vendredi 4 décembre 2020

Exotisme au Jardin des Plantes

L’incompréhensible règle de limitation de déplacement à "une heure, un kilomètre"  est enfin levée depuis quelques jours, remplacée par trois heures et vingt kilomètres. Bien plus encore que la réouverture des commerces épinglés "non essentiels", je l’attendais avec impatience !
Le Jardin des Plantes n’avait pas fermé ses portes, contrairement au confinement du printemps, mais fut inaccessible pour cause de distance non réglementaire. Situation d’autant plus porteuse de frustrations.


Dans les allées bordées de platanes taillés en rideaux portant les derniers vestiges aux couleurs d’automne, en foulant le tapis de feuillage doré, flotte une sensation d’évasion, une promesse de voyage…
Un soleil pâle irise le vitrage des grandes serres à l'architecture métallique, construites entre 1833 et 1836, offrant un cadre théâtral au majestueux cèdre du Liban planté en 1734 par Bernard de Jussieu, alors Conservateur du Jardin.


Pour le moment les serres sont fermées au public (réouverture prévue le 16 décembre), mais une déambulation attentive à l’extérieur suffira cette fois pour glaner quelques touches d’exotisme comme les lampions rouges de l’abutilon grimpant du Brésil, la floraison blanche d’un oranger du Mexique, buisson odorant au feuillage persistant.




Originaire aussi du Mexique et du Guatemala, la sauge ananas ornementale et aromatique colore un massif de ses fleurs rouge vif, côtoyant différentes espèces de sauge d’autres continents.






« Qui a de la sauge dans son jardin n’a pas besoin de médecin », ce dicton s’applique à la sauge officinale aux multiples vertus, reconnaissable à ses feuilles gris-vert d’aspect velours.


Les simples occupent évidemment une place de choix au sein du Jardin des Plantes pour nous rappeler qu’à sa création en 1635 il était nommé "Jardin Royal des plantes médicinales".

Pour compléter le dépaysement, un attroupement de perruches à collier se donne en spectacle autour des mangeoires destinées habituellement aux étourneaux, aux mésanges et autres passereaux… 



Ces volatiles excentriques au plumage vert caractéristique, au cri perçant, ont depuis longtemps colonisé la plupart des parcs de la capitale. Ils ne connaissent plus depuis de nombreuses générations, la privation de liberté dans les volières. J’en ai même vu au cimetière du Père Lachaise.

Ne quittons pas le jardin sans humer l’agréable parfum des bouquets roses de la viorne odorante (viburnum farreri) caractérisée par une longue floraison automnale et hivernale. Cet arbuste fut découvert en 1910 par Reginald Farrer dans les massifs montagneux de l'ouest de la Chine.




Cette échappée au pays de la botanique fut bénéfique pour évacuer en partie le stress accumulé au cours de quatre semaines de confinement nécessaire mais regrettablement truffé de consignes absurdes le discréditant… 
Ne tardons pas à profiter de l'allègement du dispositif un peu plus respectueux de notre santé mentale!

mercredi 4 novembre 2020

Un druide au Père Lachaise

Dimanche dernier, une réunion familiale était prévue mais annulée pour cause de re-confinement. C’était aussi le jour de la Toussaint et les restrictions ont été sensiblement allégées pour permettre la visite des cimetières. Pour qu’il soit possible de fleurir les tombes, les fleuristes ont obtenu une autorisation de rester ouverts le weekend. Les 3 premiers jours de confinement étaient donc sous le signe de l’indulgence. Il était tentant d’en profiter car bien qu’à proximité, il est pour moi hors du périmètre d’éloignement autorisé de 1 km.


Une fois accompli le rituel de la rose déposée sur la pelouse du jardin du souvenir (lieu de dispersion des cendres des défunts après crémation), malgré une présence policière importante, aucun contrôle d’attestation n’est venu limiter une déambulation dans les allées aux quelques 70000 sépultures et monuments commémoratifs.



Ce cimetière, créé en 1804, ne fut pas d’emblée très prisé des Parisiens à cause de sa situation en hauteur et à cette époque hors de la capitale. Il est intéressant de noter que le transfert des dépouilles d'Héloïse et d'Abélard (célèbres amants médiévaux), ainsi que de Molière et de La Fontaine en 1817,  fut déterminant pour le transformer en un lieu plus convenable à la postérité des défunts. A partir de ce moment de célèbres architectes et sculpteurs furent mis à contribution. De nombreuses sépultures de styles variés, chapelles funéraires, sarcophages, stèles, dalles sont aujourd’hui classées monuments historiques.


Il y aurait environ 5000 personnalités de nationalités diverses dont une centaine fréquemment visitée. Frédéric Chopin, Honoré de Balzac, Alfred de Musset, Oscar Wilde, Théodore Géricault, Marcel Proust, Maurice Ravel, Édith Piaf, Jim Morrison, Yves Montand et Simone Signoret, Alain Bashung, Jacques Higelin… Mais aussi de célèbres exilés turcs d’origine kurde, Yılmaz Güney (1937-1984), acteur et réalisateur de plusieurs films dont Yol, Palme d’Or à Cannes en 1982 et Ahmet Kaya (1957-2000), compositeur et chanteur.

Les pentes escarpées invitent à la flânerie et offrent une belle perspective sur la végétation pérenne ou occasionnelle... Malgré le calme environnant, je n'ai pas croisé la famille de renards qui a élu domicile en ces lieux depuis le premier confinement en mars. Ils attendent la fermeture des grilles pour gambader et chasser à leur aise! 


Cette fois mon regard fut attiré par une étonnante construction évoquant un dolmen en bordure de la 44e division. Généreusement fleuri, il abrite la dépouille d’Hippolyte-Léon Rivail (1804-1869), pédagogue et instituteur lyonnais, alias Allan Kardec, fondateur de la philosophie spirite. Un inconnu pour tous ceux qui n’ont pas d’attirance pour les phénomènes paranormaux mais un maitre incontesté pour tous les médiums du monde. 


Alors que les sociétés occidentales au milieu du 19e siècle s’entichent des tables tournantes, mode venue d’outre-Atlantique, le pédagogue en supervise quelques-unes afin de retranscrire les séances.  Sans doute conquis, il se documente afin de codifier cette nouvelle doctrine. Désignée par lui « spiritisme », il veut l’imposer comme une science. Le spiritisme de Kardec se teinte d’une dimension sociale. Considérant que toutes les composantes de l'univers sont en perpétuelle évolution, il est favorable au darwinisme et contribue à sa divulgation dans les milieux populaires au 19e siècle. Le mouvement s’implique également dans des œuvres philanthropiques et prend parti pour le vote des femmes, l'abolition de l'esclavage, l'abolition de la peine de mort, le pacifisme et l'internationalisme. Ce qui peut expliquer sa grande popularité dans les milieux intellectuels. 

En rapide déclin en Europe à partir des années 1920, le spiritisme sera suivi religieusement par des millions d’adeptes, et encore de nos jours, principalement au Brésil, en Argentine et à Cuba. 

Hippolyte-Léon Rivail a écrit plusieurs ouvrages de pédagogie, mais utilisera le pseudonyme à consonance indubitablement celtique, Allan Kardec, pour développer les principes théoriques et expérimentaux de la communication avec l’au-delà, l'existence, les manifestations et l’enseignement dispensé par l’esprit des disparus. Victor Hugo sera l’un des nombreux collaborateurs de la Revue spirite, créée en 1858.

Rivail se dédouble en Kardec après avoir acquis la certitude d’être la réincarnation d’un druide. Révélation qui justifiera le choix d’un dolmen pour sépulture et l’inscription au fronton de la tombe : « naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la loi ».

Il n’est donc pas certain qu’elle soit la dernière demeure de son repos éternel !

En tout cas, il ne manque pas d’interlocuteurs. On n’ose imaginer tout ce que ces beaux esprits peuvent se raconter, sans compter les conflits car tous n’ont pas atteint un degré supérieur dans l’échelle spirite !


Il ne manque pas d’adeptes non plus… Selon la légende, il aurait de son vivant proposé : “Après ma mort, si vous passez me voir, posez la main sur la nuque de la statue qui surplombera ma tombe, puis faîtes un vœu. Si vous êtes exaucés, revenez avec des fleurs.” Ceci est à l’origine d’un rituel auquel s’adonnent de nombreux visiteurs comme en témoignent les offrandes florales. Par contre toutes les autres manifestations d’idolâtrie sont vivement proscrites comme le précise une pancarte de la mairie de Paris.   


  

dimanche 25 octobre 2020

Coulée Verte René Dumont et vestiges de la Petite Ceinture parisienne

D’impérieux motifs ont nécessité un retour sur Paris malgré les contraintes du voyage (test PCR négatif et masque obligatoire). Après une parenthèse estivale sur les côtes de la Marmara et une brève escale à Istanbul, il a fallu reprendre de la hauteur…

Survol de la Mer Noire et atterrissage à Roissy, trois heures plus tard, sans illusion sur les latitudes offertes par ce séjour.

La situation sanitaire se dégrade de jour en jour et les restrictions de circulation peuvent s’accentuer très bientôt. Un sentiment de culpabilité accompagne chaque entrevue avec les personnes que l’on aime, même en prenant un maximum de précautions, et déambuler en solitaire semble la seule façon de leur prouver notre affection… triste paradoxe.

Pour s’isoler de la foule, la Coulée verte René-Dumont (ex-Promenade Plantée inaugurée en 1993 et rebaptisée ainsi pour un autre hommage à René Dumont, ingénieur agronome et précurseur dans l'engagement écologiste), est un bon plan, surtout en semaine. Traversant le 12e arrondissement, elle offre depuis la place de la Bastille un jardin suspendu aménagé sur le viaduc des Arts ou circulait autrefois la ligne de Vincennes (de 1859 à 1969). Cette portion est bien connue et assez fréquentée. Mieux vaut privilégier le parcours à partir du jardin de Reuilly et sa passerelle, puis longer le jardin Hector-Malot et le jardin de la gare de Reuilly. 


L’allée Vivaldi, rue calme bordée de restaurants dont Le Janissaire (gastronomie turque), débouche sur un premier tunnel, invitation au dépaysement avec des réalisations récentes de Street Art signées emyarts.  



Deux autres tunnels jalonnent cette allée encaissée verdoyante, ancienne voie ferroviaire.




Plus loin, traverser le square Charles-Péguy ravive en moi les souvenirs d’un petit bonhomme qui découvrait, avec un enthousiasme mêlé de crainte, il y a déjà quelques années, les premières glissades sur un toboggan…



La promenade est ensuite bordée de deux parcelles de jardin partagé gérées par l’association « Graine de partage ».





Elle débouche sur le plus long tronçon de la Petite Ceinture ouvert au public en août 2019. Il y en a d’autres bordant les 13e, 14e, 15e, 16e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements parait-il.






Suivons les rails, pour cultiver une sensation d’évasion, de voyage afin d’éloigner un instant les restrictions, les appréhensions, les doutes. Découvrons une nature à la fois urbaine et sauvage inattendue, un couloir de verdure que la flore parsème de taches colorées. Bien courageuses ces valérianes roses affrontant le ballast caillouteux et les traverses vermoulues. Un modèle de résilience dont il va falloir s’inspirer !


En espace urbain, les insectes peuvent apprécier un hébergement hôtelier, tandis que d’autres préfèrent un logement plus naturel !



La voie ferrée poursuit sa course mais l’exploration se termine par une clôture grillagée. On revient donc sur ses pas, les yeux fixant les traverses, savourant le plaisir enfantin de passer de l’une à l’autre, sans poser le pied sur le ballast, puis on retrouve le chemin aménagé pour les marcheurs et joggeurs sur l’une des deux voies. Toujours appréciable en ville de fouler autre chose que le bitume !   



dimanche 27 septembre 2020

Lodos, vent du sud qui bouscule

De tout l’été, il a épargné les côtes européennes de la Marmara. La mer était si calme qu’on y voyait les poissons comme dans un aquarium… Ce n’est pas toujours le cas. Parfois il prend un malin plaisir à brasser les flots qui se chargent de sable et d’algues, rendant la baignade nettement moins agréable pendant quelques jours.

Dans la nuit de samedi, le Lodos a brusquement soufflé en rafales, agitant les feuillages avec tant de violence que le sommeil en fut perturbé.

Au petit matin le spectacle était impressionnant. Décor inhabituel pour les résidents qui les autres années ont déjà regagné la ville, en ce début d’automne. Les embarcations, que la veille encore le Poyraz balançait doucement de sa brise fraiche, ont été bien malmenées par les vagues écumantes, risquant à tout moment de rompre leurs amarres.



La jetée amovible n’a pas résisté longtemps aux assauts, se détachant de la passerelle pour suivre sans entrave le mouvement ondulatoire imposé par les éléments.


Elle fut démontée dans l’après-midi dès que le vent et la mer se furent quelque peu assagis.   

Après le passage de ce vent capricieux bousculeur de paysage, le ciel devint lui aussi moins limpide. Le crépuscule fut ce soir là particulièrement fascinant.