vendredi 29 septembre 2023

ArtIstanbul Feshane

 
Feshane, première industrie textile turque fondée par le sultan Abdülmecid, est un lieu symbolique des innovations entamées sous son règne. La production de fez y débuta en 1839 et se poursuivit jusqu'à l’avènement de la République Turque qui prohiba en 1925 le port de ce couvre-chef considéré comme un symbole d’une époque révolue et incompatible avec la notion de modernité et de laïcité.
Recyclée dans la confection de vêtements, puis de tissus, la fabrique ferma définitivement ses portes en 1986 pour cause de pollution de la Corne d’or.
Evitant de justesse la démolition, une première réhabilitation de la bâtisse en proposa un espace d’expositions et de congrès à partir de 1998. On pouvait à l’époque se féliciter de ce sauvetage, mais dans les années qui suivirent, son affectation à la vente des produits d’artisanat traditionnel, de médiocre qualité pour la plupart, fut plus que décevante, (visite en janvier 2011). Quand on lui flanqua un grand parc de jeux et d’attractions diverses, le projet soi-disant culturel fut complètement dénaturé et n’attira plus grand monde.
 
L’information d’une réouverture récente, après des travaux d’envergure entrepris en 2018, réalisés pour IBB Miras (municipalité d’Istanbul, Héritage), a piqué ma curiosité surtout après avoir vu en avril dernier d’autres réhabilitations d’édifices historiques plutôt réussies !
Citerne byzantine du parc de Gülhane et Cendere Sanat, historique station de pompage ottomane.
En ce qui concerne Feshane, la récente mise en service de la ligne de Tramway T5 : Eminönü – Alibeyköy, rend les lieux très facilement accessibles en correspondance avec la station de métro Haliç (ligne M2). Une autre bonne raison d’y aller faire un tour sans plus attendre.
Exit la peu esthétique toiture verte que l’on voyait de très loin !
Les restaurations ont concerné aussi les murs porteurs en briques du bâtiment, les piliers métalliques contrôlés un par un et remplacés à l’identique si nécessaire. Les murs extérieurs ont retrouvé leur apparence d’origine, la porte monumentale aussi. 


J’avais lu quelque part en 2021 qu’un musée soufi était en projet pour la nouvelle affectation de l’édifice, couplé avec un musée de littérature, une bibliothèque et des espaces d'exposition multifonctionnels, avec l’objectif de création d’une zone culturelle et artistique importante sur les rives de la Corne d'Or qui a bénéficié d’un lifting efficace ces dernières années.


Je ne m’attendais donc pas du tout à y trouver de l’art contemporain, mais la surprise se révéla plutôt agréable !


Mercan Dede n'est pas que musicien! mais explorateur multidisciplinaire. «Ancient Time Machine 1» 

«Ortadan Başlamak», Commencer par le Milieu est une proposition originale et bien anticonformiste quand il est convenu d’entendre depuis toujours qu’il faut commencer par le début ! Et de fait, l’espace est si ouvert qu’on hésite à partir de ce côté-ci plutôt que de l’autre !



Il ne reste plus qu’à flâner dans ce dédale, guidé par ses émotions. On y rencontre des noms plus ou moins connus

Mehmet Güleryüz Stamboli: Şehre doğru (diptik) 2012, huiles sur toiles, 250X180

Des techniques originales comme de l'acrylique sur tulle ou une sculpture de papier journal...
  


De la dérision, de l’ironie et de l’humour

Mevlut Akyıldız "Terazi, Lastik, Gymnastik's", 2020, 200X300, huile sur toile.
L'effet comique des mots du titre inspiré d'une comptine sans queue ni tête, semble se transmettre à l'athlète virevoltant dans son cerceau à la manière d'une ballerine.
 
L’espace offre aussi une salle de conférence, une cafétéria et la bibliothèque Naile Akıncı riche en livres d’art en turc et autres langues.



Après avoir vu l’exposition de ArtIstanbul Feshane, je comprends mieux les violentes interventions à plusieurs reprises, dès l’inauguration en juin, puis en juillet 2023, les tentatives de sabotages, les menaces de censure sous les accusations de propagande LGBTI+ et d'éloge du socialisme jusqu'à provoquer une brève fermeture de l’exposition, consentie sans doute pour tenter de calmer les esprits vindicatifs.

Ozan Alp Yüksekyılmaz et Pırıltı Onukar, film d'animation "Süveydâ" et installation, "Süveydâ", 10 min 14 s, 2022

"Nous sommes des travailleurs, nous sommes dans notre droit, nous gagnerons" Ce n'est pas de la propagande! C'est une affirmation que des grévistes sont en droit d'exprimer. L'installation dont fait partie cette illustration a fait polémique, ainsi que d'autres... Dont celle-ci peut-être


Je désapprouve évidemment cette attitude indigne, intolérante et réactionnaire, mais j’imagine le dépit de ce groupe de fanatiques et leur rage en découvrant le foisonnement d’imagination, la liberté de pensées qui émanent de la plupart des œuvres exposées, en lieu et place de respectables manuscrits contenant des sourates millénaires, des pages de Coran et les précieuses œuvres soufies qu’ils attendaient !
Vaines attaques qui n’ont pas fait céder la municipalité qui voit ici l’occasion d’affirmer la victoire de la lumière contre les ténèbres ! L’éducation contre l’ignorance ! Visiblement les artistes ne sont pas les seuls à s'engager dans ce combat !

Quelle belle et enrichissante occupation, la lecture !
 
Et de fait, l’exposition inaugurée le 22 juin 2023 sur un espace de 8000m2, plus de 400 œuvres d’art contemporain, de 300 artistes sélectionnés par 19 commissaires, est lumineuse et parfaitement à sa place dans cette bâtisse historique d’exception.
 

 
Nişanca, Zalpaşa Cd, Pk. 34050 – Eyupsultan / Istanbul
Station Feshane, accessible en tramway Ligne T5 : Eminönü – Alibeyköy ou en bateau
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h00 et 18h00.
Entrée gratuite

Sources: 
 

2 commentaires:

  1. Tu as su recréer cette atmosphère, dans ton texte, que j ai ressenti en visitant ce lieu avec toi. Merci.

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    1. Merci pour ce commentaire amical. Effectivement ta présence à mes côtés, lors de cette agréable journée est avérée sur l'une de mes photos.

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