vendredi 30 décembre 2022

L’Ouzbékistan au Louvre

L’exposition se clôture sur des images de dômes turquoise, d’édifices fastueux aux façades recouvertes de mosaïques, joyaux architecturaux de la dynastie timouride.


Nombreux sont ceux qui regardent en boucle le vidéogramme aguicheur sur grand écran digne d’une publicité touristique. Mais ce n’est probablement que pour se reposer du voyage dans le temps qu’ils viennent de parcourir en traversant les salles consacrées à l’exposition Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan.


 
Une présentation chronologique révèle les impressionnants vestiges d’antiques civilisations, dont certaines, quasi inconnues comme la civilisation Kouchan rencontrée lors de la visite de l’exposition Tadjikistan, au Pays des fleuves d’Or. L’Ouzbékistan vit, lui aussi, se succéder les conquêtes, les civilisations et des cultes divers (nestorianisme, manichéisme, zoroastrisme, bouddhisme, judaïsme…) qui ont laissé des traces. En partenariat avec le Louvre l’Etat ouzbek a souhaité mettre en valeur les vestiges que recèlent les musées du pays afin de faire connaitre cette riche histoire où se mêlent les cultures grecque, nomade, perse, indienne et musulmane qui ont précédé l’arrivée de redoutables conquérants mongols, Gengis Khan (1155-1227), puis Tamerlan (1336-1405), dont l’armée sema la terreur, les massacres et la destruction, mais qui marqua de son empreinte l’architecture extravagante de sa capitale Samarkand. 

  


Un prince en armure, guerrier moustachu, en argile modelée recouverte de plâtre et décorée de pigments rouges, et la statue d’un roi de la dynastie Kouchan assis sur un trône, en terre crue polychrome, Ouzbékistan, khalchayan, 1er siècle de notre ère.



 
Parures et bijoux témoignent de l’opulence des élites, trésor de Dalverzin tepe
 
 
Deveta, divinité bouddhique avec son collier et tête de prince kouchan en argile blanc, Dalverzin tepe, 1/2e siècle de notre ère, Institut des Beaux-Arts, Tashkent
 
  


  
Vestiges du zoroastrisme, religion des Perses achéménides, des ossuaires à toit conique en terre cuite, Ouzbekistan, Mullakurgan et Hirmantepe, 7-8e siècles, contenaient les os des cadavres livrés aux charognards, chiens et oiseaux, dans les tours du silence (dakhmâ). 


Ils sont décorés de scènes du quotidien du défunt ou de divinités protectrices 
 
Kafir-Kala était une citadelle, à la fois place forte et place commerciale, située à 12 km au sud de Samarkand. La destruction du palais est attribuée à la conquête islamique en 712 de notre ère.  


Une porte calcinée y a été découverte par des archéologues japonais en 2017. Le bois, matière organique dont les insectes sont friands, se conserve peu, mais cette porte monumentale, probablement la porte de la salle du trône, tombée face contre terre, s’est consumée sur place et s’est transformée en charbon, si bien que toutes ses ornementations montrant une procession avec des musiciens, un prêtre zoroastrien qui présente des offrandes à la déesse Nana, assise au centre sur un trône aux lions, se sont minéralisées et solidifiées.



Des interventions particulièrement délicates de restauration effectuées à l’Institut du patrimoine de Samarkand ont permis la préservation exceptionnelle de ces sculptures datées de la première moitié du 6e siècle de notre ère. Témoignage miraculeusement épargné de la destruction par les éléments, sous l’action providentielle d’une réaction chimique généralement radicalement destructrice (la combustion), cette porte est sans doute l’un des artefacts de l’exposition le plus surprenant !
 
La peinture des «ambassadeurs» est une fresque du 7e siècle, qui illustre le passage d’une caravane de chevaux, dromadaires et cygnes sur la route de la soie. Les interprétations de son iconographie sont nombreuses. Il est possible que ce soit une représentation de la cérémonie de la nouvelle année zoroastrienne, le Nawruz (Nevruz).
La procession se dirige vers l'est, vers un pavillon qui représente le mausolée des parents du souverain, Varkhuman, identifiable par sa grande taille et monté sur un cheval. Devant lui, des prêtres zoroastriens au masque caractéristique suivent le défilé. Le sacrifice rituel est représenté par un cheval non sellé et des oies ainsi que deux personnages à dos de chameaux portant des massues. A l'avant du défilé, se trouvent les concubines royales à cheval, ainsi que l'épouse du souverain montée sur un éléphant. La fresque décorait à l'origine la salle de réception d'une résidence royale et fut découverte par hasard en 1965 lors de travaux de voirie.



Habituellement exposée au Musée Archéologique d’Afrasiab (Samarkand), elle se trouve pour le temps de l’exposition parisienne dans le département des Arts de L’Islam du Louvre (aile Denon), une occasion de prolonger la visite en déambulant sous les grandes voiles blanches.
 
 
Représentation d’un marchand sogdien et d’un chameau, terres cuites chinoises, dynastie Tang (618-907)
 

Fragment d'une fresque de la salle rouge du palais de Varakhsha construit au 5e siècle dans l’antique cité sogdienne à 40km au nord-ouest de Boukhara. Elle ne se releva jamais des raids arabes, puis de sa destruction par Gengis Khan. 

  
L’islamisation de la Transoxiane


Les représentations humaines, les monstres et les divinités vont laisser la place à une ornementation stylisée, géométrique, calligraphique et colorée. L’art islamique s’incarnera dans l’architecture, les manuscrits, la miniature, la gravure sur métaux et la marqueterie, le tissage, la sculpture d’ivoire et sur marbre, la céramique aux couleurs chatoyantes ou irisées.
  

Etoile à décor végétal stylisé. Asie Centrale, 14e siècle
 

Illustration réalisée vers 1560/70, d’un épisode du récit « Leïla et Mecnun » très populaire à cette époque et inspiré d'une vieille légende qui remonterait aux Perses achéménides (6e au 4e siècle avant notre ère), narrant l'histoire d'une passion amoureuse au dénouement tragique.

 




 
L’observatoire de Samarkand 


Ulugh Beg, petit-fils de Tamerlan fut reconnu pour sa passion des sciences, de l’histoire, la théologie, la poésie, la médecine, la musique, mais surtout l’astronomie qui a valu à la ville de Samarkand sa réputation de ville de science et de culture. Il est à l’origine de la construction de nombreuses Médersa (école religieuse) dans plusieurs villes de l’empire. Pour faire avancer les travaux d’astronomie, il fit construire en 1428 l’observatoire qui porte son nom.
Il fut assassiné par des mercenaires à la solde de son propre fils Abdul-Latif complice des conservateurs du pays. Aujourd’hui, sa dépouille repose dans le Gour-Emir, le mausolée des Timourides. Le premier acte de son fils après l’avoir fait exécuter fut de faire raser complètement l’observatoire pour effacer la mémoire de son père de l’histoire. Les fondations du bâtiment circulaire ont été retrouvées par un archéologue russe au début du 20e siècle et un musée expose différents instruments utilisés dans l’observatoire à l’époque.
 

Ainsi s’achève la visite des «Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan» mais on peut toujours prolonger le voyage avec l’exposition de l’Institut du Monde Arabe : Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d'or
  
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Sources :
La Grande Civilisation des Kouchans, le Courrier de l’UNESCO, Février 1969

 

  

vendredi 2 décembre 2022

Splendeurs textiles d’Ouzbékistan à l’Institut du Monde Arabe

L’hiver dernier, le musée Guimet ouvrait ses portes au Tadjikistan, jeune pays d’Asie Centrale qui tente de se faire connaitre sur la scène internationale en avançant la carte culturelle.
La saison 2022/2023 met à l’honneur son voisin l’Ouzbékistan, lui aussi territoire aux multiples influences culturelles et religieuses. Il semble mettre les bouchées doubles pour dévoiler à son tour un riche patrimoine et des savoir-faire ancestraux dans les musées parisiens. Tandis que le Louvre plonge les visiteurs dans son histoire multi millénaire très mouvementée (nous y reviendrons dans un autre article), l’IMA nous offre une vision colorée de splendeurs textiles relativement récentes, réalisées au 19e siècle et début 20e. Les 300 pièces exposées sont pour la plupart présentées pour la première fois hors des musées nationaux. Elles bénéficient d’une scénographie muséale aérienne et spectaculaire sur un parcours à deux niveaux de l’Institut du Monde Arabe. Sur les routes de Samarcande. Merveilles de soie et d'or.


Situé sur la route de la soie qui relie la Chine à la Méditerranée, le pays a su produire très tôt ses propres étoffes. 


Mais l’art textile atteint son apogée sous le règne de l’émir Muzzaffar ed-Din (1860-1885), comme un dernier sursaut pour affirmer la richesse d’un héritage qui a marqué durablement le répertoire décoratif  et les techniques artistiques, alors même que le pays était sous protectorat russe dès 1868.


 
Tandis qu’à cette époque l’empire ottoman se laisse séduire par les modes européennes et délaisse peu à peu les traditionnels kaftans, les artisans ouzbèkes redoublent de créativité pour produire des habits brodés d’or, ces somptueux chapans. 



Indubitablement ils ont un air de famille avec ceux que portaient les sultans et princes ottomans. – Le musée de Topkapi à Istanbul en conserve une collection exceptionnelle dont les plus anciens en bon état de conservation datent du 16e siècle. A ces vêtements d’apparat, s’ajoutaient quelques vêtements talismaniques censés guérir ou protéger de tout péril. –
Ici nous en découvrons un exemplaire Ouzbek de la fin du 19e siècle.



Si la forme du vêtement est assez semblable, les chatoyants chapans ouzbeks se distinguent des kaftans turcs par des motifs, des broderies, des couleurs  et des compositions très différentes.


Les femmes en portent aussi.





 
L’exposition présente aussi des accessoires pour les montures.
Une selle en bois peinte à la main,


Un harnachement de cheval brodé d’argent,


Un ornement de crinière (cuir, turquoises, argent)

 
De magnifiques ikats de soie, tissus dont les motifs sont obtenus par la teinture partielle des fils avant le tissage. 



Un léger décalage peut se produire, provoquant sur le motif un passage flou entre les différentes couleurs, caractéristique de ce genre de tissu. Le processus complexe, a voyagé dans l'espace et le temps sur tous les continents, sans qu'on sache toujours précisément quelles voies il a empruntées d'un territoire à l'autre.
 
Les suzanis (grandes pièces de tissus brodées), de Samarcande, Boukhara, Shakhrisabz









 Des tapis,






Des bijoux de la culture nomade, dont ce diadème de la province du Khorezm, fin 19e siècle.


ainsi qu’une vingtaine de peintures d’avant-garde orientalistes.