Dans cette partie de la Thrace, où les montagnes boisées d'Istranca
rencontrent la Mer Noire, Iğneada, modeste petite ville balnéaire, était la deuxième
destination de la courte escapade qui nous a conduits aux grottes de Dupnisa. Nous
y arrivons en passant par Demirkoy, en suivant, environ 1h30, la sinueuse départementale
565 dont quelques tronçons auraient bien besoin de travaux de réfection…
Malgré une plage de sable doré de 15km, et une mer aux
eaux limpides, la saison estivale touche à sa fin.
Elle est bien plus courte
que sur les littoraux égéens et méditerranéens. Fréquentée surtout en juillet
et aout, Iğneada a d’autres attraits moins connus. En cet été finissant, la
température clémente nous a cependant autorisé une baignade, assez vite écourtée
par l’apparition de méduses de belle taille. Le soleil déclinant rapidement, il
n’était plus temps de partir vers d’autres découvertes. İğneada Resort Hotel
nous hébergea correctement pour le diner et la nuit. Il n’y pas beaucoup d'autres choix sur place.
La réception offre un dépliant assez peu détaillé sur les
centres d’intérêt alentours, mais
suffisant pour aiguiser notre curiosité.
A Limanköy, éloigné de 7 km, sur un promontoire venteux
surplombant la mer Noire de 45 mètres, se trouve un phare qui a été construit
par les Français en 1866 sous le règne du sultan Abdülmecit. Il est également
connu sous le nom de phare français.
Il se compose d'une maisonnette et d'une tour cylindrique de 8 mètres de hauteur. La lanterne fonctionnait
au kérosène avant l'installation de l’électricité, et pouvait guider les marins
à 20 miles (30 km) de la côte.
D’après des photos glanées sur internet, il était encore
l’année passée dans un environnement champêtre de prairies et de figuiers
sauvages.
Bien que l’ensemble soit protégé au titre de patrimoine
national par la Direction générale de la sécurité côtière, il est loué depuis
quelques années à des entreprises privées responsables de son entretien et
utilisé comme restaurant et jardin de thé.
Les conséquences ne se sont pas fait attendre bien longtemps :
Des terrasses en béton armé ont été construites autour du
phare. Il y a des marches en marbre et des pavés sur une bonne partie du périmètre.
Evidemment mes photos sont beaucoup moins pittoresques que celles-ci !
Un vieux monsieur nous salue et engage la conversation
pour nous raconter l’histoire de Selvet Nine (Mamie Selvet), qui faisait autrefois
fonctionner la lanterne. Sa famille émigra de Bulgarie vers un village turc
proche de la frontière lorsqu’elle avait 5 ans. Elle se maria avec Osman
quelques années plus tard et vint vivre à Limanköy où son beau père était déjà
en charge du phare. Son mari fut appelé à Istanbul pour son service militaire
de réserve dans les années 1940. Il y tomba malade et mourut.
Selvet resta seule avec trois filles à élever. Elle prit
donc la relève et s’occupa du phare. A la nuit tombante, le pétrole était prêt,
le ressort actionnant la rotation de la lanterne était remonté et les veilles
interminables se succédaient dans la solitude… La journée, elle consacrait
plusieurs heures à cultiver son potager.
Mustafa Engin, le mari d'une de ses filles lui succéda 14
ans plus tard. Féru de lecture, il eut à cœur que ses enfants soient instruits.
Pour écouter la radio, puis regarder la télévision, il fut l’un des premiers
habitants du village à faire relier le phare à l’électricité et Nihat Engin, le
petit fils de Selvet, malgré des études à Istanbul, s’occupera lui aussi du
phare, qui est devenu pour les villageois un modèle de modernité. Après l'automatisation du mécanisme, la famille s'est
installée à Iğneada. Nihat rend de temps en temps visite au phare où il est né
et a grandi, et aux deux autres petits phares à l'entrée du port Limanköy qui
est véritablement sur la pointe de la côte avec à l’ouest la côte Bulgare balayée
par les vents et à l’est la baie qui s’arrondie pour protéger les embarcations
jusqu'à Iğneada.
A proximité de la station se trouve le Parc National des forêts de plaines inondables d'Igneada, mais pour
découvrir cet écosystème rare, ces arbres majestueux qui grandissent dans un
monde aquatique de marais, de marécages et ces lacs qui s’écoulent parfois par delà les dunes côtières dans la
mer Noire, nous aurions souhaité trouver des informations précises, des
conseils d’itinéraires, éventuellement un guide local. Nous comptions explorer une
partie de la forêt de Longoz à pied,
mais on ne s’improvise pas aventurier dans une zone forestière de 2500 hectares,
bien que l’eau soit à son plus bas niveau à la fin de l’été.
Et il nous reste si peu de temps avant le retour vers
Istanbul. Nous découvrirons ces trésors naturels une autre fois. Une bonne
raison de revenir, peut-être au printemps pour l'éclosion des nénuphars !
Avant de partir, juste un coup d’œil sur le lac Mert et
ses rives bordées de roseaux, le plus étendu des 7 lacs alimentés par des
sources d’eau douce. Il abrite une grande
diversité de poissons et ce jeune kangal qui s’exerce à pêcher avec obstination
va bien finir par attraper de quoi se régaler.
En 2015 le projet de construction d’une 3e centrale
nucléaire avait été évoqué dans la région d’Iğneada. De vives protestations
s’étaient élevées. Actuellement personne n’en parle plus, mais ce silence n’est
pas forcement rassurant. Pour rappel, la première est en fin de construction
dans la région méditerranéenne à proximité de Mersin et il est prévu qu’elle
entre en activité en 2023. Quand à la 2e, elle devrait être
construite vers Sinop.
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