Je me souviens d’une
herboristerie parisienne, boulevard Voltaire qui a baissé le rideau dans les
années 80. La formation et le diplôme d’herboriste ayant été supprimé en 1941,
ils ne sont plus très nombreux dans l’hexagone à exercer leur profession dans
ces boutiques d’un autre temps, aux murs disparaissant derrière les meubles à
tiroirs surmontés d’étagères croulant sous une infinité de pots et de flacons,
dont les contenus étaient minutieusement pesés, emballés et étiquetés avec les
recommandations d’usage (à ma connaissance 3 à Paris).
Quelle surprise à mon arrivée
en Turquie de retrouver au marché égyptien bon nombre de plantes médicinales, alors totalement absentes des officines pharmaceutiques.
Cette pratique traditionnelle,
étayée par un savoir empirique transmis dans les familles, a perdurée jusqu'à
ce que l’intérêt pour les médecines alternatives s’amplifie, ici aussi, au
point qu’il soit relayé abondamment par les médias. Face à une demande
grandissante, chacun s’est improvisé herboriste en attribuant aux plantes
régionales récoltées des propriétés parfois très fantaisistes. (Voir ici)
Faut-il le rappeler, ce qui
est naturel n’est pas forcement sans danger et les principes actifs des plantes
ne sont pas anodins… il peut exister des contre-indications ou des interactions
non souhaitables, mais ni plus ni moins qu’avec d’autres auto médications.
Millepertuis |
Cet engouement qui dans un
premier temps a semblé profitable aux commerces d’épices va lui être
fatal dans un avenir programmé. Sous couvert de protection des consommateurs, des
séries de réglementations ont déjà réduit le nombre de plantes médicinales
(şifa bitkiler) autorisées à la vente et il est, en principe, formellement
interdit aux cueilleurs et vendeurs non pharmacien de fournir la moindre indication
thérapeutique. Si la loi a du mal à se frayer un chemin jusqu'aux marchés de province, le marché égyptien d’Istanbul s’est trouvé en première
ligne pour les contrôles. Ces initiatives étaient plutôt louables pour assurer une
identification fiable des produits, et l’établissement de listes officielles de
nomenclature en turc et en latin devaient permettre de s’y retrouver dans la
jungle des appellations diverses pour une même plante, ou du même nom pour deux
ou trois herbes botaniquement différentes. Sauf que les usages populaires ont
la vie dure et que les clients trouvaient ce qu’ils cherchaient dans certaines
boutiques du marché égyptien.
Melisse officinale |
Le ministère de l’agriculture a récemment annoncé l’application imminente du décret visant à
réserver le monopole de vente aux pharmacies, à l’exception de quelques plantes
dont l’établissement d’une liste très restrictive est en cours.
Verveine citronnelle |
Des conflits
d'intérêts sont en jeu mais la pression de l'industrie pharmaceutique est
certainement assez puissante pour gagner provisoirement la bataille comme cela
s’est produit en France en 1979, quand un décret a réduit à 34 le
nombre des plantes autorisées à être vendues hors circuit pharmaceutique. Sous
une autre pression, sans doute celle des grands groupes de distribution, la
liste publiée au Journal Officiel du 26 août 2008 en comporte 148.
Le souci de protéger les
consommateurs semble fluctuer selon des arguments qui n’ont pas grand rapport
avec la santé publique.
En France, le commerce des
plantes est redevenu florissant, et une littérature abondante sur leurs
propriétés prétend compenser la disparition des derniers herboristes.
Ici, bien que sans titre ni
diplôme, faire commerce des « simples », épices, herbes aromatiques,
cosmétiques ou tinctoriales avaient encore une signification. Avec cette vague
de restrictions intempestives, une activité traditionnelle va disparaître.
L’uniformisation croissante tend
à défigurer les lieux. Ils servirent pourtant de modèle pittoresque, il y a
quelques années, pour la mise en scène des premiers stands des nouveaux centres commerciaux qui ont envahi tous les espaces. Les petits magasins du marché
égyptien ne seront-ils plus bientôt que des annexes touristiques ?
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