samedi 8 février 2020

Exposition à Istanbul: « Il était une fois dans le mont Taurus, Sagalassos »

Comme beaucoup de Stambouliotes, j’ai regretté les transformations de la rue Istiklal, son éloignement des intérêts culturels au profit de visées mercantiles.
La rénovation du bâtiment qui abritait le centre culturel de la banque Yapı Kredi ne manqua pas de susciter quelques inquiétudes…
J’avais eu l’occasion d’y voir plusieurs expositions, présentées par le musée Vedat Nedim Tör sur les recherches archéologiques, qui avaient attisé la curiosité d’en découvrir plus in situ. Entre autres « Çatalhöyük » en 2006, « Sur les traces des Phrygiens » en 2008 et « Tumulus de Tatarlı, les couleurs retrouvées » en 2010.
Et depuis cette date j’attendais la prochaine…
Une heureuse surprise est au rendez-vous, 10 ans plus tard…


Les travaux sur l’édifice sont terminés depuis fin 2017. La célèbre sculpture « Akdeniz » d’Ihlan Koman ouvre désormais ses bras accueillants derrière une façade de verre incluant une rampe d’accès, face au lycée de Galatasaray.


La librairie rénovée présente sur deux niveaux les publications variées des Editions Yapı Kredi et une salle est réservée aux jeunes lecteurs.


Au programme de la saison l’exposition « Il était une fois dans le mont Taurus, Sagalassos » est à voir depuis novembre et jusqu’au 28 mai 2020.
Ce sont les fragments de la colossale statue de l’empereur Marc Aurèle (161-180) qui accueillent les visiteurs. 



La tête et les membres ont été exhumés en 2008 parmi les ruines des thermes impériaux (publics et gratuits). Malgré la poursuite des recherches, le tronc n’a pas été retrouvé et le professeur belge Marc Waelker a émis l’hypothèse qu'il devait être en bronze et aurait été fondu pour une réutilisation dans l’antiquité tardive.

Cette fois, ma visite du site archéologique a précédé l’exposition qui lui est consacrée. Ce que j’en avais vu en 2011 était fascinant tant par la situation géographique dans un cadre naturel impressionnant que par la surface couverte par des vestiges architecturaux évocateurs de la prospérité de la cité antique. Les visiteurs en ont un aperçu dans la grande salle équipée d’un écran géant que semble contempler avec satisfaction l'empereur Hadrien, qui a donné à Sagalassos le titre de "première ville de Pisidie", siège régional du culte impérial romain.



On peut aussi appréhender le gigantisme des travaux accomplis pour excaver les ruines des monuments, en restituer les formes pour certains et même la fonction en ce qui concerne le spectaculaire nymphée d’Antonin et la fontaine hellénistique alimentés en eau comme aux siècles passés. Sans compter les délicates manœuvres nécessaires pour déterrer les sculptures de marbre, les pierres recouvertes d’inscriptions, les milliers d’objets enfouis susceptibles d’apporter de précieux indices, des informations, des datations… 


Mais les fouilles archéologiques ne sont de nos jours qu’un aspect du vaste programme d’études interdisciplinaires nécessaire à la compréhension d’un site. A Sagalassos cette stratégie a été systématiquement suivie depuis le début et l’exposition reflète cette exigence.
Le premier niveau est consacré à la présentation des intervenants qui ont participé à ce grand projet mené avec passion depuis 30 ans dans les domaines les plus variés, anthropologie, botanique, paléontologie, géologie, ingénierie, restauration, etc… pour que les vestiges de Sagalassos s’inscrivent dans un environnement spatio-temporel élargi. On y rencontre les restes fossilisés d’un mammouth, espèce animale disparue il y a plus de 10 000 ans.


Mais aussi les reconstitutions faciales d’un citoyen romain d’environ 50 ans au moment de son décès (au 3e siècle) et d’une femme byzantine morte vers 40 ans (au 11e siècle). 


La modélisation a été réalisée à partir d’un "scan-3D" des crânes. Les lieux de sépulture et les squelettes ont fourni des informations sur la vie de ces personnes. Les visages de Rhodon et d'Eirènè (prénoms fictifs) qui n’ont pas eu l’honneur d’être immortalisés dans le marbre réapparaissent dans le paysage archéologique.

La statue d’un enfant (dont le visage est détérioré) portant une jarre d’eau fait une allusion au liquide vital dont la cité était bien pourvue.


Un Oinophore en terre cuite décorée (5e siècle), sorte de gourde destinée à contenir du vin, vient illustrer la culture de la vigne et de la production locale du breuvage.


Des petites lampes en terre cuite qui assuraient l’éclairage domestique évoquent l’usage d’huile extraite de plantes aromatiques, poussant en abondance aux alentours.  

  
La cité depuis la période hellénistique était placée sous la protection de Tyché, déesse de la fortune, de la prospérité et de la destinée. Le buste de marbre du 2e siècle retrouvé près de l’agora supérieure ornait probablement un édifice consacré à son culte.


Poséidon, maître absolu des mers et des océans, armé de son trident, avait aussi le pouvoir de déclencher des tremblements de terre, ce dont il semble avoir fait usage sans modération dans la région. Haut relief en calcaire, 2e siècle.


De la préhistoire régionale qui s’est prolongée sur une centaine de milliers d’années en commençant par la probable présence de Néanderthaliens avant l’occupation des territoires par les Homo Sapiens, à l’histoire des habitants de la cité pendant une dizaine de siècles, les nombreux artefacts habituellement conservés au musée archéologique de Burdur sont présentés de façon chronologique au 2e niveau.
Figurine en argile datée du néolithique (-6500, -6100)


Hache en cuivre du chalcolithique (-3500, -3100) et récipients de céramique


Sceaux en argile de l’âge de bronze (-3100, -2600)



Cruche à bec verseur de l’âge de bronze (-2000, -1150)


Le passage du polythéisme au christianisme a bien sur modifié considérablement la cité, mais pas avant le 5e siècle. De nombreux édifices furent détruits ou leur destination première détournée, se conjuguant avec les destructions dues aux séismes.
Symbole des chrétiens primitifs, le chrisme, est un monogramme formé des deux premières lettres grecques du mot Christ X (chi) et P (rhô). La présence de l’alpha et de l’oméga de part et d’autre du chrisme symbolisent le début et la fin d’un tout, renforçant le caractère sacré, divin et éternel.


Les sculptures de divinités, comme celles des empereurs romains, bénéficient de mises en scène spectaculaires, reproduisant l’effet qu’elles devaient susciter à l’époque.
Ainsi Déméter, sœur de Poséidon et divinité grecque de la terre fertile, des semailles et des moissons préside au 3e niveau.


Des présentations plus intimistes révèlent divers aspects de la vie quotidienne et sociale des habitants, leur maîtrise de techniques (tissage pour se vêtir, cuisson des aliments pour se nourrir…), leurs productions artisanales et agricoles, leurs distractions, leurs croyances, leurs rites funéraires.


L’Industrie potière s’est particulièrement développée sur plusieurs siècles et a probablement fait l’objet d’un commerce lucratif.


Reproduction d’un foyer de cuisson alimentaire du 6e siècle.


Une grotte sacrée a été fouillée à proximité de la cité et les archéologues y ont trouvé une quantité d’objets cultuels mais aucune inscription pouvant identifier la divinité vénérée. Il semblerait que la fréquentation du lieu couvre une longue période et que s’y déroulaient des repas cérémoniels. 


Les figurines de terre cuite évoquent des préoccupations liées à l’amour, la sexualité, la maternité, l’enfance, l’éducation, la santé… Ce sont des offrandes votives. La vitrine d’exposition a été placée dans un écrin tapissé de leurs multiples représentations du plafond aux parois. L’effet est saisissant !


Dans le Proche-Orient antique, ce type de lieu de culte n’est pas exceptionnel. Les grottes sont depuis longtemps associées aux puissances surnaturelles où peuvent séjourner les divinités. Près d’une autre cité antique, Metropolis, une grotte sacrée a été découverte et sa fréquentation attribuée au culte de la déesse-mère (Kubaba anatolienne, Kybele phrygienne, ou Gaia grecque).

Si vous connaissez déjà le site de Sagalassos, l’exposition vous donnera de précieux compléments d’informations sur la riche collection d’artefacts (habituellement au musée de Burdur). Sinon elle déclenchera une irrésistible envie d’aller sur place découvrir les vestiges de cette cité. 

Adresse: Yapı Kredi Kültür Sanat İstiklal Caddesi No: 161, Beyoğlu / İstanbul
Ouvert tous les jours, du lundi au vendredi de 10h à 18h45, le samedi de 11h à 18h45 et le dimanche de 13h à 18h45. Accès gratuit