mardi 19 octobre 2021

Patara, cité portuaire antique en Lycie

Si la plage fascine les touristes locaux et étrangers avec ses 15 km de sable doré sans aucune construction hôtelière à l’horizon, et sa zone de frai protégée pour les tortues marines Caretta Caretta, Patara est surtout un site antique majeur de la Lycie à découvrir derrière les hautes dunes de sable.


Nous avions visité il y a deux ans Andriake avec ses vestiges d’installations portuaires liés à la cité antique Myra, et son emblématique 
granarium restauré pour abriter le musée des civilisations lyciennes.
Le port antique Antiphellos (Kaş) était lui aussi éloigné de plusieurs kilomètres de la cité Phellos.
A Patara, sur l’estuaire aujourd’hui ensablé d’un affluent du fleuve Xanthos, le port et la cité ne faisait qu’un.
 
Depuis notre première visite en automne 1992, un travail considérable a été accompli par les archéologues du département d'archéologie de l'université Akdeniz. Les prospections, documentations et fouilles systématiques ont débuté en 1988 sous la direction de l’archéologue turc Fahri Işık et se poursuivent toujours avec l’archéologue Havva İşkan Işık. Si les excavations, consolidations et conservations des vestiges sont unanimement approuvées, le programme de restitutions, de restaurations, et de mises en valeur est parfois contesté et la directrice s’en explique dans des interviews dont celui-ci visible sur la plateformeYouTube (en turc).
 
Patara a depuis longtemps attisé la curiosité des voyageurs. En mission sur les lieux en 1838 et 1840 Charles Texier, archéologue et architecte français, consigna ses observations confirmant les dessins que la britannique Société des Dilettantes (Society of Dilettanti) avait publié à la fin du 18e siècle. L'archéologue O. Benndorf et l'architecte G. Niemann sont venus à Patara en 1881. Ils ont réalisé des recherches sur les ruines et les premières photographies. O. Benndorf reviendra à Patara en 1892 avec E. Kalinka qui s’attellera à répertorier pendant deux ans le matériel épigraphique lycien et grec de la région.
 
Les dernières prospections de la colline Tepecik (7 sur le plan du site et en jaune) témoignent d’une présence habitée entre le 10e et 7e siècle avant notre ère par datation de tessons de céramiques. Des inscriptions hittites du 14e siècle avant notre ère mentionnaient déjà l’existence de cette cité du peuple Lukka sous le nom de Patar en hittite et Pttara en lycien.

 
Les vestiges visibles aujourd’hui appartiennent pour la plupart à la période romaine (en rouge sur le plan).   
Le théâtre (25 sur le plan) a sans doute été érigé à la période hellénistique (en bleu sur le plan) mais les dernières constructions ont été réalisées en 147. A moitié enseveli sous le sable il a été entièrement dégagé et consolidé par la remise en place de quelques éléments épars.



 
La grande nouveauté est bien sûr la découverte en 1991 du plus grand bâtiment administratif d'Asie Mineure.




L’édifice de l’Assemblée de la Confédération Lycienne (23 sur le plan) était complètement enfoui sous le sable et la végétation. Endommagé certes, il a pu être reconstitué en grande partie avec les blocs de pierre d’origine. De 2008 à 2012 il a été restauré avec le soutien de l’Assemblée nationale turque comme en atteste l’inscription à l’entrée du bâtiment faisant, de façon quelque peu ostentatoire, pendant aux pierres gravées de textes honorifiques antiques !

 
Sa construction coïncide avec la fin de la période hellénistique, 2e et début du 1er siècle avant notre ère, lorsque la Ligue Lycienne qui existait probablement depuis des siècles, se dote d’un lieu de rencontre pour accueillir les représentants de toutes les cités membres, élus lors de cérémonies se déroulant au sanctuaire du Letoon. En effet la Lycie était parvenue à conserver une liberté relative avec ses institutions fédérales sous l’empire des Achéménides puis sous la domination des Romains. Mais elle fut concédée à Rhodes de 188 à 168 avant notre ère, et en 178 la Lycie se plaignit au Sénat Romain des maltraitances que les Rhodiens faisaient subir à la population. C’est ainsi qu’elle retrouva momentanément son autonomie et, qu’avec le consentement de Rome, elle fonda sur des principes démocratiques la Confédération Lycienne de 23 cités dont les plus importantes Xanthos, Patara, Pinara, Olympos, Myra et Tlos bénéficiaient de trois suffrages. Les réunions se déroulèrent désormais dans l’hémicycle de pierre. 


On peut imaginer aujourd’hui le Lyciarque, magistrat élu, présidant aux affaires civiles et religieuses depuis son large siège incurvé au milieu des gradins et les débats se déroulant dans cette assemblée fédérale, considérée par Montesquieu, dans son traité L'esprit des lois, comme « Un modèle d’une belle république fédérative ». 
Sous les protections en verre du sol de l’orchestre on voit les dalles en marbre cippolino gris-vert d'origine italienne.


A la période impériale, la Lycie fut annexée à la Pamphylie et devient province romaine avec pour capitale officielle Patara et pour gouverneur Sextus Marcius Priscus, sous les règnes de Claude (43-51) et de Néron (51-69).
L’édifice devint le siège des Gouverneurs romains pour y organiser la flotte et établir les transactions commerciales avec les provinces de l’Est.
C’est durant cette période que fut construit le phare (35 sur le plan) situé à l’ouest du port, non accessible pour le moment. Ses vestiges ont été dégagés d’une immense dune de sable en 2004-2005. Presque tous les éléments ont été retrouvés et minutieusement étudiés pour les assembler à l’identique et reconstituer la tour et son podium tel que l'empereur Néron le souhaitait « pour la sécurité des marins et des passagers », selon des inscriptions en lettres de bronze doré. Le phare devrait à nouveau se dresser dans le paysage en 2022.
Le port servait aussi de réserve pour les produits agricoles en attente d'expédition vers Rome. Le granarium d’Hadrien (117-138) situé a proximité du phare en atteste (36 sur le plan).
 
Sur l’agora devant le bâtiment administratif est exposé l'Arbora IV, embarcation expérimentale conçue sur le projet de l’explorateur allemand Dominique Goerlitz voulant prouver que les relations commerciales entre la mer Noire et la Méditerranée étaient possibles dès l'âge du bronze, notamment pour les Egyptiens.



Le drakkar équipé d'un mât en bois, de deux voiles en lin et de planches de dérives verticales a été construit près de la ville portuaire bulgare de Varna. 


Sa structure en roseaux totora du lac Titicaca, a été réalisée sous la direction des Indiens Aymara. Sa mise à l’eau s’est effectuée le 16 août 2019, avec à son bord 12 membres d'équipage. Il a franchi des voies aussi difficiles que le Bosphore, les Dardanelles ou la région des Cyclades avant de longer les côtes lyciennes et terminer son voyage maritime de 1300 km dans le port de Kaş le 19 septembre 2019 sous les applaudissements du public, puis transféré à Patara. Directrice des fouilles de la ville antique de Patara la Prof. Dr. Havva İşkan Işık, a exprimé ainsi sa fierté qu'un important projet archéologique y soit exposé : « En termes d'histoire scientifique et maritime, ce navire convenait au port de Patara qui s'est ouvert sur le monde en Lycie et était l'un des plus grands ports méditerranéens. »
     
Partant de l’agora (24 sur le plan), une large avenue bordée d’une colonnade s’avançait jusqu’au port. Une partie de cette artère principale a été restituée tandis que le dernier tronçon effondré est immergé dans les marais.



Les vestiges du portique ouest et de magasins longeant l’avenue témoignent d’une activité économique florissante. On y constate les traces de reconstructions ultérieures (après le 3e siècle) avec réemploi d’éléments provenant visiblement d’autres structures. Les codes de déontologie archéologique n'existaient pas à l'époque!


 
Trois vestiges de thermes romains se trouvent à proximité. Des fouilles plus approfondies sont en cours. 



Les thermes dits de Néron (18 sur le plan), les thermes centraux (20 sur le plan) et les petits thermes (21 sur le plan) dont la structure du caldarium présente un pan arrondi.
 
Un grand buste d'Apollon a été découvert sur une colline, ce qui indique l’existence d’un temple d'Apollon à proximité mais pas encore précisément localisé. Selon une légende, la cité aurait été fondée par le fils d'Apollon, Pataros, et sa mère, la Nymphe Lycia, sur le lieu de naissance d’Apollon.
Des inscriptions ont révélé que Patara était célèbre pour son oracle d'Apollon qui s'y tenait durant les mois d'hiver.
 
La porte monumentale (9 sur le plan) qui fut construite en 100 pour le gouverneur romain Mettius Modestus, se dresse toujours à l’entrée de la cité.

 
Plusieurs églises et une basilique (17 sur le plan et en bleu turquoise) sont construites dans la ville à partir du 4e siècle confirmant que le christianisme, de religion admise, est devenu religion officielle de l'Empire Romain. Saint Paul aurait embarqué de Patara pour son voyage missionnaire vers la Phénicie au milieu du 1er siècle. C’est aussi le lieu de naissance de Saint Nicolas vers 270.  
 
L’inexorable ensablement du port provoquera un lent déclin de la cité qui sera abandonnée au 12 e siècle.
 
Afin de promouvoir les vestiges remarquables qui contribuent à l’attrait touristique, Patara a été décrété site de l’année 2020 par les autorités turques, après l’année de Troie en 2018 et l’année de Göbeklitepe en 2019.

 
Arkeolojihaber: Arrivée de l'Arbora IV à Kaş (en turc)

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