Assez lézardé sur les plages de la Marmara. Certains
commencent à ressentir des engourdissements et malgré la chaleur s’impatientent
d’arpenter quelques sites archéologiques en attendant de partir fouiller plus
loin à l’est du côté de Batman… là où le thermomètre passera allègrement la
barre des 40, là où les objets déterrés seront encore plus anciens et
attesteront d’une occupation humaine néolithique…
Après avoir franchi
le détroit des Dardanelles notre objectif du moment se limitera à une région d’Anatolie
occidentale, l’antique Troade.
La première étape sera consacrée au site d'Hisarlık, près de la
côte égéenne et de la ville de Çanakkale.
A l’entrée, la reproduction du mythique cheval de bois nous rappelle que les premiers coups de pioche de H. Schliemann
avaient pour motivation la découverte de la ville de Troie du roi Priam et de
son trésor…
...Celle qui fut, selon l’épopée homérique, assiégée par les Achéens pendant
10 ans vers 1200 av. JC, puis finalement vaincue par la ruse et détruite, celle
qui enflamme les imaginations depuis des siècles, celle qui a fait couler tant
d’encre et qui continue à alimenter des polémiques sans fin.
Les sites archéologiques présentent rarement une période
unique et il est donc fréquent d’avoir à effectuer un voyage dans le temps en passant
d’une ruine à l’autre. En ce qui concerne Troie c’est un véritable millefeuille
qui a fait l’objet de 31 campagnes de fouilles depuis 1871.
Les panneaux explicatifs (turc, allemand, anglais) ne sont
donc pas superflus pour s’y retrouver dans cet empilement qui a commencé vers 3000
av. JC pour s’arrêter à la période romaine des premiers siècles de notre ère.
La fameuse tranchée de Schliemann a révélé dès le début les
9 niveaux d’occupations successives depuis l’âge de Bronze ancien mais à cette
époque on ne le savait pas.
Les datations étaient plus qu’approximatives, la
rigueur scientifique absente et les interprétations pas très respectueuses des réalités
topographiques. Ainsi Schliemann était-il convaincu d’avoir trouvé les vestiges
de la ville décrite par Homère au niveau II (alors qu’aujourd’hui les
hypothèses se portent sur les niveaux VI et VII, de plus de 1000 ans plus
récents).
Dès le niveau I (le plus ancien et donc le plus profond),
on a pu constaté la présence de fortifications prouvant la nécessité de
protéger ce lieu stratégique tout près du détroit et qui était probablement
déjà une place d’échange et de commerce de matériaux, assurant la prospérité de
ses habitants. Ce site proto urbain va s’étendre et s’enrichir comme
l’attestent les vestiges du niveau II (2600-2450 av. JC). Sous une bâche protectrice, on peut voir le mur d'enceinte de l'acropole et un vaste édifice de type mégaron en pierre et en pisé ayant subi un incendie.
La ville haute réservée à l’élite, entourée de remparts aux portes monumentales
était accessible par des rampes dallées de pierre.
C’est à ce niveau que de
nombreux bijoux et parures témoignant d’un remarquable travail du métal ont été
trouvés et nommés hâtivement par Schliemann « le Trésor de
Priam ».
Une ville basse en arc de cercle la
bordait, protégée par un fossé défensif et une palissade… qui aurait été
remplacée par un mur d'enceinte de type cyclopéen à la période VIIa (- 1300
environ). Elle recèle les preuves d’une activité artisanale importante de forgerons, de potiers,
de tisserands et teinturiers de la période du Bronze ancien.
Les archéologues dirigeant les campagnes de fouilles
successives (Wilhelm Dörpfeld de 1893 à
1894 ; Carl Blegen de 1932 à 1938 ; John Manuel Cook de 1970 à
1973 ; Manfred Korfmann de 1988 à 2005 ; Ernst Pernicka de 2006 à nos
jours, ont fait de nombreuses prospections sur un vaste périmètre. Des pistes,
des indices ont apporté des éléments de réponses sur les périodes litigieuses
et plus encore de questions, relançant les débats à propos de la fameuse guerre
de Troie.
Les vestiges correspondant à cette période (1700 - 1250 av. JC) aux niveaux VI et VII sont significatifs.
L'épais mur d'enceinte (côté est) en blocs de pierre et l'une des tours carrées
Plus loin, un pan de mur de ce que l'on nomme le palais, avec au premier plan les traces des fortifications
Le mur d'enceinte et des vestiges de la porte côté sud.
Un petit sceau de bronze, gravé sur ses deux faces de hiéroglyphes
hittites en langue louvite, est la plus ancienne inscription trouvée sur le
site. Elle date de la période impériale hittite (1430-1180 av. JC).
La rivière souterraine mentionnée sur une des tablettes
hittites découverte à Boğazköy/Hattusa, concernant un traité de paix et de
commerce avec une ville qu’ils nomment Wilusa, pourrait bien être celle-ci:
La grotte abrite une source prolongée d’un canal
souterrain et d’un système d’irrigation aménagés par l'homme au IIIe millénaire.
Ce traité dit de Alaksandu est placé sous le témoignage de deux divinités nommées
Ap-pa-li-u-na-as (identifiées sous réserve à Apollon, protecteur des Troyens)
et KASKAL-KUR (la divine rivière souterraine des Hittites)
Entre la cité troyenne et l’empire hittite des liens plus
étroits qu’on ne le supposait sont envisagés. Certaines hypothèses avancent même
que Troie était sous la protection des Hittites et que la fameuse guerre fut un
conflit majeur entre les Achéens/Mycéniens et les Hittites pour en prendre le
contrôle pour les premiers ou le conserver pour les seconds.
Un indice attestant de la marche d’une armée hittite vers
Troie-Wilusa serait même inscrit en hiéroglyphes dans la pierre au col de Karabel (près d’Izmir). En tout cas le personnage représenté sur la paroi
rocheuse, un arc dans la main droite et une lance dans la main gauche, n’a rien
de pacifique ! Part-il défendre la cité menacée ? (Ceci est un
exemple d’extrapolation abusive trouvé dans un documentaire de France 5 vu sur mystère TV). En
fait les spécialistes nous disent que le bas relief indiquerait seulement que
Tarkasnawa, roi de Mira, vassal et contemporain de l’empereur Hittite Tuthaliya
IV, serait revenu vainqueur d’une expédition sur les rives de la mer Egée, et
qu’ « il est difficile par ailleurs de fixer de façon sûre les
emplacements exacts du pays de la rivière de Seha et du Wilusa à partir des
inscriptions de Karabel. L’ensemble de la documentation rassemblée à ce sujet présente
des contradictions qui ne sont toujours pas levée. » * )
D’autres vestiges témoignent de constructions plus tardives de l’époque d’Homère et des peuplements hellénistiques, niveau Troie VIII (environ 700 - 85 av. JC). Ainsi le temple d’Athéna dont Lysimaque (général d’Alexandre le Grand) ordonna la construction vers 300 av. JC et qui fut rénové vers 31 av. JC par l’empereur romain Auguste.
Le périmètre sacré avec ses autels et ses puits témoigne d’un
important centre cultuel où l’on organisait des fêtes et des sacrifices en l’honneur
de la déesse.
Quant à la période romaine, niveau Troie IX (de 85 av. JC
à 400 ap. JC), elle se matérialise sur le site par les vestiges du bouleutérion
et de l’odéon.
Pendant
le règne de l'empereur Auguste de grands travaux furent réalisés que l’on
explique par l’attrait des lieux pour les Romains revendiquant pour ancêtre le héros
troyen Enée. Il semble même que la cité, renommée Ilium, fut un centre de pèlerinage
très fréquenté.
La fascination n’a pas faibli au cours des siècles et
Troie continue d’alimenter à notre époque une abondante littérature, des conférences,
des expositions, sans oublier la filmographie.
D’erreurs chronologiques en déductions abusives,
d’hypothèses audacieuses en thèses réfutées, d’affirmations étayées par des
constatations géologiques, études d’artefacts et squelettes, en interprétations
jugées hâtives, les spécialistes se livrent une véritable bataille. Les recherches continuent. Visiblement les lieux
portent les traces d’événements dévastateurs, incendies, tremblements de terre, conflits armés mais leur datation pose encore problème malgré la technologie. Les preuves incontestables sont rares.
Malgré les controverses, l'UNESCO, a inscrit le « site archéologique de
Troie » sur la liste du patrimoine mondial en 1998 et la visite des lieux reste
passionnante pour ceux que les incertitudes ne rebutent pas.
* Le déclin et
la chute du Nouvel Empire hittite: Les Hittites et leur histoire, Jacques
Freu, Michel Mazoyer, Isabelle Klock-Fontanille, L’Harmattan,
2010, Pages 132-140
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