lundi 26 septembre 2022

Daskyleon, un paradis persan?


En partant à la découverte d’ Eskikaraagac, le village des cigognes, au printemps dernier, j’avais prévu de faire un détour vers un site archéologique mentionné dans les environs: Daskyleon. Mais nous nous sommes un peu trop attardés et la visite a été reportée. C’est donc en début d’automne qu’elle fut réalisée.
Une rapide recherche m’avait appris que Daskyleon se situait sur une petite colline nommée Hisartepe, au bord du lac Manyas, Kuşgölü, le lac aux oiseaux, à proximité de la Propontide (Marmara) et de ses détroits. Que ce n’était pas une cité gréco-romaine, le site n’ayant visiblement pas évolué après le passage d’Alexandre et la défaite perse conduisant à l’effondrement de l’empire achéménide tout entier. Mon imagination fertile m’avait fait entrevoir un site enchanteur, et pourquoi pas une visite guidée par les explications enthousiastes de Kaan İren, directeur des fouilles depuis 2009, ou de l’un de ses assistants.


Mais une mauvaise surprise nous attendait. Le site était entièrement grillagé et les accès bouclés par de gros cadenas. La saison des fouilles était visiblement terminée. Pas même un gardien pour nous permettre une courte visite sous surveillance rapprochée comme c'est le cas parfois! La séance photo allait être courte, et pauvre l’illustration !

 
Pourtant la documentation archéologique concernant Daskyleon est bien fournie, le site ayant été localisé en 1952 par Kurt Bittel et les premières fouilles entamées par Ekrem Akgural l’année suivante (voir les sources).



D’après mes fiches qui m’accompagnent lors d’une visite, voici quelques indications :
Des découvertes épigraphiques et archéologiques ont attesté qu'une colonie phrygienne occupait les lieux à partir du 8e siècle avant notre ère, et qu’elle était probablement encore présente quelques siècles plus tard. Maquette d’un temple de Kibele (Cybèle), récipients similaires aux céramiques récupérées lors des fouilles de Gordion, mais aussi une inscription en phrygien faisant allusion au roi, sous un pied de kylix (coupe évasée) et datant de l’époque du satrape Megabates au 5e siècle.
Entre temps les Lydiens s’y installent : selon la légende, Daskylos, un noble du pays lydien fut exilé sur ces terres du nord de la Lydie. Son fils Gygès, qui allait devenir le grand roi de Lydie, y est né. Lorsque Daskylos est appelé à Sardes, la capitale de la Lydie, il ne veut pas quitter cette ville et envoie son fils Gygès à sa place. Gygès, devenu roi, rend hommage à son père en nommant la ville de son nom. On lui attribue donc la fondation de la cité en 659 avant notre ère. Des fortifications en terrasse furent élevées au 7e siècle par les Lydiens. 


Elles ne suffirent pas à protéger la ville de l’arrivée des Perses Achéménides qui venaient de conquérir Sardes. Les fouilles de Daskyleon ont révélé des traces d’incendie correspondant à cette période (milieu du 6e siècle avant notre ère).
En peu de temps, toute l'Anatolie occidentale fut sous domination perse et rapidement divisée en satrapies. Mais l’importance stratégique de cette satrapie qui s'étendait de Sinop à Pergame, a nécessité de par sa situation géopolitique, le développement et la protection de toute la région. Daskyleion, qui en était la capitale, nommée par les Perses Tayaiy Drayahya «peuple de la mer», connu une importante croissance à partir de 546 avant notre ère, ce qui explique l’intérêt porté aux vestiges de cette période. Des vestiges de construction d’un mur de terrasse monumental surmonté d’un grand bâtiment  pourraient correspondre au palais où vécurent plusieurs satrapes, jusqu'à ce qu’il soit incendié en 395 avant notre ère, par les armées d'Agesilaos (roi de Sparte), qui arrivent jusqu'à Daskyleion quelques décennies avant le conquérant macédonien. Une autre bâtisse devait rassembler des documents administratifs et cultuels. 
Un ensemble exceptionnel d’empreintes de sceaux, dont beaucoup présentent des similitudes avec ceux trouvés  en Iran pour la même période, a été découvert dans le périmètre par Ekrem Akurgal (1911-2002), en charge des fouilles entre 1953 et 1959. Les bulles étaient généralement en argile crue mais celles-ci ont subi un incendie qui a permis leur conservation.
Les Perses n’imposèrent pas leur culture ni leurs croyances dans les provinces conquises, mais cherchèrent à enrichir leur civilisation au contact des civilisations anatoliennes ou grecque. Il leur suffisait de faire respecter le Grand Roi, de collecter de lourds tributs et de recruter des soldats pour garantir la puissance de l’empire. 
Daskyleion est cependant l’un des rares endroits en Asie Mineure où l'on ait retrouvé des témoignages de l'influence perse.
Les tombes sous tumuli construites pour des notables phrygiens, lydiens ou persans qui vivaient dans la ville, et des stèles sont directement inspirées de l’art achéménide.
Une voie a été identifiée par Tomris Bakır (1941-2020), directrice des fouilles de 1988 à 2008 comme une route sacrée où se déroulaient des cérémonies liées au culte du feu. Un bas-relief relatant une cérémonie du culte zoroastrien, découvert sur les lieux est parait-il visible au musée archéologique d’Istanbul.
 
J’avais pris note que le musée de Bandırma recelait un certain nombre d’artefacts concernant Daskyleon.  



Il était temps d’aller y faire un tour pour ne pas rentrer complètement bredouille ! Des reliefs anatoliens-perses, des stèles funéraires, des plaques de jaspe, les phiales de type achéménide, des rhytons, des dareikos en or, des siglos en argent trouvés dans les tombes, peu de traces identifiées ici. Mais certaines des trouvailles d'Ekrem Akgural sont à voir au musée archéologique d'Istanbul. Dont celle-ci:


Une vitrine du musée de Bandırma expose quelques bulles en argile (empreintes de sceaux) sur une collection de plus de 400 étudiée par Deniz Kaptan*. 


Ces bulles témoignent de la rigueur de l’administration achéménide qui maintenait la communication entre les provinces et le centre impérial. Ils nous donnent aussi des informations sur l’environnement socioculturel de la cité.
Difficile d’y distinguer les thèmes iconographiques évoqués dans l’inventaire : les cérémonies royales, les rituels religieux des Achéménides, le héros perse, l'archer et l'iconographie associée, la chasse et le combat, et les animaux, créatures composites et autres images de la nature. Apercevoir quelques traces épigraphiques en persan ou en araméen, s’avère quasi impossible.



 
Les auteurs de la Grèce antique ont heureusement décrit avec beaucoup de précisions le faste des cours satrapiques d’Anatolie et en particulier celle de Daskyleon. Ils évoquent des palais et des « paradis », sortes de vastes jardins ou parcs d’agrément servant également de réserve de chasse. Le mode de vie des Satrapes devait reproduire en partie celui du Grand Roi. Et la proximité du lac Manyas, avec la richesse naturelle de ses rives en faune et en flore, de ses eaux poissonneuses, et des nombreuses espèces d’oiseaux le survolant au gré des saisons, avait dû grandement leur faciliter la tache pour aménager ici, l’un des plus merveilleux Pairi daiza (paradis).
Il semblerait que la motivation scientifique des recherches sur ce site soit légèrement teintée d’une quête plus poétique. Presque tous les documents évoquent ce Pairi daiza perdu que l’on aimerait bien retrouver, mais aucun vestige n’est venu concrétiser son existence jusqu'à maintenant.  
 
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Sources

“Daskyleion İlk Çağ Kenti Kazı çalışmaları” Nevşehir Haci Bektaş Veli Universitesi 

(Chercheur associé, UMR 5133 Archéorient (CNRS, Lyon 2) – Maison de l’Orient et de la Méditerranée)

Bulletin de Correspondance Hellénique  Année 1913  37  pp. 340-358

*Revue des études anciennes. À propos du livre de D. Kaptan, The Daskyleion Bullae : Seal Images from the Western Achaemenid  Empire, Achaemenid History XII, Leiden 2002 Frédéric Maffre. L’auteur F. Maffre commente une étude des empreintes de sceaux

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