Les circuits culturels organisés ne sont pas la meilleure façon de visiter la Turquie mais une fois n’est pas coutume, je m’étais laissée tenter en 2002. Des amies turques sensibilisées par la controverse au sujet du projet de développement socio-économique du Sud-Est m’avaient convaincue de participer à ce voyage. Les tours GAP (Guneydoğu Anadolu Projesi) en étaient à leur début. C’était l’occasion de voir une région que je ne connaissais pas encore.
De cette façon, j’ai découvert Gaziantep, Mardin, Dıyarbakır, Urfa, Midyat, Harran, le Nemrut Dağ, Arsaméia… Je ne le regrette pas, bien que ce périple de 4 jours soit loin d’avoir satisfait ma curiosité, mais juste donné l’envie d’y repartir.
Dans un contexte euphorique qui soulignait la nécessité de développer toute une région pour régler ses problèmes socio-économiques, le point de vue n’était pas très objectif.
L’apologie de la réalisation du barrage Atatürk contrôlant le débit de l’Euphrate et apportant de très importantes perspectives d’amélioration de l’agriculture par l’irrigation, fournissant une considérable production d’énergie hydroélectrique, avait cependant quelques difficultés à faire oublier les dommages collatéraux.... Bien qu’on ait vu les superbes panneaux de mosaïques sauvés des eaux au musée de Gaziantep, la visite expresse de ce qu’il restait du site de Zeugma n’avait rien de rassurant. On passa sous silence l’engloutissement total d’Apamée, ville antique de l’autre coté du fleuve, reliée par un pont de bateaux à Séleucie, renommée Zeugma (en grec, le pont, le lien). Ce qui est sous les eaux aujourd’hui fut un nœud d’échanges culturels intenses où se sont côtoyé des descendants des colons grecs, des soldats romains, des indigènes parlant le syriaque et les Parthes.
Barrage Atatürk et au 1er plan les pistachiers |
Presque dix ans ont passé et il parait que les rendements de production céréalière et cotonnière ont triplé. Les cultures de fruits et légumes se sont diversifiées et développées.
Et faisons-nous l’avocat du diable. Quel important chantier de fouilles avait été entrepris avant la menace imminente de la montée des eaux de l’Euphrate sur Zeugma ?
Qui de la communauté internationale se souciait de préserver ce patrimoine avant que le site d’Hasankeyf ne soit menacé d’être englouti par le barrage d’Ilisu sur le Tigre ? Qui connaissait les habitations troglodytes creusées dans la falaise et occupées depuis 5000 ans ?
Quel circuit touristique incluait ces visites au programme ?
L’importance des problèmes humanitaires et géopolitiques que soulève le projet GAP est une évidence mais il est agaçant d’entendre des touristes européens s’émouvoir d’un déplacement de population ou de la destruction d’un site archéologique qui va les priver de s’ébahir devant des ruines qu’ils sont incapables d’identifier ou devant un artisanat qui ne faisait pas vivre décemment ses villageois. Chez eux aussi le développement économique n’a pas été indulgent pour les petits artisans et n’a pas toujours donné la priorité à la protection du patrimoine.
Ceci dit, toutes les entreprises pour défendre les intérêts de la population locale sont bien légitimes. La tristesse et la détresse des habitants déplacés suite à l’inondation effective ou programmée de centaines de villages n’est pas quantifiable ni l’émotion des archéologues face à la destruction d’un patrimoine historique inestimable.
Hasankeyf |
Le projet du barrage d’Ilisu a été suspendu en 2009 suite aux annulations des contrats commerciaux par les organismes allemand, autrichien, suisse et français… Les plus optimistes annonçaient même qu’Hasankeyf était sauvé, mais de nouveaux investisseurs auraient été trouvés et les travaux ont été relancés en août 2010. La communication à ce sujet est limitée et il est difficile de savoir si cette reprise tient compte des objections de la société civile et des propositions de solutions alternatives.
Türbe de Zeynel Bey |
Les fouilles continuent à Hasankeyf. Elles sont dirigées par le Prof. Dr. Abdüsselam Uluçam, recteur de l’Université de Batman. Des études sont réalisées sur certains monuments en vue de leur déplacement : türbe de Zeynel Bey de la dynastie des Akkoyunlu (15e siècle), les piliers du pont construit par les Artukides (12e siècle), les mosquées ayyubides…
Il est encore temps de contempler ces vestiges d’un écheveau de dynasties dans leur environnement naturel spectaculaire, mais sans doute plus pour très longtemps.
Bonjour "Entre deux rives"
RépondreSupprimermerci de me faire profiter de ces monuments avant leur engloutissement...
Pascal
Un endroit que je connais bien, un véritable trésor...
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