mercredi 12 octobre 2022

La mosquée Molla Zeyrek restaurée

Le quartier de Zeyrek fait partie de l’une des quatre zones historiques d’Istanbul listées par l’UNESCO en tant que patrimoine mondial. Le Cinili hamam récemment accessible après une longue restauration vient désormais s’ajouter aux nombreux édifices témoignant d’un riche passé culturel byzantin et ottoman.
Nous avions suivi la restauration de la citerne byzantine et attendions la finalisation de celle du complexe religieux qui domine la colline surplombant la Corne d’Or et dont le quartier tire son nom aujourd’hui, la mosquée Molla Zeyrek, surnom de l’érudit Molla Mehmet Efendi qui dirigeait la medersa du complexe après sa conversion en lieu de culte musulman dès la conquête de Constantinople en 1453.



Mais l’histoire de l’édifice remonte au 12e siècle. Il faisait partie d’un complexe monastique construit à la demande de l’empereur byzantin Jean II Comnène et son épouse Irène de Hongrie. Il résulte de la juxtaposition de trois églises dont les absides incurvées apparaissent sur la photo : de gauche à droite l'abside de l'église du Christ Pantocrator (le Tout-Puissant), celle de la chapelle mortuaire Saint-Michel où furent enterrés plusieurs membres de la dynastie des Comnènes, et celle de l'église de la Vierge Éléousa (la Miséricordieuse). Le complexe comprenait aussi un hospice, un hôpital, une léproserie, une bibliothèque et un réfectoire, dont il ne reste que très peu de traces aujourd’hui.
 
Les restaurations extérieures et intérieures sont enfin terminées. L’accès à l’édifice est désormais possible dans le respect des lieux de culte. 
Vous n’y verrez bien sûr ni icône ni relique, et ce n’est pas le fait des conquérants ottomans. Croisés et Vénitiens s’étaient chargés de ce pillage en avril 1204 au cours du sac de Constantinople. Pas de fresques non plus. L’édifice était quasi ruiné à l’époque de la conquête.
De l’extérieur, le monument de briques rouges est identifiable au premier coup d’œil malgré l’ajout du minaret et la disparition des vitraux. L’entrée de la mosquée se fait actuellement par l’exonarthex.


Si l’agencement intérieur ne laisse aucun doute sur sa destination cultuelle, avec mihrab et minbar rutilants, coupoles et voûtes élégamment peintes de motifs non figuratifs, les éléments architecturaux témoignent encore de sa construction d’origine, et plus curieusement quelques symboles chrétiens se fondent encore discrètement dans l'espace. 




Les encadrements des portes des 3 églises en marbre rouge, mais aussi des colonnes à chapiteaux dont une enchâssée dans une construction de soutien, des voûtes en pierres et briques, une croix byzantine et même quelques tessons de mosaïques représentant des symboles du christianisme surmontés des vestiges d'une frise sculptées figurant des oiseaux. 







Et puis, une autre surprise : un coin de tapis soulevé dévoile, sous une structure de verre, une partie de pavement en opus sectile aux formes géométriques, le sol foulé par les moines et les fidèles de l’époque.


Apparu à l’occasion des travaux menés par l’institut Byzantin en 1954, le sol recouvert de mosaïques avait fait l’objet de relevés et de quelques photos trouvés sur le site pallasweb. L’ensemble de ces vestiges lacunaires mais consolidés, d'une incroyable variété de décors, semble-t-il, se trouve désormais sous le tapis rouge à l’abri des regards et des dégradations. 






En cherchant encore un peu sur la toile on peut voir 
sur facebook une version éphémère sans tapis de la mosquée Molla Zeyrek après sa récente restauration.



 

dimanche 2 octobre 2022

Le hammam aux faïences à Zeyrek

 Il y a 100 ans, il y avait 2500 hammams à Istanbul, il n’en reste plus qu’une centaine, dont ceux qui avaient été construits pour de prestigieux commanditaires et réalisés par des architectes de renom. Beaucoup ont subi l’outrage du temps, des séismes, des incendies… L’empire ottoman sur son déclin ne prenait plus en charge leur restauration et ils étaient vendus. Les propriétaires devaient assurer les réparations nécessaires, l’entretien et le maintien en fonction ou non. Certains étaient transformés en galerie marchande ou en dépôt (voir celui de Mahmut Pacha, de Tahtakale…)



Le hammam aux carreaux de faïences d’Iznik, situé entre l'aqueduc de Valens et la Corne d’or, dans le quartier de Zeyrek, compte parmi les chefs-d’œuvre de Mimar Sinan. Il fut construit pour le capitaine corsaire Barbaros Hayrettin Pacha entre 1540 et 1546. Gravement endommagé par le grand incendie de Çibali qui se déclara le 31 aout 1833, il fut aussi vendu. Mais les dernières générations de propriétaires n’ont plus aujourd’hui les capacités financières de les sauver d’un inexorable délabrement. 
Des sociétés les rachètent, et certains ont retrouvé leur splendeur d’antan. Entre autres, le hammam de la sultane Hürrem (Roxelane), quartier Sultanahmet ; le hammam de l’amiral ottoman, Kılıç Ali Pacha, quartier Tophane ; le hammam de Çemberlitaş, tous trois construits par Mimar Sinan au 16e siècle et celui de Cağaloğlu datant du 18e siècle. Mais pour en admirer l’agencement intérieur, l’accès est payant même sans profiter des bains luxueux, ni des soins raffinés.





Le « Çinili hamam », n’échappera pas à la règle après l’inauguration de l’établissement de bains turcs prévue en 2023.
Lui aussi a donc été vendu, il y a plus de dix ans et a bénéficié d’une longue et couteuse restauration.


Mais à l’occasion de la 17e  Biennale d'Istanbul, organisée par la Fondation d'Istanbul pour la Culture et les Arts, le hammam accueille depuis le 17 septembre et jusqu’au 20 novembre 2022, deux installations d'art contemporain des artistes Taloi Havini et Renato Leotta, offrant ainsi aux visiteurs l’occasion de voir cet espace gratuitement.



Le son représente l’élément essentiel des deux installations, spécialement sélectionnées pour être exposées dans chacune des deux parties jumelles du hammam, l’architecture offrant une acoustique de qualité. Les lieux, surtout en matinée, prennent l’apparence d’un sanctuaire de méditation et certains s’allongeant sur la pierre centrale (göbektası) ne semblent pas pressés de le quitter.

 
En attendant de s’y faire nettoyer le corps, ils s’y nettoient l’esprit en portant le regard sur la voute immaculée parsemée d’étoiles, ou sur les quelques panneaux de faïences d’Iznik rescapés disposés en rosaces au milieu du mur de l'iwan opposé à l'entrée et au dessus des entrées des petites salles privées, surmontées de muqarnas.




Ces panneaux identiques de forme hexagonale décorant la salle d’étuve de la section des hommes, sont composés de carreaux hexagonaux, triangulaires et en forme de bande mince. Ils présentent des décors floraux réalisés dans les teintes bleu et turquoise, soulignés de bleu foncé, typique du style Iznik de la première période du 16e siècle.


La section des femmes en était également décorée. Mais aucun n’a subsisté, comme l’ont révélé les travaux de conservation, restauration.
En ne recouvrant pas intégralement de panneaux de marbre les parties basses des murs, les restaurateurs ont eu la délicatesse de respecter par endroits l’emplacement de panneaux de faïences disparus dont les murs de briques portent les traces dans les deux parties des bains.




Une fontaine de marbre monolithique du 19e siècle, en bon état de conservation, se trouve encore au milieu du vestibule de la section des hommes.


Des vestiges de décors peints les siècles passés sont intentionnellement visibles dans le vestibule de la section des femmes et participent au projet de complexe musée-hammam qui aura pour mission de présenter les multiples fonctions du hammam dans l'histoire et la culture ottomane, leurs structures architecturales et leurs décors.



Des objets trouvés lors de la rénovation témoigneront du passé byzantin de tout le quartier. Peut être y avait-il des thermes à cet emplacement?
En effet le hammam était directement alimenté par l’eau de la citerne byzantine connue aujourd’hui sous le nom de Zeyrek sarnıcı située en contre-bas et dont les hauts et épais murs de briques sont visibles depuis le boulevard Atatürk. Elle a la particularité d’être la plus grande citerne en surface existant à Istanbul.
 
Quand on parle d’eau, il ne faut pas oublier le savon et juste en face du hammam se trouve une boutique qui a conservé son aspect provincial qui caractérise le quartier connu comme la petite Siirt, ville du sud-est de la Turquie. La rue est bordée de commerces spécialisés en authentiques produits régionaux que l’on ne trouve nulle part ailleurs à Istanbul. Les injonctions de l’UNESCO de sauvegarder l’habitat et les activités traditionnelles du quartier, restaurants et café, fromageries, épiceries, y compris les nombreuses boucheries qui risquent de froisser l’odorat et la vue des visiteurs de passage, semblent respectées, à défaut des plus élémentaires règles d’hygiène alimentaire.
La remise en fonction du hammam pourrait bientôt changer la donne. Notre modeste mais professionnel marchand de savons pourrait voir aussi sa boutique transformée en succursale de celles qui attirent l'œil des touristes au Grand Bazar !

On y trouve encore les pains en vrac, vendus au poids, de plusieurs variétés de savons, dont le très prisé savon bıttım fabriqué artisanalement à Siirt, Hatay, Elazig et Mardin. A part l’élément indispensable à la saponification, son unique ingrédient est l’huile extraite des graines de pistachier térébinthe, graines comestibles (menengiç) qui grillées et moulues sont consommées dans le sud-est de la Turquie comme une variante du café.


La couleur de ce savon varie du jaune orangé (graine broyée avec les coques) au vert clair (uniquement la graine). Son utilisation régulière est recommandée pour garder une peau douce et saine, des cheveux vigoureux et brillants, sans pellicule. Grâce à ses propriétés antiseptiques, il est efficace pour combattre la plupart des maladies de peau (eczéma, psoriasis, acné, champignons, petites plaies et irritations). Les deux versions ont des vertus identiques. Le voici en compagnie du savon au lait d'ânesse (de couleur blanche, réputé pour ses propriétés hydratantes et raffermissantes) et du savon à l'huile d'olive recommandé par le marchand pour sa qualité supérieure. Le cœur n'est pas encore sec. Les savons doivent etre conservés à l'air libre pour leur permettre de durcir.


D’autres spécialités sont également proposées, garanties sans additifs, ni colorants. Le célèbre savon d’Alep à l’huile d’olive et huile de baies de laurier; le savon à la lavande, à la grenade pour les touches de couleurs mais surtout pour leurs vertus antioxydantes. 


 
Adresse du Çinili hamam: Zeyrek, İtfaiye Cd. No:44, Fatih/İstanbul. Fermé le lundi