Cette excursion n’était pas au programme de ma précédente
escapade au sud-est de la Turquie, en 2002. Et pour cause… La mise en eau du
barrage de Birecik, l’une des réalisations du GAP (Guneydoğu Anadolu Projesi),
n’avait été effective que depuis deux ans. L’antique cité de Zeugma n’était pas
la seule à se retrouver les pieds dans l’eau…
La population d’une quarantaine de villages de la vallée avait
été évacuée en grande partie, indemnisée ou relogée ailleurs sur les hauteurs.
Il fallait un peu de temps pour que la vie se réorganise, que des projets
prennent forme, que de nouvelles activités se développent… Que le cœur meurtri d'Halfeti continue de battre.
Les trois-quarts de la petite ville ont été
engloutis. La nouvelle Halfeti est à une quinzaine de kilomètres. Mais ici, quelques
traditionnelles maisons cubes dont la pierre se fond dans le décor,
s’accrochent encore en terrasse et sont habitées.
En bordure des rives actuelles des cafés, des restaurants
se sont installés pour accueillir les visiteurs de passage.
Et puis un
afflux providentiel de touristes a même conduit à la construction sur les
hauteurs d’un hôtel dont les proportions défigurent le paysage. A ce sujet, le
capitaine du bateau sur lequel nous avons embarqué ne lui accordera pas un
regard pour le désigner comme le déshonneur d’Halfeti… Les activités touristiques,
comme les médailles, ont des revers parfois disgracieux !
Nous voguons sur l’Euphrate, fleuve désormais dilaté, qui
a vu défiler tant de civilisations ! Impressionnant théâtre pour ce
dernier acte dont témoigne ici la mosquée barbotant dans les flots.
En amont, Savaşan, village aujourd'hui inaccessible
autrement que par voie fluviale, ne dresse plus que la partie supérieure d’un
minaret.
Les fenêtres béantes des quelques maisons rescapées semblent
contempler d’un regard incrédule l’étendue d’eau responsable de leur abandon.
Que
de souvenirs engloutis ? Ici le
temps s’est arrêté. Plus de passé ni d’avenir, juste un présent rempli de
nostalgie pour le dernier habitant qui ne se résigne pas à quitter les lieux.
Sur l’autre rive, Rumkale couronne la falaise et domine
majestueusement le confluent de l’Euphrate
et de la rivière Merzimen.
Cet emplacement stratégique, avait déjà retenu
l’attention des Assyriens. Les vestiges de la forteresse proviennent essentiellement
de constructions gréco-romaines. Le site a cependant été entretenu et remanié
au cours des siècles suivants. Il fut occupé par des seigneurs de guerre
byzantins puis arméniens pendant la période médiévale. Au 12e siècle
la citadelle fut vendue au catholicos d’Arménie, îlot chrétien en terre
musulmane qui resta un centre religieux d’importance pendant près de 150 ans,
jusqu'à l’arrivée des Mamelouk qui s’en emparèrent.
Depuis la rive on aperçoit un petit débarcadère et une
volée d’escaliers de facture très récente qui conduit au sommet.
Quelques
maisons cubes, nouvellement construites, semble-t-il, occupent l’espace. Un
complexe hôtelier avec vue imprenable sur le paysage? Bien dommage…
Tout près des berges, des cavités qui se trouvaient
autrefois plus en hauteur sur la colline, exposent au regard les vestiges d’un habitat
troglodyte.
Le voyage se poursuit sur le ruban turquoise, au milieu des reliefs arides ourlés çà et là, de quelques flaques de verdure.
Elles devaient être bien plus étendues
autrefois. On imagine des places ombragée, des jardins, des terres fertiles… Que sont devenues les
fameuses roses noires d’Halfeti qui ne poussaient qu’ici ? Ont-elles trouvé
une terre qui leur convienne sur les pentes de la ville haute ?
Il semblerait que oui. Une essence de cette mystérieuse
rose, à la couleur unique au monde, est le seul souvenir du passé d’Halfeti que
l’on peut emporter…
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