mardi 23 octobre 2018

Gaziantep, musée de Zeugma


Avec encore en tête les images d’un voyage au Sud-Est de la Turquie en 2002, je ne me suis pas fait prier quand l’occasion d’y retourner s’est présentée.
A la descente d’avion, pour se remettre d’un réveil très matinal, la journée commence en douceur avec une dégustation du célèbre katmer de la pâtisserie Orkide, généreusement fourré de pistaches concassées.


La destination suivante sera le nouveau musée de Gaziantep consacré aux mosaïques de Zeugma, cité gréco-romaine partiellement engloutie par les eaux de l’Euphrate après la construction du barrage de Birecik.
Des fouilles de sauvetage ont été menées de 1992 à 2000 par des équipes franco-turques auxquelles se sont jointes des équipes anglo-américaines.
En 2002, il y en avait quelques panneaux exposés (avec interdiction de les photographier) au musée archéologique de Gaziantep, bien trop exigu pour recevoir les abondantes trouvailles. Suite au grand déménagement des mosaïques, ce dernier a été restructuré et modernisé avant sa réouverture en mai 2017. Il abrite sans doute maintenant d’une manière plus aérée les collections du paléolithique inférieur, moyen et supérieur, du néolithique, chalcolithique, âge du bronze ancien (fouilles de Şaraga, Sakçagözü, Gedikli, Tilmen, Zincirli ve Sam) dont une reconstitution d’une sépulture de cette période, parait-il.
La période hittite et néo hittite était déjà bien représentée avec des artefacts provenant des fouilles de Karkamiş (60km au sud de Gaziantep) dont j’avais pu alors prendre quelques photos  à l’extérieur. Serait-ce une représentation de Koubaba (?), déesse reine de la ville antique, parèdre de Teshup, dieu de l'orage identifiable sur l’autre photo.



D’autres collections concernent les périodes antiques jusqu'à l’avènement de la République. Mais la visite de ce musée n’est pas au programme.

Nous découvrons l’impressionnante structure muséale inaugurée en septembre 2011.



Nul doute que les résultats des fouilles de Zeugma y soient davantage mis en valeur. Gaziantep s’enorgueillit désormais d’avoir le plus grand musée de mosaïques du monde ! Pas moins de 1700 m² provenant de la cité antique de Zeugma et quelques 800 m² de facture plus récente trouvées dans la région et exposées dans l’autre partie du musée.
Celles de Zeugma, aux décors figuratifs et géométriques, sont présentées autant que possible dans leur cadre d’origine reconstitué, vestiges des luxueuses villas romaines ornées de fresques murales, de colonnes et de fontaines essentiellement datées du 2e et 3e siècles.




La cité fondée au début du 3e siècle avant notre ère par le roi Seleucos 1er, ancien général et diadoque d'Alexandre le Grand, s’appelait alors Séleucie. Avec sa ville jumelle Apamée sur l’autre rive de l’Euphrate (à ne pas confondre avec une ville du même nom située au nord de la Syrie), elles abritaient des garnisons et permettaient de contrôler un important passage vers la capitale de l’empire séleucide, Antioche (aujourd’hui Antakya ou Hatay). Elles constituaient un nœud de liaison entre le monde méditerranéen, la Mésopotamie et l'Orient.
Alors qu’Apamée ne survécut que deux siècles avant d’être abandonnée, Séleucie s’agrandit pendant toute la période hellénistique et lui fut accolé le qualificatif de Zeugma (pont, lien en grec) qui finit par devenir son seul nom. La cité devint prospère sous l’empire romain jusqu'à son pillage et sa destruction par les Sassanides en 256. Les dernières traces d’occupation du site remontent à la période byzantine puis elle tomba dans un profond sommeil. Les colluvions et la végétation recouvrirent les vestiges et les protégèrent pendant des siècles. Quelques pillages ont tout de même été constatés…
Le site fut identifié en 1917 par un historien belge Franz Cumont et quelques prospections furent réalisées par Jörg Wagner dans les années 70, mais rien ne laissait présager de ces découvertes exceptionnelles faites dans la partie inférieure du site, zone directement menacée par le barrage. Sur les terrasses en bordure du fleuve s’alignaient de riches demeures d’un quartier résidentiel de toute évidence. Une vingtaine a fait l’objet de fouilles et quelques unes ont révélé des merveilles.
Ce que nous avons sous les yeux est un véritable catalogue de scènes mythologiques du panthéon gréco-romain qu’une journée entière ne suffirait pas à déchiffrer.

Poséidon, Océan et Téthys, entourés d’une faune marine



Pasiphaé, Dédale et Icare. Evocation du Labyrinthe


Ces vestiges témoignent de véritables prouesses artistiques d’habiles mosaïstes dont un certain Zosimos de Samosate qui a signé le panneau représentant Aphrodite assise dans une coquille portée par des centaures.


Achille, avant son départ pour la guerre de Troie


Persée et Andromède


Antiope et Zeus sous la forme d’un satyre


L’enlèvement d'Europe par Zeus (encore lui! mais cette fois, sous l’apparence d'un taureau)


Eros et Psyché


Mariage de Dionysos et Adriadne, (composition en partie volée)


Océan et Téthys entourés de quatre Eros chevauchant des dauphins


L'exposition témoigne aussi d’un cadre de vie luxueux de certains de ses habitants, population indigène et anciens colons grecs séduits et influencés par la culture romaine, ses fastes... et ses commodités, bains et latrines



Certaines mosaïques n’ont été rescapées que grâce à un concourt de circonstances. Suite à un problème technique en 2002, il a fallu vider partiellement le barrage et c’est ainsi que ce panneau représentant Théonoé et Leucippe, fut sauvé in extremis. Il est étrangement signé « Cointus Calpurnius l’a fait pour le mieux »


Une reconstitution du panneau très fragmentaire dont fut extrait le fameux portrait de la « Bohémienne ». En photo dans la reconstitution, puisqu’elle est exposée en solitaire dans une petite salle adjacente)


La « Bohémienne » emblématique du site de Zeugma, au regard énigmatique que certains comparent à celui de Mona Lisa, pourrait bien être une représentation de Gaia, la Terre-Mère.
Un autre fragment remarquable de cette composition très lacunaire : l’oiseau huppé picorant une grappe de raisin.



Unique statue dans ce gigantesque écrin de mosaïques, Mars, dieu de la guerre, se dresse pour nous rappeler que Zeugma fut l'objet d'une conquête militaire, en 64 avant notre ère, sous le règne de Pompée et que Rome veillait jalousement sur ce territoire. Une légion y stationnait en permanence.


Le deuxième bâtiment sur la droite présente une collection de panneaux de mosaïques plus récentes. A l’époque byzantine, les représentations d’animaux ont remplacé les scènes mythologiques. 



Les compositions semblent plus fantaisistes, les dessins plus naïfs et l’exécution plus approximative… mais ne manquent pas d’intérêt. Il faudrait pouvoir leur consacrer plus de temps…


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