Tlôs est situé sur la rive gauche dans la moyenne vallée du Xanthe (actuellement
Eşen) qui se déroule encore sur une trentaine de kilomètres jusqu'à l’estuaire
du fleuve à Patara. Les terres fertiles de cette vallée ont attiré les hommes du
mésolithique (à la fin du 9e millénaire avant notre ère) et leur
établissement dans la région au néolithique est plus que probable.
Les textes hittites du 14e siècle avant notre
ère mentionnent la cité sous le nom de Dalawa, Tlawa en louvite.
Sa fondation est attribuée à Tlôos, fils aîné de Trémilès
et de la nymphe Praxidiké, selon un mythe décrit au début du 5e siècle avant notre ère, issu probablement d’une tradition orale bien plus
ancienne faisant référence à un flux de migrants qui fonda à l’âge du Bronze
récent les cités de Dalawa/Tlawa/Tlôs, Pina/Pinara et Kragos/Sidyma ou bien à
l’arrivée de populations louvites au 2e millénaire avant notre ère
qui évincèrent les Solymes, occupant précédents des lieux ?
La mythologie grecque offre une version de Termiles venus
de Crète avec à leur tête Sarpédon, frère de Minos, fils de Zeus et de Laodamie
(elle-même fille de Bellérophon), qui régna sur la Lycie et fut allié des
Troyens. L’absence d’intervention de Zeus lors des combats (pour la cause que
l’on sait depuis la visite de l’autel de Zeus en Troade!) sera fatale à son
fils Sarpédon.
Bellérophon (grand-père de Sarpédon) monté sur le cheval
ailé Pégase s’était déjà illustré dans la région en la délivrant d’un monstre,
la Chimère au corps de lion, chèvre et serpent, crachant le feu, (feu qui continue
de brûler à Chimera). Cet exploit lui aurait valu la reconnaissance du roi, qui
lui donna sa fille en mariage et en fit l’héritier du royaume.
Un peu avant d’arriver sur le site, on aperçoit un
tombeau rupestre dont les bas-reliefs représentent des fauves, gardiens de la sépulture, et Bellérophon sur sa monture. Inaccessible à la visite depuis cet endroit
et vivement déconseillé de tenter l’approche périlleuse depuis l’intérieur du
site. Ce serait la plus ancienne sépulture avec façade en forme de temple en Lycie
et elle est datée de la période classique.
Depuis sa découverte par Charles Fellows en 1838, le site
n’a fait l’objet de fouilles systématiques que récemment, contrairement à
Xanthos.
Des études de surface ont été entreprises par les membres
du département d’archéologie de l’Université d’Akdeniz en 1992. Les fouilles ont commencé en 2005 sous la direction du Professeur, Dr. Taner Korkut, et se poursuivent.
Auparavant l’archéologue Hüseyin Öztürk avait découvert
en 1996, devant la grotte de Girmeler, près de Tlôs, des tessons de
céramiques néolithiques du 7e millénaire avant notre ère, et comparables
à ceux d’ Hacılar (près de Burdur).
Une hache datée du 2e millénaire avant notre
ère est jusqu'à présent, le seul artefact retrouvé à Tlôs concernant cette
période.
Au sommet d’un éperon rocheux que l’on voit de loin, et
qui permettait un contrôle efficace des alentours, un habitat lycien s’est développé
pendant toute la période achéménide sur l’acropole fortifiée. Aujourd’hui s’y
élèvent les vestiges d'une citadelle habitée au 19e siècle par un seigneur turc nommé
"Kanli Ali Aga" (Ali le sanguinaire).
On y accède par des sentiers escarpés, traversant la
nécropole s’étageant sur les flancs du piton.
La nécropole fut utilisée de manière
continue à partir de la période classique (5e et 4e siècles
avant notre ère). Les tombes taillées dans la roche constituent un ensemble important du site. Leurs façades remarquables
reproduisent l'architecture en bois traditionnelle de Lycie.
D’autres encore
plus monumentales évoquent l’entrée d’un temple.
Le deuxième groupe de sépultures de la nécropole de Tlôs
est composé de sarcophages. Les plus anciens sont de type lycien caractérisés
par des couvercles de forme ogivale, comme la coque renversée d'un bateau, tandis que d’autres datés de la période
romaine ont des toits triangulaires.
Depuis l’acropole on découvre les vestiges de la ville
basse qui ne s’est probablement développée qu’à la fin de l’époque hellénistique
et surtout à l’époque romaine. Les plus anciens sont datés du 2e
siècle avant notre ère, période faste de la Confédération Lycienne, mais la plupart des monuments ont subi des reconstructions importantes suite au séisme destructeur de 141.
L'agora, centre de la vie commerciale, politique et
administrative ainsi que lieu des activités sociales et culturelles n’a été que
partiellement fouillée. Elle est encore recouverte de couches accumulées par l’érosion.
Les éléments architecturaux trouvés en surface datent du 2e siècle de
notre ère. La zone, réutilisée au début de la période byzantine a du subir d’importantes modifications, dont la construction d’une
basilique attestée par quelques arches.
On distingue cependant les structures monumentales qui devaient déjà exister dans la période hellénistique. Le bouleutérion, les gradins du stade (à gauche sur la photo ci-dessous).
Et de l'autre coté du stade, la stoa et le théâtre.
Les thermes, la palestre avec accès direct sur des bains
sont des constructions de la période romaine.
Un petit temple, unique exemple en Anatolie de culte dédié à Kronos, est situé tout près de la basilique. Identifié par W. Wurster en
1976, il a fait l’objet d’études et de restaurations entre 2010 et 2014.
Crédit photographique: http://www.tloskazilari.com/ |
Sa construction au cœur de la ville dans sa période
romaine, coïncide avec des données épigraphiques concernant le culte de Kronos débutant
ici au 1e siècle de notre ère, inscriptions se multipliant au 2e
et 3e siècles. On sait aussi que la ville organisait des fêtes, les
Krôneia, tous les quatre ans, pour honorer la divinité grecque.
Il semblerait que sa vénération soit due à son
assimilation au dieu de l’Orage Tarqas (Tarhunt louvite) qui avait fait l’objet
d’une loi gravée au 4e siècle avant notre ère concernant
l’organisation de son culte et de celui de la déesse-Mère, à Tlôs mais aussi à
Pinara, Telmessos et Kadyanda. Ce qui laisse à penser que Tlôs aurait été un
centre cultuel d’importance peut être en rivalité avec Xanthos, mais surpassé
par cette dernière à partir du 4e siècle avant notre ère. Tlôs
aurait pu aussi trouver à la période romaine, le moyen de raviver le
traditionnel culte de Kronos, ce Titan, dieu des Solymes selon une légende
remontant aux plus hautes époques de l’histoire lycienne et racontée par
Plutarque (46/125).
Les textes gravés dans la pierre ne sont pas toujours faciles à interpréter mais parfois ils sont limpides et font passer
un individu à la postérité. Ainsi nous apprenons que la reconstruction du théâtre
a été financée par un certain Opramoas de Rhodiapolis. Il existe ailleurs en
Lycie d’autres traces écrites de ses généreux bienfaits.
Un autre témoignage de reconnaissance sociale a été découvert
près de l’agora en 1892 par une expédition autrichienne. Le piédestal d’une
statue disparue, daté approximativement de 95-55 avant notre ère, porte cette
inscription : «Antiochis de Tlôs, fille de Diodotus, félicitée par le
conseil municipal et les habitants de Tlôs pour ses capacités dans l’art
médical, a érigé cette statue d'elle-même».
Il semblerait que ses compétences et ses
recherches aient largement dépassé les frontières de la cité et de son
époque: Héraclite de Tarente lui aurait dédié un ouvrage pharmacologique sur la
thérapeutique des saignements. Et Galien (129-216) la cite comme une autorité dans le domaine des
soins de rate douloureuse, de rétention d’eau, de sciatique, d’arthrite.
Nous quittons l'un des plus importants établissements de
la civilisation lycienne pour aller sur les traces de Pinara et Sidyma, cités « sœurs »
de Tlôs, non sans un regard de convoitise sur les superbes fruits que porte ce grenadier, tout aussi inaccessibles que le tombeau rupestre évoquant Bellérophon!
Plan d’ensemble du bourg de la montagne et des bâtiments
romains à Tlôs (d’après Wurster, 1976) Crédit photographique
Références bibliographiques :
*Eric Raimond, Tlos,un centre de pouvoir politique et religieux de l'âge du Bronze au IVe s. av.J.-C. In: Anatolia Antiqua, Tome 10, 2002. pp. 113-129.
*Hadrien Bru, François Kirbihler et Stéphane Lebreton, L'Asie mineure dans l'Antiquité : échanges,
populations et territoires, Presses Universitaires de Rennes, 2009
*Laurence Cavalier et Jacques des Courtils, La vallée du Xanthe et la mer [article],
Anatolia antiqua. Eski Anadolu Année 2011/19/ pp. 453-463
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