Avec encore en tête les images d’un voyage au Sud-Est de la Turquie en 2002, je ne me suis pas fait prier quand l’occasion d’y retourner
s’est présentée.
A la descente d’avion, pour se remettre d’un réveil très
matinal, la journée commence en douceur avec une dégustation du célèbre katmer de la pâtisserie Orkide, généreusement
fourré de pistaches concassées.
La destination suivante sera le nouveau musée de
Gaziantep consacré aux mosaïques de Zeugma, cité gréco-romaine partiellement engloutie
par les eaux de l’Euphrate après la construction du barrage de Birecik.
Des fouilles de sauvetage ont été menées de 1992 à 2000
par des équipes franco-turques auxquelles se sont jointes des équipes
anglo-américaines.
En 2002, il y en avait quelques panneaux exposés (avec interdiction
de les photographier) au musée archéologique de Gaziantep, bien trop exigu pour
recevoir les abondantes trouvailles. Suite au grand déménagement des mosaïques,
ce dernier a été restructuré et modernisé avant sa réouverture en mai 2017. Il
abrite sans doute maintenant d’une manière plus aérée les collections du
paléolithique inférieur, moyen et supérieur, du néolithique, chalcolithique,
âge du bronze ancien (fouilles de Şaraga, Sakçagözü, Gedikli, Tilmen, Zincirli
ve Sam) dont une reconstitution d’une sépulture de cette période, parait-il.
La période hittite et néo hittite était déjà bien
représentée avec des artefacts provenant des fouilles de Karkamiş (60km au sud
de Gaziantep) dont j’avais pu alors prendre quelques photos à l’extérieur. Serait-ce une représentation de
Koubaba (?), déesse reine de la ville antique, parèdre de Teshup, dieu de
l'orage identifiable sur l’autre photo.
D’autres collections concernent les périodes antiques jusqu'à l’avènement de
la République. Mais la visite de ce musée n’est pas au programme.
Nous découvrons l’impressionnante structure muséale
inaugurée en septembre 2011.
Nul doute que les résultats des fouilles de Zeugma y
soient davantage mis en valeur. Gaziantep s’enorgueillit désormais d’avoir le
plus grand musée de mosaïques du monde ! Pas moins de 1700 m²
provenant de la cité antique de Zeugma et quelques 800 m² de
facture plus récente trouvées dans la région et exposées dans l’autre partie du
musée.
Celles de Zeugma, aux décors figuratifs et géométriques, sont
présentées autant que possible dans leur cadre d’origine reconstitué, vestiges
des luxueuses villas romaines ornées de fresques murales, de colonnes et de
fontaines essentiellement datées du 2e et 3e siècles.
La cité fondée au début du 3e siècle avant
notre ère par le roi Seleucos 1er, ancien général et diadoque
d'Alexandre le Grand, s’appelait alors Séleucie. Avec sa ville jumelle Apamée sur l’autre rive de
l’Euphrate (à ne pas confondre avec une ville du même nom située au nord de la
Syrie), elles abritaient des garnisons et permettaient de contrôler un
important passage vers la capitale de l’empire séleucide, Antioche (aujourd’hui
Antakya ou Hatay). Elles constituaient un nœud de liaison entre le monde
méditerranéen, la Mésopotamie et l'Orient.
Alors qu’Apamée ne survécut que deux siècles avant d’être
abandonnée, Séleucie s’agrandit pendant toute la période hellénistique et lui
fut accolé le qualificatif de Zeugma (pont, lien en grec) qui finit par devenir
son seul nom. La cité devint prospère sous l’empire romain jusqu'à son pillage
et sa destruction par les Sassanides en 256. Les dernières traces d’occupation
du site remontent à la période byzantine puis elle tomba dans un profond
sommeil. Les colluvions et la végétation recouvrirent les vestiges et les protégèrent
pendant des siècles. Quelques pillages ont tout de même été constatés…
Le site fut identifié en 1917 par un historien belge
Franz Cumont et quelques prospections furent réalisées par Jörg Wagner dans les
années 70, mais rien ne laissait présager de ces découvertes exceptionnelles
faites dans la partie inférieure du site, zone directement menacée par le
barrage. Sur les terrasses en bordure du fleuve s’alignaient de riches demeures
d’un quartier résidentiel de toute évidence. Une vingtaine a fait l’objet de
fouilles et quelques unes ont révélé des merveilles.
Ce que nous avons sous les yeux est un véritable
catalogue de scènes mythologiques du panthéon gréco-romain qu’une journée
entière ne suffirait pas à déchiffrer.
Poséidon, Océan et Téthys, entourés d’une faune marine
Pasiphaé, Dédale et Icare. Evocation du Labyrinthe
Ces vestiges témoignent de véritables prouesses
artistiques d’habiles mosaïstes dont un certain Zosimos de Samosate qui a signé
le panneau représentant Aphrodite assise dans une coquille portée par des
centaures.
Achille, avant son départ pour la guerre de Troie
Persée et Andromède
Antiope et Zeus sous la forme d’un satyre
L’enlèvement d'Europe par Zeus (encore lui! mais cette fois, sous l’apparence d'un taureau)
Eros et Psyché
Mariage de Dionysos et Adriadne, (composition en partie
volée)
Océan et Téthys entourés de quatre Eros chevauchant des
dauphins
L'exposition témoigne aussi d’un cadre de vie luxueux de certains
de ses habitants, population indigène et anciens colons grecs séduits et
influencés par la culture romaine, ses fastes... et ses commodités, bains et latrines
Certaines mosaïques n’ont été rescapées que grâce à un
concourt de circonstances. Suite à un problème technique en 2002, il a fallu vider
partiellement le barrage et c’est ainsi que ce panneau représentant Théonoé et
Leucippe, fut sauvé in extremis. Il est étrangement signé « Cointus Calpurnius
l’a fait pour le mieux »
Une reconstitution du panneau très fragmentaire dont fut
extrait le fameux portrait de la « Bohémienne ». En photo dans la
reconstitution, puisqu’elle est exposée en solitaire dans une petite salle
adjacente)
La « Bohémienne » emblématique du site de
Zeugma, au regard énigmatique que
certains comparent à celui de Mona Lisa, pourrait bien être une représentation de Gaia, la Terre-Mère.
Un autre fragment remarquable de cette composition très lacunaire :
l’oiseau huppé picorant une grappe de raisin.
Unique statue dans ce gigantesque écrin de mosaïques,
Mars, dieu de la guerre, se dresse pour nous rappeler que Zeugma fut l'objet d'une
conquête militaire, en 64 avant notre ère, sous le règne de Pompée et que Rome
veillait jalousement sur ce territoire. Une légion y stationnait en permanence.
Le deuxième bâtiment sur la droite présente une
collection de panneaux de mosaïques plus récentes. A l’époque byzantine, les
représentations d’animaux ont remplacé les scènes mythologiques.
Les
compositions semblent plus fantaisistes, les dessins plus naïfs et l’exécution
plus approximative… mais ne manquent pas d’intérêt. Il faudrait pouvoir leur consacrer plus de temps…
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