mardi 25 janvier 2022

Tadjikistan, creuset culturel

En cette période de mobilité réduite, de frontières fermées, de repli sanitaire qui se prolonge, le dépaysement passe par la lecture ou la visite d’exposition. Etre à Paris en fin d’année 2021 et début 2022 était donc une grande chance pour s’offrir l’occasion de voyager dans des contrées lointaines.


L’exposition « Tadjikistan. Au pays des fleuves d’or », au musée Guimet a fait partie de mon programme et bien que terminée depuis le 10 janvier 2022, m’y replonger pour me remémorer cette visite est une délectation à partager.
Vivre en Turquie depuis des décennies m’a familiarisée avec les brassages de populations, les influences culturelles de diverses civilisations, les liens entre le Moyen-Orient, l’Asie Centrale et l’Extrême-Orient au cours des millénaires.
Je ne m’attendais cependant pas à découvrir tant de richesses archéologiques concernant ce petit pays méconnu. Il faut dire que l’exposition présente un concentré des plus belles pièces des musées de sa capitale Douchanbé, provenant de plusieurs missions archéologiques, de prêts d’objets conservés au British Museum et de pièces des collections du musée Guimet.  
Enclavé entre l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, la Chine et le Pakistan, le Tadjikistan, aux frontières sinueuses tracées par l’URSS avant sa chute, vient de commémorer en 2021 le 30e anniversaire de son indépendance. Mais il couvre plusieurs régions historiques aux noms évocateurs : la Sogdiane au nord ouest et la Bactriane au sud ouest, et fut une terre d’échanges et de conquêtes depuis le Néolithique. De ce fait, les vestiges retrouvés sur de nombreux sites et exposés couvrent une longue période, du 4e millénaire avant notre ère jusqu’à l’avènement de l’émirat samanide aux 9 et 10e siècles. Pour ne pas se perdre, le panneau de la chronologie n’est pas superflu.

 
Sarazm, site archéologique proto-urbain, a été trouvé en 1976 par un fermier et a fait l’objet de fouilles franco-tadjiks. 



On y a découvert entre autres la riche sépulture d’une femme parée d’un collier constitué de 49 perles en or massif daté du milieu du 4e millénaire, provenant de la vallée du Zeravchan, et ornant la tête de celle que l’on nomme désormais « la princesse de Sarazm ». Un sceau cylindre de la fin du 4e millénaire dont l’empreinte fait apparaitre un bovin sur une ligne, et une rosette ou fleur à douze pétales, or et turquoise, ornement d’un bâtiment cultuel, datant du début du 3e millénaire avant notre ère.
Ce site a été inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO en 2010. Il serait l’un des tout premiers peuplements sédentarisés, d’une communauté regroupée autour d’une activité agro-pastorale en Asie Centrale. 
La richesse en minéraux (or, étain, turquoise, rubis, lapis-lazuli…) de la vallée du Zeravshan explique le développement d’un artisanat et d’un centre d’échanges à longues distances. Les prémices d’un faisceau de voies commerciales qui se développeront et seront regroupées plus tard sous l’appellation récente de Route de la Soie.
 
Au 6e siècle avant notre ère, la Sogdiane et la Bactriane n’échappèrent pas au vaste programme de conquête de Cyrus II, empereur de la Perse achéménide. La région fut administrée par des satrapes et l’on procéda à l’édification de forteresses dotées de garnisons pour se protéger des Saka (Scythes orientaux).



Avant-corps d'ibex ou de bouquetin. Elément de trône en bronze, 5e/3e siècle avant notre ère, Simigantch.

Quelques pièces du Trésor de l’Oxus, collection d’environ 180 objets en or et en argent habituellement conservée au British Museum, témoignent de leur présence.
Telle cette plaque votive en or, figurant un officiant vêtu du costume des chefs achéménides (tunique, pantalons étroits, bottes, portant à la ceinture une courte épée (akinakès) et tenant un faisceau de tiges de tamaris ou de grenadier, le barsom, élément du culte zoroastrien. (Crédit : https://amis-musee-cernuschi.org/tadjikistan-au-pays-des-fleuves-dor-3/)


Depuis cette période, la culture et la langue du Tadjikistan sont associées à l’histoire du monde perse.
Mais d’autres influences ont marqué durablement la région avec la conquête suivante, celle d’Alexandre le Grand au 4e siècle avant notre ère. Ses successeurs, les Séleucides s’allient aux Bactriens et aux Sogdiens, installent des colons et fondent des cités.

Les royaumes gréco-bactriens s’effondrent au milieu du 2e siècle avant notre ère devant l’afflux des nomades Saka et Yuezhi qui se rassembleront plus tard sous l’égide des Kouchans. L’affiche de l’exposition porte l’illustration d’une boucle de ceinture en or représentant une scène de chasse au sanglier, 2e/1e siècle avant notre ère, (Saksanokur). La composition est hellénisée mais le costume du cavalier ainsi que les ornements de la selle sont typiquement steppiques avec les caractéristiques du milieu culturel Saka/Yuezhi.
 
L’empire kouchan s’établit en Asie centrale et au nord de l’Inde de 100 à 240.
Bien que zoroastriens, les Kouchans ont participé à la diffusion du bouddhisme (dont l’Inde est le berceau) et au développement d’un art dit gréco-bouddhique (dont faisaient partie les Bouddhas de Bamiyan). La dynastie Kouchane érigea une société éclectique basée sur les cultures gréco-romaines, iraniennes et indiennes. Les documents officiels kouchans sont en Bactriane, une langue iranienne (le bactrien) écrite en caractères grecs. La stabilité permit d’assurer la sécurité des transactions commerciales en Sogdiane, carrefour des pistes caravanières, et tout au long des itinéraires.
 
Au début du 3e siècle, l’extension de l’empire perse sassanide provoque le déclin puis la chute de l’empire kouchan.
Puis au début du 5e siècle se profile l’installation des nomades hephtalites (Huns) délogés un siècle plus tard par l’établissement de pouvoirs turcs en alliance avec les Sassanides. 
Seuls vestiges de leur présence à cette époque, des pierres tombales anthropomorphes des sépultures de nomades turcs, dans le district de Djirgatal, 6e/7e siècle. Issus des croyances chamaniques, ces balbals incarnent l’esprit des défunts. 
                             
Une période prospère de 543 à 753 s’ouvrira pour les marchands sogdiens qui depuis le 3e siècle ont installé des comptoirs jusqu’en Chine. 


Des textes chinois évoquent leurs activités commerciales et caravanières avec respect et admiration. Ils ont même fourni des sujets de représentation pour des mingqi  (statuettes et objets confectionnés pour un usage funéraire, se substituant progressivement dès fin des Zhou mais surtout sous les Han, aux différents objets rituels (vases en bronze) et aux animaux et humains sacrifiés dans les tombes des élites des dynasties chinoises Shang et Zhou). Ces mingqi du 7e siècle des collections du musée Guimet témoignent de leur présence en Chine. Un chameau de Bactriane se relevant et un palefrenier.


 
L’exposition offre aussi au regard des fresques de leurs maisons à étages dans la cité de Pendjikent, (moins connue que Boukhara ou Samarkand de l’autre côté de la frontière ouzbek). Elles évoquent le commerce caravanier dont ils eurent le quasi-monopole.


Une statuette en bois et des ossuaires en terre cuite attestent de l’appartenance des Sogdiens au mazdéisme dont ils suivaient les pratiques funéraires par un décharnement effectué par des animaux sur les tours du silence (dakhma) pour ne pas souiller la terre. Ils vouaient un culte au feu mais s’éloignant des préceptes zoroastriens respectés en Iran, ils priaient aussi des idoles.


 
La statuette dénudée, entourée de ses accessoires vestimentaires, représente probablement Mithra, dieu solaire du Mazdéisme. Elle proviendrait d’un temple local du Zeravchan, Kukh-i Surkh. Elle est datée du 5e/6e siècle. 
 
L'islamisation de la région va progresser durant le règne des Samanides (819–1005), dynastie perse, puis des Ghaznévides, dynastie  turque (962– 1187).
 
Selon les termes de Valérie Zaleski, commissaire de l’exposition, « Au cœur de l’Asie Centrale, le Tadjikistan est le pays de l’entremêlement » et c’est bien l’impression que l’on garde de cette exposition ! Une diversité d’influences culturelles, cultuelles, au cœur du monde antique et des réseaux d’échanges entre les steppes, le sous-continent indien et les oasis de l’ouest de la Chine, qui en font l’exceptionnelle richesse.
 
 
Sources :
* Visite-conférence par Sylvie Ahmadian, conférencière au Musée national des arts asiatiques – Guimet.
Étienne de la Vaissière, Maître de conférences à l'École pratique des hautes études
* Les Kouchans dans l'histoire de l'Asie centrale et de l'Inde, Gérard Fussman Professeur au Collège de France
 

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