samedi 25 janvier 2020

Myra, cité antique lycienne


Myra n’est pas seulement célèbre pour avoir été au 4e siècle l’évêché de Saint Nicolas, ecclésiastique qui participa peut-être au Concile de Nicée (Iznik) en 325 et qui engendra de nombreuses légendes en Occident, se transforma au fil des siècles en personnage bedonnant à barbe blanche et costume rouge bordé de fourrure, circulant en traîneau pour distribuer des cadeaux.


Les premières traces de l'existence de la cité remontent au 6e siècle avant notre ère. Ce sont les ruines des murailles d’enceinte autour de l’acropole, lieu de résidence des dynastes lyciens de Myra. La technique de taille des pierres qui les composent est caractéristique de cette époque. Des fortifications ont été ajoutées dans la période hellénistique pour l’organisation d’un système complexe de protection et de défense du territoire, comprenant plusieurs tours de guet sur les hauteurs jusqu'à Andriake, le quartier portuaire de Myra. Assez proches l’une de l’autre, elles permettaient de communiquer visuellement une présence ennemie venant par voie maritime mais aussi terrestre par la vallée du Myros, actuelle rivière Demre.   
Les ruines de Myra avaient déjà attisé la curiosité de voyageurs au 19e siècle dont Charles Fellows en 1840. Jürgen Borchardt, archéologue allemand a mené des prospections à Myra de 1965 à 1968. Il y a distingué deux groupes de tombeaux rupestres creusés dans la falaise abrupte de l’acropole. La nécropole du fleuve à l’est du théâtre et la nécropole de la mer à l’ouest. Cette dernière retient particulièrement l’attention des visiteurs. 



Elle présente un véritable essaim de sépultures, majoritairement en forme de maison reproduisant l’habitat en bois traditionnel des Lyciens. Quelques unes coté fleuve présentent des façades de temple hellénique et trahissent une influence plus marquée des artisans grecs commandités pour les constructions. Elles sont toutes datées des 5e et 4e siècles avant notre ère. La plupart des inscriptions sont en lycien. Les bas-reliefs représentent des scènes de funérailles ou relatant la vie du défunt entouré de ses proches, mais aussi des motifs typiquement lyciens, comme la destitution du bouclier symbolisant le désarmement de l’adversaire vaincu à la fin du combat (sur le fronton ci-dessous). 


Certains reliefs portent encore les traces de décor peint.

Autre vestige spectaculaire, l’amphithéâtre gréco-romain est le plus vaste de la région.


La partie centrale des rangées concentriques de gradins s’appuie sur le flanc rocheux tandis que les côtés sont portés par des arcatures. On y accédait par des escaliers. 



La façade était ornée de colonnes surmontées de chapiteaux à volutes et palmettes, de niches contenant des statues. 


La scène était richement décorée d’une frise alignant une profusion de masques qui jonchent les alentours de l’édifice.






De nombreuses inscriptions gravées sur les pierres du théâtre fournissent des informations sur divers aspects de la cité.
La construction date de la période la plus prospère au 2e siècle avant notre ère.
Des documents épigraphiques de l’époque soulignent l’importance de Myra dans la Confédération Lycienne. Comme Xanthos, Pinara, Patara, Tlos, elle bénéficiait de trois votes lors des réunions annuelles des représentants des 23 cités membres au sanctuaire fédéral du Létoon.
L’inscription sur le heroon (édifice honorifique) d’Opramoas de Rhodiapolis a permis de dater la reconstruction du théâtre endommagé par le séisme de 141. (Le généreux mécène était aussi intervenu à Tlos et au Letoon). L’inscription mentionne également les réparations du grand sanctuaire dédié à Artémis Eleuthera, mais aucune trace de ce temple n’est pour le moment visible sur les lieux, pas plus que la statue recouverte d’or de Tyché, divinité protectrice de Myra, d’un temple d’Apollon, d’un gymnasium, d’une stoa et autres structures mentionnées dans les textes…
Les fouilles archéologiques *, conjointement à celle d’Andriake ont repris depuis 2009 et les équipes pluridisciplinaires ont bon espoir de retrouver d’autres vestiges entre l’acropole de la cité antique jusqu’aux abords le la ville actuelle de Demre, distante de 2 km, où s’est construite la métropole régionale byzantine jusqu'à sa conquête par les Arabes en 808/809 qui marqua son déclin.

*Référence bibliographique:
Coopération scientifique de la Mission française de Myra-Andriaké et de l’Université d’Antalya


jeudi 23 janvier 2020

Andriake, port antique et musée des civilisations lyciennes


Nous poursuivons notre périple en direction de Demre/Myra après avoir profité d’une paradisiaque balade sur les flots bleu de la baie de Kekova. Une escale plus culturelle nous attend à Andriake.
Depuis la route on aperçoit bien l’ensemble du site au delà d’un bassin aujourd’hui marécageux traversé par la rivière Androkos (Kokar çay), mais autrefois largement ouvert sur la mer avant que des alluvions ne l’en séparent.


De chaque côté de l’embouchure de la rivière de hautes collines offrent une protection naturelle et une série de petites îles, maintenant en partie submergées et rattachées au continent, jouaient le rôle de brise-lames. 


On sait que les Lyciens ne négligeaient pas les bords de mer et qu'ils étaient de bons navigateurs. Quelques aménagements permettaient de faciliter les déplacements et le commerce maritime.
Il est plus que probable qu’ils aient été présents en ces lieux qu’on ne peut qualifier de port, mais plutôt de mouillage en l’absence d’une véritable organisation des espaces.  Deux épaves de navires marchands, datant des 14e et 12e siècles avant notre ère ont cependant été retrouvées à proximité d’Andriake, l’une à la pointe Uluburun (dont une reproduction est visible au musée de Bodrum) et l’autre près du cap Gelidonya.
Les marqueurs archéologiques (pièces de monnaie, tessons de céramique…) attestent en l’état actuel des connaissances, d’une occupation à partir du 4e siècle avant notre ère (période hellénistique). Les activités économiques se développèrent et Andriake se transforma en installation portuaire prospère dans la période romaine, dynamisme qui semble s’être maintenu au moins jusqu’au 4e siècle de notre ère.

Les vestiges que nous allons découvrir datent principalement de l’époque impériale (2e siècle) qui permit une plus grande visibilité de la Lycie dans le monde méditerranéen. En 129 l'empereur Hadrien (117-138), visita la région avec son épouse Sabine et fit construire à Andriake (et à Patara) des édifices destinés au stockage et à la conservation de denrées alimentaires. Les greniers d’état (horrea) que l’on nomme ici granarium n’étaient sans doute pas exclusivement réservés au stockage de céréales.
Le site déjà connu à la fin du 19e siècle, n’a fait l’objet de véritables fouilles que depuis 2005 sous la direction de l’Institut Archéologique Autrichien jusqu’en 2008. Les autorisations n’ayant pas été renouvelées par les autorités turques, les campagnes archéologiques se sont poursuivies sous la direction de Nevzat Çevik, assisté par une universitaire nantaise Isabelle Pimouguet-Pedarros.
Elles ont abouti à la certitude qu’Andriake n’était pas une ville distincte mais l’epineion de Myra, son quartier portuaire et défensif tandis que le centre de la cité antique se trouvait à environ 4 km sur un éperon rocheux.

Les fouilles ne sont pas terminées mais d’ores et déjà, on peut visiter le complexe muséal inauguré en juin 2016.


La première partie est constituée d’un parcours aménagé permettant de comprendre l’organisation portuaire par la mise en valeur des vestiges.


Les thermes étaient un équipement portuaire courant à l’époque.



L’agora, centre du commerce ou plakoma, a ici la particularité d’avoir été aménagée au-dessus d’une vaste citerne.



Pour suggérer les quais, qui se trouvent probablement à une vingtaine de mètres des bords actuels enfouis sous les alluvions, une reproduction d’un bateau romain évoque le chargement ou déchargement d’une cargaison. 


Des centaines d'amphores retrouvées sur les lieux ont documenté le trafic international du port.


Des édifices compartimentés caractéristiques accueillaient magasins et ateliers. 



Un grand tas de coquilles de murex a été retrouvé à proximité, tendant à prouver qu'Andriake produisait de la pourpre utilisée pour teindre les étoffes destinées aux dieux et aux classes dirigeantes.



Les vestiges d’un moulin aux solides parois de pierre témoignent de l’utilisation de l’énergie hydraulique, peut-être employée pour broyer les coquillages. La reproduction d’un treuil en bois illustre une autre technologie liée à l’activité portuaire.


À droite en contrebas du granarium, une synagogue du 5e siècle a été identifiée par la présence d’un bas-relief de ménorah avec une inscription en grec du mot « Israël » qui est conservé dans la partie fermée du musée.



Au début du parcours se trouvent des vestiges de deux églises.

L’étude des éléments architecturaux du granarium avant sa restauration a permis de mettre en évidence une particularité. Les déchets de murex ont constitué la matière première du mortier utilisé pour sceller les pierres lors de la construction. Une autre preuve de l’extraction de la pourpre à une échelle industrielle.
L’édifice ayant désormais retrouvé l’intégrité de sa structure d’origine, présente une enfilade de huit salles reliées de l’intérieur par des ouvertures, déjà existantes et formant alors des espaces de stockage modulables, s’ajoutant aux accès extérieurs.



Les bustes d’Hadrien et Sabine ornent la porte centrale.


Le granarium abrite aujourd’hui la section couverte du musée des civilisations lyciennes qui expose de nombreux artefacts retrouvés au cours des fouilles d’Andriake et d’autres cités antiques de Lycie (Myra, Patara, Xanthos, Tlos, Arykanda, Pinara, Antiphellos et Olympos). 




C’est l’occasion de faire une rapide synthèse des principaux sites lyciens déjà visités ou à découvrir, et de voir des témoignages de la vie quotidienne et des pièces fragiles qui ne peuvent être conservés dans leur environnement d’origine pour des raisons évidentes de préservation.




De retour vers la sortie, un jeune chat empressé se dirige vers la librairie/boutique de souvenirs, comme nous invitant à le suivre. Après avoir ronronné sous les caresses, il finit par s’installer sur une des étagères aux bibelots encore clairsemés, un peu déçu qu’on ne l'adopte pas immédiatement. Bien plus irrésistible pourtant que les porte-clefs et céramiques bariolées !


Références bibliographiques:
*Isabelle Pedarros, Peuplement et aménagement du littoral méditerranéen antique: le cas de Myra et de son port Andriakè sur la côte lycienne, Colloque International d'Antibes, octobre 2013, Antibes, 253-266.

*Andriake, article de Nevzat Çevik, paru sur le site aktuelarkeoloji

*Andriake Granarium:Horrea Hadriani, article paru sur le site arkeolojikhaber 

mardi 14 janvier 2020

Excursion à Kekova en Lycie


Après un intermède parisien (à lire dans les archives novembre, décembre 2019 et début janvier 2020 du blog), revenons sur notre périple d’octobre pour se réchauffer sous le soleil de la péninsule de Teke, antique Lycie.
Depuis Kaş, il faut prendre la direction de Finike. A environ 18 km on bifurque vers Üçağız. Une vingtaine de kilomètres plus loin on atteint le petit port de pêche reconverti en port de plaisance, point de départ pour la découverte de la baie de Kekova.
A l’extrême sud de la côte lycienne, c’est une merveille de la nature dont l’accès longtemps difficile par voie terrestre a contribué à en préserver le charme. L’île de Kekova qui a donné son nom à l’ensemble cerne la baie en incluant une autre baie plus petite.
Le village actuel de Üçağız vit principalement de la pêche et surtout du tourisme.
En attestent quelques pensions et restaurants en bord de mer et les nombreuses embarcations de toutes tailles amarrées au quai.
Les vestiges de la ville antique Teimiussa sont éparpillés à l’est du village, principalement la nécropole. 


Un tombeau typiquement lycien, joliment envahi de végétation, accueille les visiteurs dès l’entrée du parking.


Nous embarquons sur le “Haydi” piloté par Ibrahim Kaptan.


C’est parti pour deux bonnes heures d’émerveillement en balade privée sur les flots pour profiter en toute quiétude d’une configuration géographique exceptionnelle et de paradisiaques paysages.



Il y a bien sûr la possibilité de choisir des excursions plus longues, avec des haltes consacrées à quelques visites des lieux, avec ou sans repas inclus, et participants plus nombreux sur des bateaux plus imposants… Mais pour cette fois le crapahutage sur les sites n’est pas au programme. Il a été déjà réalisé il y a quelques années quand les embarcations qui y conduisaient étaient encore essentiellement des barques de pêcheurs.
Nous filons tranquillement vers le cap faisant face à l’île de Kekova. A l’extrémité de la péninsule se blottit le village nommé aujourd’hui Kaleköy, autrefois Simena.


Il n’est pas accessible par voie terrestre mais beaucoup de bateaux y font une escale plus ou moins prolongée. Les vestiges antiques prouvent son existence depuis au moins le 4e siècle avant notre ère. Des inscriptions en lycien sont gravées sur plusieurs tombeaux. S’y dressent encore les ruines des thermes, d’un théâtre d’époque romaine, mais la silhouette de Simena se caractérise par sa citadelle dominant le promontoire rocheux dont les vestiges les plus récents datent des périodes byzantines puis ottomanes. Les plus courageux pourront y grimper pour profiter d’une vue panoramique sur la baie…


En approchant de l’île de Kekova, sans y aborder car l’accès est strictement interdit tout autant que la plongée aux alentours, on découvre les vestiges d’Appolonia, cité antique engloutie partiellement depuis qu’un tremblement de terre provoqua un affaissement conséquent au 2e siècle de notre ère. 


Les byzantins y ont apporté quelques constructions ultérieures puis elle fut abandonnée et jamais plus habitée. Parmi la végétation touffue on distingue les traces d’habitations antiques, pans de murs avec fronton et emplacements de poutres, portails de pierre, escaliers, et sous les eaux transparentes les vestiges d’un port, d’une digue.







Les deux petites îles (Kara ada et Toprak ada) dans le prolongement de l’île de Kekova d’un coté et le cap Sıcak Burnu de l’autre semblent garder jalousement l’ensemble de la baie. 



Entre les deux se situe ce que l’on nomme aujourd’hui communément l’aquarium, l’endroit où presque tous les bateaux jettent l’ancre. Pas difficile d’en comprendre la raison ! 


Comment résister à l’attrait de cette eau translucide sur fond sablonneux qui lui donne une couleur incomparable ?
D’autant plus qu’en automne il n’y a pas l’affluence risquant de lui donner l’allure de piscine municipale.
Le capitaine lui-même n’a aucun scrupule à abandonner momentanément son bâtiment et plonge après nous avoir équipés de masques et tubas car dans l’aquarium, il y a bien sur des poissons ! Pas besoin de bouteille d’oxygène pour les voir. Le fond n’est qu’à 5 ou 6 mètres de la surface.
De retour sur le pont après une bonne demi-heure à barboter avec délice, un thé fumant accompagné de quelques biscuits et chips nous attendent. Ibrahim Kaptan a écourté sa baignade pour ne pas déroger aux usages de l’hospitalité.




La discussion accompagne notre retour vers la terre ferme et se prolongera du côté du petit marché de productions locales. Le capitaine tient à nous présenter sa femme dont l’une des activités est la cueillette de l’origan sur les versants ensoleillés et caillouteux de la montagne environnante. Elle est justement en train de trier une partie de sa récolte.



Impensable de ne pas profiter de l’opportunité d’approvisionner le magasin Ayfer Kaur (au numéro 7 du marché égyptien) en produit naturel régional. Kekova n’est pas nommé ainsi par hasard ! C’est un des endroits de Turquie d’où provient l’un des meilleurs kekik (origan), l’un des plus parfumé pour intensifier la saveur des grillades!


La carte de la baie de Kekova, ci-dessus, est la photocopie d'une page du guide touristique "Lycie" publié en 1992 par Net Akademia. Auteur: Dr. Ülgür Önen