vendredi 20 mai 2022

Eskikaraagac, le village des cigognes

L’objectif du jour, c’était le village des cigognes, curiosité signalée par un panneau touristique sur la route entre Bursa et Balıkesir : Leylekköyüqui avait auparavant attiré notre attention, au niveau de la localité Yenikaraağaç, à environ 40 km de Bursa. Mon attrait pour ces volatiles n’est plus un secret pour personne ! La Turquie est sur leur trajet migratoire et ils sont omniprésents dans de nombreuses régions.
Bien avant d’arriver à destination, à proximité du lac d’Iznik, une dizaine de ces grands oiseaux tournoyaient majestueusement dans le ciel comme pour nous confirmer la direction. Pour avoir souvent observé leur vol en Thrace, à la fin de l’été, quand ils se préparent à la migration hivernale vers l’Afrique, impossible de se tromper !
Après la bifurcation, le village d’Eskikaraagac est situé sur une presqu’ile pointant son nez sur le lac Uluabat, réputé pour sa biodiversité.


Toute la région est connue sous le nom de Paradis des oiseaux (Kuş Cenneti). Une tour de guet est dressée près de la place du village pour mieux observer quelques 250 espèces nichant parmi les roseaux et trouvant aux alentours la nourriture à leur convenance, poissons, insectes, vers de terre, baies ou graminées…



Mais les stars sont évidemment les cigognes. Les habitants guettent leur arrivée dès les premiers jours de mars et n’économisent pas leurs efforts pour les accueillir dignement et assurer leur protection !



Le village est membre du réseau européen des villages des cigognes comme d’autres villages en Pologne, Slovénie, Slovaquie, Serbie, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Espagne, Grèce, Allemagne… D’après les panneaux d’information affichés sur le mur incurvé, aucun village de France ne semble faire partie de ce réseau.
Le village s’enorgueillit également de sa célébrité locale, Adem Yılmaz, un pêcheur dont la statue se dresse, immortalisant les relations très amicales qui le lient avec l’un de ces échassiers qu’il a nommé Yaren depuis qu’il s’est posé sur sa barque en mars 2011. 


Chaque printemps, il revient et ensemble ils pêchent quotidiennement pendant six mois. Cette amitié exceptionnelle a même fait l’objet d’un documentaire réalisé par Burak Doğansoysal, « Oncle Adem et Yaren la cigogne », qui a été nommé meilleur documentaire aux Prague Film Awards en 2020.


Des moments précieux ont été aussi capturés par le photographe animalier Alper Tüydeş depuis 2015. 


En 2019, le compagnon (ou la compagne) de Yaren s’est aussi invité sur la barque, procurant au pêcheur un supplément de bonheur.


La municipalité locale a lancé un site Web en 2021 : yarenleylek.com pour regarder le nid en direct 24h/24 et 7j/7, où se trouve Yaren et son (sa) partenaire.
 
Pour le moment les canards barbotent près de la berge en espérant récupérer les vestiges d’une dégustation de gözleme (sorte de crêpe) fourré aux herbes, spécialité confectionnée par les villageoises.





 
La pause est sympathique et délicieuse, mais nous sommes impatients d’apercevoir les cigognes et il nous tarde d'arpenter les ruelles du village où elles nichent en hauteur à l'abri des prédateurs terrestres.



La proximité des habitations ne les dérangent pas, au contraire. Les toits, les poteaux électriques font souvent l’affaire, même quand la municipalité locale met à leur disposition des poteaux à plateforme pour leur facilité la tâche ! 
Elles sont là depuis deux mois et en ce moment bien occupées à nourrir et tenir au chaud leur progéniture. Pas facile de les apercevoir. Juste une tête et un long bec dépassent parfois furtivement du nid ! Mais la chance nous sourit. Les villageois nous en désignent un en particulier : Yaren et son congénère se sont dressés sur leurs pattes pour se dégourdir un peu !

 
Arrivés le 7 mars 2022, leur premier oisillon a cassé sa coquille le 11 mai. Le 19 mai, sur la vidéo en direct filmée par la caméra fixe, on peut en voir trois. Le quatrième œuf n’a pas encore éclos. Sachant que leur espérance de vie est de 20 à 30 ans, on peut souhaiter à Adem encore quelques saisons de belle complicité ! La progéniture de Yaren aussi lui sera peut être fidèle !
  

vendredi 6 mai 2022

Les trésors du Pérou au Palais de Chaillot

En janvier 2018, nous avions été captivés par l’exposition temporaire "Le Pérou avant les Incas" au musée du quai Branly, mettant déjà à l’honneur les différentes cultures andines Cupisnique (1250 à 100 avant notre ère), Mochica (100 à 800), Nazca (100 à 600),  Huari (700 à 1100), Sicán/Lambayeque (750 à 1375), Chimú (1100 à 1470), Chancay (1200 à 1450), portant les germes du vaste et éblouissant empire des Incas (1438 à 1572) dont l’arrivée des conquérants espagnols provoqua le brutal effondrement.
Nous récidivons, malgré un tarif rédhibitoire de 24€, avec celle proposée à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, au titre alléchant « Machu Picchu et les Trésors du Pérou » pour raviver les souvenirs d’un voyage en 2011.  



La thématique est sensiblement la même pour cette nouvelle exposition.
Tandis que 300 objets en provenance du musée Huacas del Valle de Moche à Trujillo, et de différents sites archéologiques, étaient exposés au musée du Quai Branly (tarif plein:12€) avec l’aimable autorisation de Santiago Uceda Castillo (1954-2018), archéologue et directeur du musée péruvien, ceux-ci proviennent en grande majorité du musée Larco de Lima fondé en 1926 à Trujillo par l’archéologue péruvien Rafael Larco Hoyle (1901- 1966), musée déplacé à Lima en 1962 et détenant plus de 45000 pièces.
Les 192 artefacts exposés au palais de Chaillot sont donc le résultat d’une sélection drastique supervisée par le directeur du musée Larco de Lima, Andres Alvarez Calderon, petit-fils du fondateur, et visant à décrypter une histoire des cultures andines sans écriture, sur une période de 3000 ans, ayant réussi l’exploit de se développer dans l’environnement hostile du désert qui borde la Cordillère des Andes.
 

Cruche en céramique mochica (100-800) représentant la pomme de terre mythologique
 
Mode de vie, croyances, organisation sociale, politique et religieuse sont racontées par des objets de grande qualité témoignant des prouesses techniques et artistiques. Des céramiques au réalisme étonnant ou d’apparence terrifiante, des métaux précieux façonnés, des pierres colorées et des coquillages habillement taillés, des textiles remarquables, du bois sculpté, ouvrent une fenêtre sur ces civilisations disparues.

 

La culture Cuspinique (1250-100 avant notre ère) a développé les systèmes d’irrigation inventé par les premiers agriculteurs de la culture Caral (3000 à 1500 avant notre ère) ayant permis la culture du manioc, maïs, courges, patates douces et haricots.
Les chamanes entretenaient déjà une relation cosmologique avec le monde animal et végétal. Ils étaient considérés comme des médiateurs entre les êtres humains et les esprits de la nature, les divinités.
 

Un tambour en céramique à décor polychrome. Les cérémonies étaient ponctuées d'une musique rythmée et envoutante. Par le motif de masque funéraire, l’instrument est relié aux ancêtres, source de toute régénération. Culture Nazca (100-600)
 

Cruche nasca à anse étrier et décors de fleurs et colibris stylisés
 
 
 
Cruche décorée de spirales symbolisant l’eau et les cycles des saisons. Culture Mochica (100-800)


Reproduction d’une fresque murale de la Huaca de la Luna située à proximité de la ville de Trujillo, représentant Ai Apaec, figure mythologique des Mochicas.

(© Musée Larco, Lima-Pérou)


L’apparence d’Ai Apaec est présente sur de nombreux supports dont un masque funéraire en cuivre avec des crocs de félin en coquillage, et des céramiques illustrant ses combats notamment avec le crabe, non pour le tuer mais pour que le crustacé lui donne le pouvoir de ses pinces qui lui permettront de grimper sur les rochers, marcher dans le sable et suivre le Soleil dans le monde marin.
 

Ornements d’oreilles avec mosaïque de l’oiseau-guerrier, en or, turquoise, nacre et coquillage, culture Mochica
 

Cruche modelée et peinte représentant un guerrier mochica
 

Les guerriers portaient des tuniques ornées d’appliques métalliques qui brillaient et tintaient durant les combats rituels combinant performances et chorégraphies théâtrales. Les vaincus étaient sacrifiés en offrande aux divinités afin de maintenir l’ordre et le bien-être de la communauté. En échange, les dieux protégeraient les cultures des grandes sécheresses ou des pluies diluviennes.
 

Pectoral de cérémonie en or et turquoises d’un dignitaire mochica.
 


Céramique à anse étrier de la culture Mochica représentant la cérémonie du sacrifice et présentation de la coupe. Deux divinités y apparaissent, le dieu Soleil symbolisant la saison sèche et le dieu de la Voie Lactée représentant la saison des pluies. 
 



Des animaux étaient aussi rituellement sacrifiés
 

Culture Lambayeque (750-1375). Les momies étaient enterrées avec des tuniques (upkus) et des jupes tissées aux points noués de fils de coton et de fibres d’alpaga teints avec de pigments extraits de plantes et d’insectes. Ce textile, rappelant les kilims turcs, est orné d’un motif de vagues et d’un personnage portant des vêtements similaires. Les vagues étaient destinées à engloutir le personnage pour l’amener dans les profondeurs de l’océan, dans le monde des ancêtres.
 

Bol cérémoniel or et argent avec scène mythologique ciselée, culture Chimú (1100-1470).
 

Figure d’ancêtre Chimú taillée dans le bois honorant le passage des défunts vers le monde des ancêtres. Il accueille aussi les pèlerins à leur arrivée sur les lieux de célébration. Entre ses mains le keros, coupe cérémonielle en bois contenant la chicha, boisson de maïs fermenté que l’on transportait dans les urpus de céramique. 
 
 
Les parures que portaient les dirigeants, les accompagnaient dans leur sépulture, dont celle-ci, toute en or massif d’un dirigeant Chimú
 


Ou cette autre parure funéraire en argent
 

Un quipu inca en fibre animale s'inspirant des cordes à nœuds déjà utilisées par la culture Huari (500-1200) pour conserver des informations historiques et administratives, des registres comptables détaillés. Ce système ingénieux a probablement été inventé dès la culture Caral. Les Incas ont développé l’utilisation de cette technique.  
 
Une scénographie muséale spectaculaire (animations sur les murs, lumières colorées, fond sonore) est censée nous immerger dans ce monde fascinant mais la richesse et la diversité des remarquables objets archéologiques avaient-elles besoin de ces artifices ?
 

Quant au Machu Picchu, joyaux de l'art de la construction antisismique des Incas, son survol par drone projeté sur grand écran est certes impressionnant mais ne dévoile rien de plus que de belles images.
 
Aucun commentaire sur l’expérience de réalité augmentée promettant des sensations de parc d’attraction puisqu’on l’a évitée, préférant garder intact le souvenir de la lente montée du Machu Picchu Train, depuis Ollantaytambo jusqu’à Aguas Calientes qui nous avait permis de ne rien manquer de la diversité des paysages : vallées fertiles, rivière sacrée des Incas (Urubamba) qui décrit un grand arc en contrebas d’une falaise de 600 mètres, collines ornées de terrasses, forêt luxuriante, puis pentes arides conduisant vers la mystérieuse cité Inca, perchée à 2438 mètres d'altitude avec ses édifices harmonieusement intégrés à l'environnent naturel époustouflant. 
Les conquistadors espagnols ne l’ont pas trouvée. Elle est restée à l’abri des regards pendant 500 ans.

Sources: