Un mois s’est écoulé depuis mon retour d’un voyage en
Anatolie du Sud-Est. La rédaction de plusieurs articles en a occupé une partie,
mais surtout il a bien fallu tout ce temps pour évacuer la déception occasionnée
par la visite du site de Göbekli Tepe, pourtant si attendue.
Fermé aux visites la veille, pour une raison non
communiquée… il est finalement accessible en cette matinée.
Depuis le parking flanqué des deux bâtisses circulaires
composant le centre d’accueil touristique, (pourquoi pas un hôtel aussi pour
mieux rentabiliser le concept ?), une navette nous conduit sur la voie empierrée
de 900m, vers les lieux balisés et recouverts de l’imposante structure de
protection.
L’ensemble des 4 enceintes circulaires désignées A, B, C et D, les
plus longuement fouillées par Klaus Schmidt et son équipe, est donc isolé du
reste du site qui pourtant en recèle une quinzaine d’autres semblables selon
des relevés géomagnétiques, dont quelques unes en cours de fouilles. E et F
sont en plein air, au bord de la voie d’accès et d’autres sont sous la protection d’une toiture métallique.
Pour la perspective, il faudra avoir recours à son
imagination…
Mais une autre surprise nous attend.
Depuis la rambarde intérieure de la passerelle qui entoure
les vestiges et qui normalement doit permettre d’avoir une vue d’ensemble, est
tendue une bâche verte qui recouvre le tout, occultant toute visibilité et pas
mal de luminosité.
Pas d’autre option que de s’accroupir pour apercevoir quelque
chose derrière le grillage. Et oui il y a aussi un grillage… et ça complique
encore les choses pour faire des photos. Bien viser pour que l’objectif soit en
face d’un trou… Ça devient très vite agaçant et inconfortable, même pour les
plus motivés !
Peut être aurait-il mieux valu s’en tenir aux
descriptions enthousiastes des archéologues, aux récits de visiteurs fascinés
qui ont eu la chance de voir le site avant son aménagement, aux photos de
magazines spécialisés…
Laissons un moment de côté le dépit et la frustration
pour se concentrer sur ce que représente ce lieu pour l’histoire de l’humanité.
Depuis la découverte fortuite de son importance et les premières
prospections en 1995, les campagnes de fouilles se sont succédées et ont
immédiatement retenu l’attention de la communauté scientifique. Klaus Schmidt,
archéologue allemand, y a consacré 19 années de sa vie avant son décès en 2014.
Les fouilles continuent avec la coopération de l’institut allemand d'archéologie
et du musée archéologique de Şanlıurfa, ainsi que le soutien financier du groupe
Doğuş qui a investi aussi pour l’infrastructure.
En juin 2018, le site a été inscrit sur la liste du
Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Fermé au public depuis 2016 pour travaux d’aménagements, il est en principe ouvert depuis mai 2018.
Un monticule haut de 15m et d’un diamètre de 300m, couronnant
une colline de 750m, est à l’origine de la toponymie Göbekli Tepe, et plutôt
que sa traduction « colline au nombril » couramment acceptée, celle
de « mont ventru » serait à mon humble avis plus exacte.
Mais ceci n’est qu’un petit détail pour tenter de
replacer le site dans son environnement naturel que les derniers aménagements
tendent à faire oublier…
Cette région aux confins de l’Anatolie orientale et de la
Haute Mésopotamie, est connue pour avoir abrité quelques unes des premières
sédentarisations de l’humanité notamment à Nevalı Çori, Hallan Çemi, Çayönü… dont
les niveaux les plus anciens ont été datés vers 9 000 avant notre ère.
Mais le site de Göbekli Tepe, situé à environ 20km de Şanlıurfa n’est
pas un témoignage de sédentarisation. Les études, menées depuis plus de 20 ans,
convergent vers la perception d’un lieu de rencontre de plusieurs groupes de
chasseurs-cueilleurs ayant entrepris de monumentales constructions pendant plus
de 1000 ans (entre 9600 et 8200 avant notre ère). Puis elles ont été ensevelies
volontairement comme pour marquer la fin d’une époque. Une véritable aubaine,
cet enfouissement qui les a protégées, une extraordinaire chance de les avoir
retrouvées. Reste à savoir comment une telle réalisation a été possible avec
des moyens très limités (essentiellement des silex en grande quantité,
retrouvés sur place… et la force musculaire humaine). Reste à décrypter la
signification qu’elles avaient pour leurs constructeurs et pour ceux qui se
rassemblaient en ces lieux. Car ils étaient nombreux, comme l’attestent les
résidus d’une abondante consommation de nourriture et de boissons probablement alcoolisées.
Ce que l’on peut en voir est un ensemble monumental de 4
enceintes. Chacune d’elles a un diamètre allant de 10 à 25m. Deux imposants
monolithes en T se dressent au centre mesurant jusqu'à 5,50m de hauteur, pesant
de 15 à 20 tonnes.
Sur le pourtour de chaque enceinte, une dizaine de piliers, plus petits mais également
en T, sont insérés dans un mur de pierre et de mortier de terre crue.
Sur l’une des faces et parfois sur la tranche ils sont
décorés de reliefs représentant une faune variée, renards, sangliers, aurochs, serpents,
insectes, oiseaux.
Ces monolithes sont sans aucun doute possible de forme
anthropomorphique. Certains présentent en relief le détail des mains, d’une
ceinture, d’un pagne. On voit nettement ici le long bras et la main tenant le bas du pilier et juste en dessous des signes alignés.
Mais la tête n’est pas représentée, juste évoquée par la
barre du T. Pourquoi deux piliers centraux ? Dualité masculin/féminin ?
Aucun détail n’a confirmé cette hypothèse.
D’après Schmidt, il est possible que ces représentations
humaines sans visage mais gigantesques correspondent à un changement de
perception de l’humanité sur son environnement, à une affirmation de sa
suprématie sur les animaux.
Pour les représentations animalières d’un naturalisme étonnant,
plusieurs hypothèses sont avancées. Des gardiens, des attributs des créatures
anthropomorphiques, un répertoire des animaux vénérés ou sacrifiés lors des
pratiques funéraires, des emblèmes totémiques de différents clans?
Les questions sont plus nombreuses que les réponses.
Cet ensemble architectural met en évidence la mise en
œuvre de techniques complexes, d’une maîtrise de l’espace, d’une organisation sociétale
hiérarchisée, d’un sens artistique très évolué. Il témoigne de grands rassemblements
périodiques qui favorisaient la
communication et probablement le partage des connaissances entre des groupes
habituellement éparpillés.
Une révolution culturelle aurait donc précédé et aurait
été le facteur déclenchant d’un passage progressif vers la sédentarisation qui
aurait elle-même entraîné des conditions favorables au début de l’agriculture
et la domestication d’animaux.
Au delà du spectaculaire de la réalisation, Göbekli Tepe témoigne
surtout d’une période de transition et de grands changements dans l’histoire de
l’humanité.
Dommage qu’il ait été récupéré pour en faire une destination
touristique de masse… tout comme le sanctuaire d’Antiochos au sommet du mont
Nemrut et le site de Zeugma, inclus dans les projets de développement du GAP.
Abasourdis par les conditions de la visite, quelques uns délaissent
la navette bondée pour une marche salutaire et silencieuse jusqu’au parking.
Oui c’est autorisé. On a légèrement transpiré sous le soleil voilé, mais on
avait besoin de ce moment transitoire entre un si lointain passé et le présent.
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Bibliographie
* K. Schmidt, Le
premier temple, Göbekli Tepe, Paris, CNRS Éditions, 2015.
* Dossiers d'Archéologie n° 281- Mars 2003
Néolithique, découverte d'un berceau anatolien
* National Geographic Türkiye - Haziran 2011 - pp 90/115
* Geo n° 362 - Avril 2009
* National Geographic Türkiye - Haziran 2011 - pp 90/115
* Geo n° 362 - Avril 2009
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