles que le tombeau rupestre évoquant Bellérophon!


Plan d’ensemble du bourg de la montagne et des bâtiments romains à Tlôs (d’après Wurster, 1976) Crédit photographique 


Références bibliographiques :

*Eric Raimond, Tlos,un centre de pouvoir politique et religieux de l'âge du Bronze au IVe s. av.J.-C. In: Anatolia Antiqua, Tome 10, 2002. pp. 113-129.
*Hadrien Bru, François Kirbihler et Stéphane Lebreton, L'Asie mineure dans l'Antiquité : échanges, populations et territoires, Presses Universitaires de Rennes, 2009
*Laurence Cavalier et Jacques des Courtils, La vallée du Xanthe et la mer [article],
Anatolia antiqua. Eski Anadolu  Année 2011/19/  pp. 453-463