vendredi 29 septembre 2023

ArtIstanbul Feshane

 
Feshane, première industrie textile turque fondée par le sultan Abdülmecid, est un lieu symbolique des innovations entamées sous son règne. La production de fez y débuta en 1839 et se poursuivit jusqu'à l’avènement de la République Turque qui prohiba en 1925 le port de ce couvre-chef considéré comme un symbole d’une époque révolue et incompatible avec la notion de modernité et de laïcité.
Recyclée dans la confection de vêtements, puis de tissus, la fabrique ferma définitivement ses portes en 1986 pour cause de pollution de la Corne d’or.
Evitant de justesse la démolition, une première réhabilitation de la bâtisse en proposa un espace d’expositions et de congrès à partir de 1998. On pouvait à l’époque se féliciter de ce sauvetage, mais dans les années qui suivirent, son affectation à la vente des produits d’artisanat traditionnel, de médiocre qualité pour la plupart, fut plus que décevante, (visite en janvier 2011). Quand on lui flanqua un grand parc de jeux et d’attractions diverses, le projet soi-disant culturel fut complètement dénaturé et n’attira plus grand monde.
 
L’information d’une réouverture récente, après des travaux d’envergure entrepris en 2018, réalisés pour IBB Miras (municipalité d’Istanbul, Héritage), a piqué ma curiosité surtout après avoir vu en avril dernier d’autres réhabilitations d’édifices historiques plutôt réussies !
Citerne byzantine du parc de Gülhane et Cendere Sanat, historique station de pompage ottomane.
En ce qui concerne Feshane, la récente mise en service de la ligne de Tramway T5 : Eminönü – Alibeyköy, rend les lieux très facilement accessibles en correspondance avec la station de métro Haliç (ligne M2). Une autre bonne raison d’y aller faire un tour sans plus attendre.
Exit la peu esthétique toiture verte que l’on voyait de très loin !
Les restaurations ont concerné aussi les murs porteurs en briques du bâtiment, les piliers métalliques contrôlés un par un et remplacés à l’identique si nécessaire. Les murs extérieurs ont retrouvé leur apparence d’origine, la porte monumentale aussi. 


J’avais lu quelque part en 2021 qu’un musée soufi était en projet pour la nouvelle affectation de l’édifice, couplé avec un musée de littérature, une bibliothèque et des espaces d'exposition multifonctionnels, avec l’objectif de création d’une zone culturelle et artistique importante sur les rives de la Corne d'Or qui a bénéficié d’un lifting efficace ces dernières années.


Je ne m’attendais donc pas du tout à y trouver de l’art contemporain, mais la surprise se révéla plutôt agréable !


Mercan Dede n'est pas que musicien! mais explorateur multidisciplinaire. «Ancient Time Machine 1» 

«Ortadan Başlamak», Commencer par le Milieu est une proposition originale et bien anticonformiste quand il est convenu d’entendre depuis toujours qu’il faut commencer par le début ! Et de fait, l’espace est si ouvert qu’on hésite à partir de ce côté-ci plutôt que de l’autre !



Il ne reste plus qu’à flâner dans ce dédale, guidé par ses émotions. On y rencontre des noms plus ou moins connus

Mehmet Güleryüz Stamboli: Şehre doğru (diptik) 2012, huiles sur toiles, 250X180

Des techniques originales comme de l'acrylique sur tulle ou une sculpture de papier journal...
  


De la dérision, de l’ironie et de l’humour

Mevlut Akyıldız "Terazi, Lastik, Gymnastik's", 2020, 200X300, huile sur toile.
L'effet comique des mots du titre inspiré d'une comptine sans queue ni tête, semble se transmettre à l'athlète virevoltant dans son cerceau à la manière d'une ballerine.
 
L’espace offre aussi une salle de conférence, une cafétéria et la bibliothèque Naile Akıncı riche en livres d’art en turc et autres langues.



Après avoir vu l’exposition de ArtIstanbul Feshane, je comprends mieux les violentes interventions à plusieurs reprises, dès l’inauguration en juin, puis en juillet 2023, les tentatives de sabotages, les menaces de censure sous les accusations de propagande LGBTI+ et d'éloge du socialisme jusqu'à provoquer une brève fermeture de l’exposition, consentie sans doute pour tenter de calmer les esprits vindicatifs.

Ozan Alp Yüksekyılmaz et Pırıltı Onukar, film d'animation "Süveydâ" et installation, "Süveydâ", 10 min 14 s, 2022

"Nous sommes des travailleurs, nous sommes dans notre droit, nous gagnerons" Ce n'est pas de la propagande! C'est une affirmation que des grévistes sont en droit d'exprimer. L'installation dont fait partie cette illustration a fait polémique, ainsi que d'autres... Dont celle-ci peut-être


Je désapprouve évidemment cette attitude indigne, intolérante et réactionnaire, mais j’imagine le dépit de ce groupe de fanatiques et leur rage en découvrant le foisonnement d’imagination, la liberté de pensées qui émanent de la plupart des œuvres exposées, en lieu et place de respectables manuscrits contenant des sourates millénaires, des pages de Coran et les précieuses œuvres soufies qu’ils attendaient !
Vaines attaques qui n’ont pas fait céder la municipalité qui voit ici l’occasion d’affirmer la victoire de la lumière contre les ténèbres ! L’éducation contre l’ignorance ! Visiblement les artistes ne sont pas les seuls à s'engager dans ce combat !

Quelle belle et enrichissante occupation, la lecture !
 
Et de fait, l’exposition inaugurée le 22 juin 2023 sur un espace de 8000m2, plus de 400 œuvres d’art contemporain, de 300 artistes sélectionnés par 19 commissaires, est lumineuse et parfaitement à sa place dans cette bâtisse historique d’exception.
 

 
Nişanca, Zalpaşa Cd, Pk. 34050 – Eyupsultan / Istanbul
Station Feshane, accessible en tramway Ligne T5 : Eminönü – Alibeyköy ou en bateau
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h00 et 18h00.
Entrée gratuite

Sources: 
 

mercredi 27 septembre 2023

Les fouilles archéologiques de Perinthos/Heracleia officialisées

 
A environ 90 km d'Istanbul et à 43 km de Tekirdağ, la ville antique de Perinthos/Héracleia, se situe dans le district de Marmaraereğlisi de la province de Tekirdağ, sur la côte nord de la mer de Marmara (Propontide). On y accède par l’autoroute Istanbul-Tekirdağ-Çanakkale-Izmir qui passe à proximité et qui est aujourd'hui un important axe routier, surtout depuis la mise en service en mars 2022 du pont sur le Détroit des Dardanelles. La petite ville provinciale endormie qui ne sort de sa torpeur qu’avec l’arrivée des estivants locaux, pourrait bien devenir un attractif centre culturel selon les espérances avouées du maire, Hikmet Ata.
Car c’est officiel, des fouilles archéologiques systématiques ont commencé en 2021 par décret présidentiel n° 4065 et autorisation de la Direction générale du patrimoine culturel et des musées du ministère de la Culture et du Tourisme.
Il va sans doute falloir patienter plusieurs années pour en voir les premiers résultats significatifs, mais à l’occasion d’une visite du phare historique, on a pu constater les traces d’une activité archéologique tout à fait conventionnelle avec numérotation de secteurs et quadrillage de zones. Des barbelés protègent déjà les secteurs d’excavations afin de dissuader les visiteurs malintentionnés. 

Mais le berger peut tranquillement y faire paitre son troupeau.


Le site a fait l’objet à maintes reprises de fouilles illégales par le passé et risque d’être encore plus convoité actuellement.
Négligée pendant des décennies alors que de nombreuses fouilles de sauvetage ont été ponctuellement entreprises, un bon nombre de rapports rédigés, des artefacts collectés et protégés dans les musées de Tekirdag et d’Istanbul, et même dans des musées étrangers, Perinthos fut l'une des cités les plus florissantes du monde antique. Située sur la route commerciale reliant la mer de Marmara à la mer Égée et à la mer Noire, elle a bénéficié de cet emplacement stratégique autant maritime que terrestre. Les terres fertiles et bien irriguées de la région ont contribué à sa richesse par l’exportation d’une grande partie de sa production de céréales.
Son rayonnement en Thrace tant administratif qu’économique fut comparable à celui d’Ephèse sur la côte égéenne.  C’est en tout cas ce qu’affirmait déjà le Prof. Dr. Mustafa H. Sayar de l’Université d’Istanbul que j’avais rencontré en 2009 sur le site de fouilles de la basilique byzantine du 6e siècle, en plein centre de Marmaraeğrelisi. C’est aussi l’avis du Prof. Dr. Zeynep Koçel Erdem en charge de la direction des fouilles entamées par l'Université des Beaux-Arts Mimar Sinan, en 2021 et devant se poursuivre un certain nombre d’années.


Il est grand temps de soustraire Perinthos au désintérêt et à l’indifférence du public ! Les scientifiques et certains passionnés de vestiges archéologiques sont déjà conquis.
 
Les premières informations sur la ville antique, bien que limitées, sont données par des sources anciennes (Hérodote)
Les premiers documents sur Perinthos se trouvent dans les archives de Cyriacus d'Ancon (1391-1453/55) humaniste et antiquaire italien itinérant, considéré comme le Père de l'Archéologie avec son ouvrage Commentaria en sept volumes illustrés par ses dessins dans lequel il a rédigé des descriptions détaillées de monuments et de vestiges antiques de la Méditerranée orientale.
Les premières études scientifiques ont été menées en 1898 par Georges Seure (1873-1944), archéologue français, helléniste et professeur d'université. Elles ont porté principalement sur le théâtre et la basilique et les inscriptions qu'il y a trouvées. Ernst Kalinka, publia également quelques inscriptions en 1900.
 
Des scientifiques turcs se sont ensuite intéressés à Perinthos à partir des années 1960.
Feridun Dirimtekin(1966), Zafer Taşlıklıoğlu (1971), Mustafa Hamdi Sayar (publication de thèse de doctorat, 1998),  Nezih Fıratlı, Nuşin Asgari, M. Akif Işın (1981, 1983, 1987, études topographiques, sondages et fouilles de sauvetage)
 
Les fouilles de sauvetage initiées par le musée archéologique de Tekirdağ ont fourni des informations importantes sur les structures monumentales de la ville antique telles que la basilique (Öztürk 2009 ; Yeşil-Erdek 2014) sur les zones de tumuli et de nécropoles (Öztürk 1999, 2000, 2001), et la plupart des ruines de la région ont été enregistrées dans le livre d'inventaire culturel de Tekirdağ, 2014, 204-231. Certains tumulus de Perinthos et de ses environs ont été examinés dans le cadre d'une thèse de doctorat sur les tumulus de Thrace (Yıldırım 2008, 194).
 
Les tombes de Kamaradere et Kiremitlik, constituant les grandes zones de nécropole de la ville antique, ont été fouillées à la demande du musée de Tekirdağ et elles ont été étudiées par Zeynep Koçel Erdem. Son ouvrage «Nécropoles et tombes rupestres de Perinthos/Herakleia » est en préparation pour publication. S. Çokay Kepçe a également publié un rapport en 2011 concernant ses découvertes de lampes à huile en terre cuite.
Il existe également un certain nombre de nouvelles zones de nécropole découvertes lors de fouilles de sauvetage au sein de la ville moderne. Parmi celles-ci, des sarcophages ont également été étudiées dans le cadre d'un mémoire de maîtrise (Yenentürk 2011).
Voici en résumé l’historique des recherches concernant la cité.
 
Quant à l’historique de son peuplement, les fouilles de la ville antique ne faisant que commencer, les connaissances sur les premières périodes sont assez limitées. Cependant, les couches culturelles découvertes lors d'une fouille de sauvetage menée par le Prof. Dr. Mehmet Özdoğan en 1999 à Toptepe, monticule situé à proximité du village de Yeniçiftlik et à 4km de Marmaraeğrelisi, remontent à la période chalcolithique.


Un vase de culte de forme anthropomorphe daté de 4300 av notre ère, découvert en ce lieu-dit Toptepe symbolise probablement la Déesse Mère, qui faisait l’objet d’un culte très important sur les rives de la Propontide. Il est exposé au musée de Tekirdag.


Il a été découvert par D. H. French en 1966 et daté de l'âge du bronze ancien, contemporain de la couche la plus ancienne du site de Troie.
 
Bien qu'il soit généralement admis dans la littérature scientifique que Perinthos ait été fondée par des colons de Samos vers 600 av notre ère (Danov 1974; Isaac 1986; Archibald 1998; Avram 2004; Hansen-Nielsen 2004), les découvertes mentionnées ci-dessus incitent à penser, selon Zeynep Koçel Erdem qu’il est fort probable de rencontrer des traces d'établissements préhistoriques dans les couches inférieures de la ville antique. Des poteries et des outils en pierre de l’âge du bronze trouvés à l’extrémité ouest de l’Acropole dès la première année des fouilles systématiques, ont confirmé l’hypothèse d’un peuplement précoce.
 
Pour la période archaïque (environ 570-560 av notre ère) Hérodote mentionne Perinthos comme une forteresse thrace en conflit avec les Mégariens, autres colons grecs qui ont établi des colonies telles que Byzantion (Byzance) et Selymbria (Silivri) sur les rives de la Propontide.
Elle fut pillée lors de l'expédition de Darius contre les Scythes d’Europe en 514/513 av notre ère. En -511, le général perse Megabyzos l’assiégea et Perinthos qui fut contrainte de participer à la « révolte ionienne » initiée par les villes ioniennes (dont Ephèse et Milet) contre les Perses en -498, tomba de nouveau sous la domination perse lorsque la rébellion fut réprimée. En -476/5, après que Cimon, stratège athénien, eut libéré la Thrace des Perses, la ville acquit sa liberté.


Diverses découvertes datant de cette période sont exposées au musée de Tekirdağ (stèles funéraires peintes, stèles votives, etc.) et soulignent l'importance de la ville dès cette époque.
 
La période classique (fin du 5e et le 4e siècle av notre ère) fut une des périodes les plus brillantes. La région était sous le règne des rois de la dynastie Odrysienne, l'une des tribus la plus puissante des Thraces. La ville fut incluse dans la 1ère Union maritime Attique-Délos au 5e siècle (-452 ​​​​​), et dans la 2ème Union maritime en -377. Grâce à ces adhésions, des relations étroites furent établies avec Athènes. Vers -370 elle passa sous le contrôle du satrape perse Ariobarzanes, allié d'Athènes, et de son serviteur Philiskos d'Abydos. Philiskos stationna des mercenaires à Perinthos et prit le contrôle de la côte nord de la Propontide.
En -351, l'expédition du roi macédonien Philippe II en Thrace, libéra toute la région de l’occupation perse.
Avec Alexandre le Grand qui poursuit les conquêtes de son père, Philippe II, la région connaît une autre période florissante. C’est la période hellénistique.
Des conflits eurent lieu entre les Séleucides, Antigonos et Ptolémées, successeurs d'Alexandre, et il y eut des luttes entre la ville et ces puissances en raison de pressions et d'hégémonie, mais Perinthos passa finalement sous la domination du général Lysimaque. La ville frappe alors ses pièces de monnaie. Il ressort des représentations sur les pièces que Dionysos, Déméter et Héraclès faisaient partie des dieux importants vénérés dans la ville antique.
 
En 189 av notre ère, tous les territoires des Thraces, y compris en Anatolie, passèrent sous la domination du royaume de Pergame, puis sous celle des Romains en -129. La région devint officiellement une province romaine en 46 de notre ère, et Perinthos fut choisie par l'empereur Claude comme centre administratif et capitale provinciale. Contrairement au caractère rural des colonies thraces, Perinthos est devenue riche et prospère dans un environnement multiculturel et plurilingue, dotée de monuments importants pour honorer les empereurs. Elle est également devenue la base de la marine romaine chargée de la sécurité de la Propontide.
A cette époque, les liaisons entre la côte et l’intérieur étaient assurées grâce à la Via Egnatia traversant la région, et elle croisait en ce lieu la Via Militaris (Şahin 2006 ; Sayar 2010). Cette situation a conduit au renforcement des liaisons commerciales et les ports de Perinthos ont maintenu leur importance pendant cette période.
Une inscription votive au nom de l'empereur Hadrien et de son épouse Sabine suggère l'existence d'un temple dans la ville, mais il est possible que cette inscription appartienne au théâtre (Seure 1898 : 598), ainsi que certains socles de statues (Sayar 1998 : 14-17).

Dans le conflit entre l’Empire romain et Byzance en 196, Périnthos s’est rangé du côté de Rome. Byzance vaincue fut réduite au statut de village par l'empereur Septime Sévère au profit de Perinthos. De nouveaux édifices importants furent construits. Elle reçut alors le titre honorifique de Neokoros (avec le droit d'établir des temples), visible sur les monnaies de l'époque. À la lumière des inscriptions et des pièces de monnaie, il est connu que des fêtes telles que Sévérie, Philadelphie, Pythie et divers agons (concours organisés à l'occasion de célébrations religieuses) avaient lieu à Perinthos en l'honneur de l'empereur. (Raycheva 2015 : 30).
 
Sous le règne de Dioclétien (284-305), en l’honneur du héros Héraclès considéré comme le fondateur mythologique de la ville, Perinthos fut appelée Heracleia (ράκλεια). Un hôtel de la Monnaie impérial s’y établit.
 
Avec les empereurs byzantins Anastase (491-518) et Justinien (527-565), la ville connut une nouvelle période de construction avec d'importantes activités de restauration. Des sources anciennes mentionnent qu'Heracleia est devenue un centre épiscopal au cours de cette période. La demeure du dernier Metrolite (Evêque orthodoxe) est encore debout dans une rue de la ville.


La période byzantine et antique tardive est connue de manière relativement plus approfondie grâce à des études de surface menées dans la région (M. H. Sayar; Külzer 2008) et un certain nombre d'études scientifiques menées parallèlement aux fouilles de sauvetage du musée de Tekirdağ. En particulier les éléments architecturaux de la basilique. Publications Öztürk 2009; Yeşil-Erdek 2014; Westphalen 2018.


En 1204, la ville passa sous la domination des Latins à la suite de la quatrième croisade et déclina rapidement, mais ne fut jamais entièrement dépeuplée. Son nom se transforma en Ereğli pendant la période ottomane.
 
Une grande partie de la cité antique est ensevelie sous les habitations contemporaines, en particulier les parties basses jusqu’en bordure de mer. Les découvertes de vestiges se sont fait au hasard de démolitions et de projets de construction.
Diverses ruines de structures monumentales telles que des portions de remparts à la surface du sol, la structure d’un stade (240 x 69 m) à proximité de la place du marché d'aujourd'hui, sont visibles et quelques vestiges déplacés sont exposés dans un petit parc près du port.

Mais l'acropole antique, ce promontoire en forme de péninsule dominant les deux ports naturels qui l’encadrent en contrebas, (l'un commercial et l'autre militaire où se trouvait la marine impériale romaine, habités sans interruption depuis au moins l'Antiquité et qui ont conservé leur importance jusqu'à aujourd'hui), n'a jamais été touchée par l’urbanisation, mis à part le phare et quelques bergeries.


La zone où se trouvaient les grands bâtiments publics tels que les temples construits au nom d'empereurs romains et le théâtre sont donc directement accessibles et l’équipe archéologique est à pied d’œuvre.
 
Le théâtre de Perinthos est situé à l’est de l’acropole, à flanc de coteau, juste en contre-bas du phare historique. Il offre une vue magnifique sur la mer de Marmara.


La structure entière est enfouie, mais la courbe de la cavea où s'asseyaient les spectateurs peut être clairement suivie à partir des traces au sol. Une telle couverture augmente la possibilité que le bâtiment soit relativement bien conservé. Lors des travaux de forage effectués dans la cavea, des gradins dans leur position d’origine ont été atteints à une profondeur de 4 mètres.   
Des fouilles systématiques ont commencé à partir du bâtiment de scène sur environ 30m. Il fut construit en taillant et lissant le substrat rocheux.


C'est une architecture très intéressante qui illustre une bonne ingénierie pour cette période. Quatre piliers de support de la longue scène ont été mis au jour. Ces éléments laissent supposer que le bâtiment comportait au moins deux étages. De nombreuses pièces de marbre coloré fournissent des informations sur les décorations de l’édifice. Ces indices architecturaux présentent de grandes similitudes avec les monuments romains réalisés dans le cadre du programme de construction de l'époque d'Auguste (-63-14), successeur de Jules César.
À la lumière des découvertes in situ de divers tessons de céramiques, marqueurs temporels, Zeynep Koçel Erdem avance l’hypothèse que le théâtre a connu sa première utilisation vers le 6e siècle avant notre ère et qu’il n'a plus été utilisé après le 6e siècle. Au début de notre ère lui fut ajouté le bâtiment de scène de type romain.
Dès à présent il peut être considéré comme le plus vaste théâtre de la Thrace antique. A une époque à déterminer les niveaux supérieurs des gradins ont été détruits. Il est possible de voir des traces de destruction également dans le bâtiment de scène. L’archéologue espère que les destructions soient limitées.
 
Les fouilles sont complétées d’études diverses de l’ensemble du matériel archéologique avec l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire.
 
Des études géophysiques sont réalisées sous la direction de Caner İrem, maître de conférences du département de géophysique de l'Université technique d'Istanbul, afin de documenter les caractéristiques topographiques, les éléments culturels et l'état actuel du sous-sol de l'ancienne ville de Perinthos et de ses ports en utilisant toutes les méthodes géophysiques applicables, le géoradar, la sismique, la gravité, la magnétique, le lidar et la bathymétrie marine.
Les données topographiques précises obtenues sont numérisées pour aboutir à la création d’une étude de référence sur la manière de lire les anomalies observées dans les données géophysiques d’une ville ancienne.
 
Les travaux de documentation architecturale en 3D permettront de stocker les données scientifiques des fouilles de Perinthos sur des supports numériques de manière complète et holistique, afin de constituer une base de données accessible et applicable pour différentes spécialités de l'archéologie.
 
Des études sous-marines ont également été réalisées sur les rives de la colonie (Işın 1997). Ces zones sont enregistrées sous le nom de « Zone de protection sous-marine de Marmara Ereğlisi » (Livre d'inventaire culturel de Tekirdağ 2014 : 209).


Diverses amphores trouvées dans des épaves datent de la période hellénistique jusqu'à la fin de l'Antiquité. L'une des épaves a été datée du 15e siècle. Elle transportait des tuiles produites dans la ville italienne de Fayanze, exposées au musée de Tekirdağ.


Des études zoo archéologiques ont été réalisées en 2021 par le professeur Vedat Onar du département d'anatomie de la Faculté vétérinaire, et du Centre de recherche sur les applications de l’ostéoarchéologie de l'Université d'Istanbul. Elles ont permis d’émettre des hypothèses concernant la faune, les habitudes de consommation et l’économie alimentaire de la société périnthosienne de la période byzantine. Les premiers résultats de cette étude sont en cours de publication.
 
Des travaux de conservation et restauration sont prévus. Pour le moment la priorité est à la protection et classification des vestiges exhumés, du nettoyage mécanique et chimique des pièces de monnaie en bronze et de quelques objets métalliques pour les préserver de la corrosion. Certaines trouvailles en céramique ont été reconstituées.
 
Selon les vœux de Zeynep Koçel Erdem, dans quelques années des vestiges significatifs pourront être présentés tout au long d’un itinéraire de visite jalonné de divers panneaux explicatifs et éventuellement d’images animées de reconstitution.
 
En 2020, le media en ligne Arkeolojik haber relayait l’information suivante : Ahmet Hacıoğlu, directeur provincial de la culture et du tourisme, a déclaré « Les responsables du musée d'archéologie et d'ethnographie de Tekirdağ ont préparé les travaux d'études et de restauration de la basilique, et ceux-ci ont été approuvés par le Conseil régional de la préservation du patrimoine culturel d'Edirne. La mise en œuvre du programme débutera en 2021. Nous prévoyons qu'il sera achevé d'ici un an. »
 

Malheureusement en passant devant le chantier de fouilles de la basilique, un coup d’œil suffit pour s’apercevoir que le projet est toujours en attente, qu’aucune structure n’est venue protéger l’ensemble (évoqué déjà en 2009) et que les visiteurs ne sont pas à la veille de se bousculer à l’entrée pour admirer les 400m² du pavement de mosaïque (en attente de restauration…)
 
Cela dit, cet article un peu long, j’en conviens, est le reflet d'un enthousiasme renaissant pour Perinthos, après qu'il ait été mis en veilleuse de si longues années !

Sources:

Mustafa H. Sayar Le carnet scientifique de la Revue des Etudes Anciennes Perinthos/Héraklée, la capitale de la province romaine de Thrace et de la province romaine tardive d'Europe 05/08/2021(en turc) 

Mustafa H. Sayar A propos de la Prof.Dr. Nuşin Asgari (1931-1922) (en turc)

Prof. Dr. Zeynep Erdem: video à propos des fouilles de Perinthos (en turc) 


mercredi 13 septembre 2023

Sardines, moules frites et phare historique à Marmara Ereğlisi

 
L’été se termine, les estivants délaissent peu à peu la zone côtière du Sud de la Thrace baignée par la Marmara, pour rejoindre les villes à proximité, Tekirdag, Çorlu ou Istanbul. Ce sera bientôt notre tour.
Il est encore temps de faire une halte sur le port de Marmara Eğrelisi pour déguster un balık-ekmek (sandwich au poisson) ou une portion de sardines frites, sans arête! Et puis, pourquoi pas, l’accompagner d’une portion de moules frites et salade de saison. 


Sur la jetée, chez Tekin & Esra, c’est une affaire de famille. 


Le fils vend les poissons frais, produit de sa pêche du matin, sur un étal à proximité. Le patron, ancien pêcheur, est à la caisse, sa femme en cuisine, et en attendant que la serveuse arrive avec les assiettes, il engage la conversation pour peu que vous soyez réceptif.
Il nous parle du phare historique, pas celui-ci, relativement récent, qui guide les modestes embarcations de pêche vers le petit port.



On lui pose des questions au sujet des nouvelles fouilles de Perinthos entreprises en 2021 dont la presse a relayé discrètement l’évènement.
Depuis des années je guette les avancées chaotiques de ce projet archéologique. Précédents articles: 2009, 20102012, 2014
Mais l’espoir de voir Perinthos sortir de l’oubli a fini par s’émousser. Serait-ce cette fois le bon départ ?
Il nous affirme qu’un grand périmètre a été grillagé, au grand dam des villageois qui cultivaient en ces lieux des céréales il n’y a pas si longtemps. Et justement c’est tout près du phare historique ! On peut s’en approcher en suivant un étroit chemin caillouteux qui grimpe en surplomb du village. Mieux vaut laisser le véhicule dès que le phare est en vue et continuer à pied, car le demi-tour est problématique.
Sur un promontoire venteux surplombant la mer de Marmara de 52 mètres, se dresse un vestige de la technologie française du 19e siècle. 



Sous le règne du sultan Abdülmecit, les pièces métalliques de la tour octogonale ont été importées et montées sur place en 1861, ainsi que la lanterne qui devait probablement fonctionner au kérosène, comme celle de Limanköy sur la mer Noire. Le mécanisme fut par la suite alimenté en électricité et actuellement entièrement automatisé. Il n’y a plus de gardien dans la maisonnette attenante, mais à la nuit tombante, le faisceau lumineux continue de guider les marins depuis l'extrémité sud de la baie d'Ereğli, sur une distance de 16 miles.
Propriété de la Direction Générale de la Sécurité Côtière, une restauration est demandée par la municipalité pour assurer sa protection au titre de patrimoine culturel. Il est également prévu que le phare et ses dépendances servent de centre d'information en lien avec les fouilles archéologiques de la ville antique.
Le point de vue exceptionnel sur le village et sur le grand large offre en prime une vue plongeante sur l’espace bien visible qu’occupait le théâtre antique de Perinthos !



Les caractéristiques d’un site officiel de fouilles archéologiques se dévoilent en contrebas. Sujet d’un prochain article !