Pour compléter nos pérégrinations phrygiennes, il fallait bien aller voir
de près ce qu’il restait de leur capitale fondée par le roi Gordias.
Le site, à proximité du village Yassihöyük, a été abondamment fouillé
depuis plus d’un siècle par des archéologues allemands puis américains. Le
musée expose des artefacts trouvés dans les tumuli de la nécropole phrygienne
(une trentaine fouillée sur les quatre-vingts répertoriés) ainsi que dans les
nombreux niveaux d’occupations des alentours depuis l'âge de bronze jusqu'à
l'époque romaine.
A l’entrée du musée, ce n’est pas Midas, ni Gordias qui nous accueille mais Alexandre Le Grand! La reproduction d’un détail de la célèbre mosaïque du
2e siècle av. JC, retrouvée à Pompéi et conservée au Musée
archéologique de Naples, veut vraisemblablement évoquer ici l’épisode du fameux
nœud gordien inextricable tranché par le conquérant macédonien lors de son
passage à Gordion, lui assurant la victoire de son entreprise : la conquête
de l’Orient !
Les vitrines se rapportant aux Phrygiens témoignent de leurs activités
artisanales de tissage, de modelage de diverses formes de céramiques aux décors variés, d’éléments
architecturaux (tuiles et panneaux décorés), de fabrication d’élégants objets
en métal dont les phiales, ces coupes sans pied ni anse, peu profondes avec un
renflement central à la base qui serait, d’après les explications muséales, à
rapprocher de la symbolique de l’omphalos
grec (nombril, centre du monde), et retrouvées dans le grand tumulus avec les fibules attachant les vêtements du défunt.
Des tessons portent les traces d’écriture phrygienne apparentée au grec.
Sous abri, on peut voir la reconstitution d’une mosaïque bichrome datée du
8e siècle av.JC, dont l’assemblage de galets présente des décors géométriques
qui selon certains auraient inspiré les dessins des kilims anatoliens. Elle
ornait le sol d’un des grands mégarons découvert dans la ville de Gordion et
serait la plus ancienne mosaïque connue.
Si l’on fait volontairement l’impasse du contenu des autres vitrines
concernant les vestiges antérieurs et postérieurs aux Phrygiens, découverts près d’ici, une exception sera
faite pour un tombeau galate mis au jour en 1955 dans le village de
Kıranharmani à plusieurs kilomètres de là. Les dégradations causées par les éléments
naturels et les hommes mirent en grand danger ce vestige jusque là
intégralement enfoui, mais pillé à une époque indéterminée. En 1999 il fut
démonté pierre par pierre et reconstitué pour y être exposé et protégé au musée
de Gordion.
Un clin d’œil aux tribus gauloises qui sont en effet venues s'installer
dans les parages au 3e siècle av.JC. Elles ont même eu pour capitale
l'antique Ancyre (Ankara) qui s'appelait peut-être alors Angora.
Juste en face, le plus grand tumulus de la nécropole se visite par une entrée
aménagée et un couloir d’accès qui n'existaient évidemment pas à l'époque
phrygienne.
Seules sont visibles les poutres en cèdre délimitant la chambre funéraire du
roi phrygien, Midas... ou peut être Gordias selon certains. La reconstitution de
son contenu se trouve au musée des Civilisations Anatoliennes à Ankara. Une
partie des objets en bronze (fibules, phiales et pichets) est cependant exposée
au musée local.
Mais pour donner quelques éléments à notre imagination, citons Jacques des
Courtils qui nous dit qu’en 1957, lorsque les archéologues américains
accédèrent à la sépulture… « Le mort fut retrouvé allongé sur un lit de
bois, drapé dans un tissu et entouré d'un trésor considérable de chaudrons et
vases en bronze et de meubles en marqueterie. Les chaudrons contenaient encore
des traces du banquet funèbre : le menu était composé d'une sorte de ragoût de
mouton. »
Le site urbain de Gordion est un peu plus loin au sommet d’une colline et
l’excavation a dégagé un ensemble représentatif de vestiges. Alignements de
mégarons (édifices rectangulaires à pièce unique, traditionnels dans
l’architecture anatolienne du
deuxième millénaire), à usage divers : lieux de culte, résidences, et ateliers
identifiés par la présence d'objets tels ceux exposés dans une des vitrines du
musée (pesons de tissage, navettes en os, aiguilles).
Les fouilles archéologiques continuent aux alentours et il est à peu près
certain que la ville s’étendait jusqu’aux abords de la rivière Sakarya, bien au
delà des fortifications entourant la colline.
Il était prévu de faire un crochet par Pessinonte (actuellement Ballıhisar proche
de Sivrihisar),
cité antique dont la fondation est attribuée au roi Midas qui y aurait fait
construire le premier temple de Cybèle, abritant un bétyle (pierre tombée du
ciel et censée représenter la déesse)…
Mais le ciel menaçant n’a fini par déverser qu’un déluge prévisible, nous
obligeant malgré tout à remettre la rencontre avec la Déesse-Mère à une autre fois.
Une dernière parenthèse pour compléter un portrait en pointillé du roi
Midas. Diplomatie oblige, il aurait épousé Démodiké, fille d’un roi de Kyme, pour
s’assurer d’un soutien des cités grecques de la côte égéenne. Mais cet épisode
ne figure pas sur les panneaux explicatifs du site antique visité en 2012, par
contre des rapports de fouilles anciennes font allusion à la découverte d’une statue
archaïque de Cybèle et cinq bas-reliefs la représentant avec un lionceau dans
les bras…
La bibliographie en français au sujet des Phrygiens est assez réduite, mais
on ne peut pas manquer de citer un ouvrage donnant un bon aperçu de l’état de
connaissance de leur civilisation et ayant l’avantage de la replacer dans le
contexte historique et géographique des civilisations l’ayant précédée et de
celles qui lui ont succédé :
Civilisations oubliées de
l'Anatolie antique, Laurence Cavalier et Jacques des Courtils, PU Bordeaux 2010
Quittons les vestiges phrygiens sur l'image d'un ultime panneau ponctuant le paysage...
Merci pour les reportages superbes sur l'Anatolie ancienne : les photos et les commentaires sont très intéressants et instructifs ! Bonne continuation en Turquie ( nous suivons de près la catastrophe minière et ses conséquences ! Bien amicalement
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimer