lundi 25 octobre 2021

Kibyra, cité gréco-romaine sous la protection de Méduse

Tous les innombrables sites gréco-romains en Turquie offrent des vestiges plus ou moins bien conservés mais chacun d’entre eux sort du lot par l’une de ses monumentales architectures qui a réussi à traverser les siècles en gardant des caractéristiques remarquables, au gré des aléas de l’histoire et des catastrophes naturelles. Parfois ce sont des textes fondamentaux gravés dans la pierre qui apportent de précieux témoignages ou bien un élément de décor se distinguant par sa singularité.

C’est sans aucun doute le pavement de l’orchestra de l’odéon qui a motivé notre visite à Kibyra, sur la route du retour de Kaş à Istanbul.

 
Au niveau de Çavdar, le site est indiqué à 7km. Il faut quitter la route principale pour se diriger vers Gölhisar, la bourgade actuelle à proximité de la ville antique.
Kibyra était située à l'intersection d'anciennes routes reliant ces contrées aux limites un peu floues. Sagalassos en Pisidie se trouve 150 km au nord-est, Hiérapolis en Phrygie à 120 km au nord, Aphrodisias en Carie à 130 km au nord ouest, Sardes en Lydie à 250km au nord ouest et Patara en Lycie à 140 km au sud.
 
On pense que la cité fut fondée par une tribu guerrière d'origine lydienne qui se serait installée au début de la période hellénistique (4e et 3e siècles avant notre ère) dans cette région qui s’appelait Kabalia. Elle fut rattachée au royaume de Pergame sous le règne d'Eumène II entre 197-158 avant notre ère. Après cette période, une fédération nommée Kibyratis fut créée à Kibyra, avec Boubon, Balbura et Oinoanda, cités à proximité géographique. Cette union fut dissoute par les Romains en 82 avant notre ère et elle fut rattachée à la province romaine d’Asie, tandis que les autres étaient annexés à la province de Lycie.
Cette cité plurilingue (lydien, solymien, grec et pisidien) et multiculturelle connait un remarquable développement urbain. Sur les collines rocheuses dominant le lac et la plaine, les édifices publics, civils et religieux ont été construits de façon  à ce qu'aucun d’eux ne perturbe la vue dégagée sur l’environnement.
Un séisme ravageur s'est produit en 23 mais les reconstructions furent entreprises rapidement grâce au soutien financier de l’empereur Tibère (règne de 14 à 37). La ville est ensuite nommée Césarée Kibyra en son honneur. Sa puissance régionale connut son apogée entre le 1er et 3e siècle.
 
Un autre tremblement de terre secoua la ville en 417, mais la détérioration des conditions économiques ne permit pas le financement des reconstructions nécessaires. Le déclin démographique affaiblit progressivement Kibyra qui fut abandonnée de ses derniers habitants au 9e siècle.
 
Des relevés du site ont été effectués au 19e siècle par les Britanniques T.A.B Spratt et E. Forbes.
A partir de 1988 des prospections ont été menées par la direction du musée de Burdur afin de mettre à l’abri et exposer quelques artefacts qui auraient pu tenter les pilleurs, en particulier les frises de la nécropole retraçant les combats de gladiateurs. Les recherches épigraphiques se poursuivent depuis 1995.
Les premières fouilles systématiques et régulières ont commencé en 2006 sous la direction de Şükrü Özüdogru, professeur du département d'archéologie de l'université Mehmet Akif Ersoy et sont toujours en cours.
 
Les artefacts et les vestiges architecturaux ont confirmé l’importance provinciale de Kibyra dotée d’une armée puissante, d’installations municipales, d’institutions administratives et judiciaires bien établies, d’industries florissantes telles que la poterie, la ferronnerie, la tannerie, et l'élevage de chevaux. Elle offrait aussi des divertissements appréciés par la population romanisée de toute la région.  


Le stade, l’un des plus grands d’Asie Mineure, long de plus de 200 m, pouvait accueillir 12 000 spectateurs sur 21 rangées de gradins adossés à la colline rocheuse, et 7 rangées sur le côté opposé. 


Dans les tribunes des sièges protocolaires à dossier étaient réservés aux invités de marque.

 
L’agora est traversée par une avenue en terrasse bordée de colonnes, qui conduisait du stade au théâtre. Dans la partie inférieure se trouvaient les boutiques, tandis que la partie supérieure était réservée aux activités sociales.



 
L’avenue principale montait vers les terrasses.

 
Le théâtre adossé à l’autre versant de la colline principale, domine aussi la plaine, tout comme le stade. D’une capacité de 2000 spectateurs, il est encore en cours de déblaiement et de consolidation.

 
L’odéon, aux dimensions impressionnantes est remarquablement bien conservé. 


La structure interne, qui compte 31 rangées de sièges, l’est également. 


Il est à noter que ce grand édifice était couvert et chauffé. Des éléments de la toiture détruite au 4e siècle lors d’un incendie ont été retrouvés et donnent de précieuses informations sur les techniques de construction des toits dans l'Antiquité.
Le bâtiment, destiné aux concours et spectacles musicaux, servait aussi probablement de bouleutérion, lieu de réunions administratives, électorales ou judiciaires. La présence d’une scène indique que des représentations théâtrales s’y déroulaient en hiver. Elle était recouverte de marbres colorés ainsi que la façade intérieure.


La construction date du 1er siècle de notre ère et dès cette époque le sol de l’orchestra fut décoré de la remarquable représentation de Méduse, figure mythologique et protectrice qui avait le pouvoir de transformer en pierre les personnes malveillantes d’un simple regard. On peut faire un rapprochement avec le panneau central d'une mosaïque de tesselles ornant le sol des thermes de Dioclétien, daté de la même époque (Musée des Thermes de Dioclétien, Rome), mais la composition de l’odéon de Kibyra est en fragments irréguliers de marbres colorés (blanc veiné de rouge, vert, gris et bleu) découpés précisément pour l’assemblage des formes et beaucoup plus grands que les pièces de mosaïque habituelles.


Les fiches de l’UNESCO concernant Kibyra mentionnent à ce sujet : « Il est attesté que cette technique de l'Opus Sectile a été utilisée pour la première fois dans une figure de Méduse, avec de minuscules détails de son physique et de ses ornements, notamment un casque ailé, les cheveux bouclés et des serpents. »
Elle a été restaurée en 2012 avec les pièces d’origine à 95% et est exposée in situ.
Espérons que les éléments climatiques ne l’endommageront pas !
Tombées du ciel menaçant, les premières gouttes de pluie viennent justement de consteller Méduse !
 
Le pavement de mosaïques recouvrant le sol de la stoa devant l’édifice, sur une surface de 550 m², a été réalisé au 3e siècle. 



Retrouvé presque intact en 2011, il est composé de panneaux aux motifs géométriques juxtaposés et constitués de tesselles noires et blanches. Il est conservé à son emplacement d'origine et les inscriptions relatent la construction de l'odéon et son financement.
 
En 2016, la structure d’une fontaine a été excavée au niveau de la troisième terrasse de l’agora considérée comme le cœur socioculturel de la cité. Des colonnes supportaient un toit conique. Sa construction date probablement de la première moitié du 1er siècle. On y accède par une volée de marches. 




Des canalisations en terre cuite ont été retrouvées et viennent compléter les informations en matière d’approvisionnement en eau. Une restauration est prévue pour que la fontaine retrouve son fonctionnement initial.

En contrebas du stade, les tombeaux de la nécropole s'étagent de part et d'autre d'une avenue pavée. 



C'est ici qu'ont été découvertes les frises représentant des scènes de combats de gladiateurs et de combats avec des animaux sauvages. Elles sont exposées au musée de Burdur.
 
Sur le site règne encore en ce mois d’octobre une fébrile activité. En 2019 un buste en marbre sans tête avait été trouvé, et en 2020 la partie manquante excavée permit d’identifier Sérapis, divinité syncrétique gréco-égyptienne. Cette année, une statuette du dieu grec de la santé Asclépios, détériorée dans un incendie a retrouvé son intégrité.  
 
Sources:
Publication Cedrus 2018 en PDF: 

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