Faute de pouvoir, avant longtemps, flâner dans les
jardins et parcs de la capitale, je continue d’arpenter à dose homéopathique
les trottoirs de mon quartier.
Dans le 11e arrondissement de Paris, à l'angle
de la rue Faidherbe et de la rue de Charonne, on ne peut ignorer l’imposant édifice en pierres meulières et briques roses, dont les façades sont ornées de
parements de briques émaillées soulignant les arcs des ouvertures.
L’entrée
monumentale est surmontée d’un bas-relief évoquant sa destination à caractère
social dès sa construction en 1910 par les architectes Auguste Labussière et Célestin
Longerey pour la Fondation Groupe des Maisons Ouvrières. L’hôtel populaire pour
hommes célibataires ne gardera pas longtemps ses pensionnaires, enrôlés et
décimés par la guerre de 14-18. Le bâtiment fera provisoirement office d’hôpital,
puis de bureaux pour le Ministère des Pensions.
Le tracé de la rue de Charonne date du 17e
siècle et sur cet emplacement un couvent de la congrégation des Dominicaines y
était préalablement installé depuis 1641. Vaste domaine, il n’était pas limité
par la rue Faidherbe qui ne fut percée qu’en 1888. On dit que Cyrano de
Bergerac (1619?-1655) auteur libertin du 17e siècle, qu’une célèbre pièce
de théâtre d’Edmond Rostand met en scène, y fut inhumé, sa tante Catherine de
Cyrano, en étant à l’époque la prieure. Mais rien n’est jamais venu étayer
cette légendaire affirmation.
Inoccupé depuis 1924, le bâtiment retint l’attention
d’Albin et Blanche Peyron, commandeurs de l’Armée du Salut. L’organisation militaire hiérarchisée de cette mission
religieuse créée en 1878 à Londres par le pasteur William Booth, a été
introduite en France dès 1881 par sa fille Kate Booth.
En janvier 1926, une grande campagne de souscription est
lancée pour l’acquisition du lieu, dans le cadre des ambitieux projets du
couple pour venir en aide aux plus démunis. En juin 1926 le Palais de la Femme est
inauguré.
L’établissement dédié depuis cette date à l’accueil des
femmes en situation de précarité, est toujours placé sous l’égide de la
Fondation de l’Armée du Salut.
La présence des salutistes est aujourd’hui bien plus
discrète que dans les réminiscences de mes souvenirs d’enfance associés à
l’emblématique chapeau de paille noire et bandeau rouge avec inscription
« Armée du Salut », noué sur le côté de la tête avec un gros ruban
que portaient encore les éléments féminins jusque dans les années 70. Leur déambulation
en uniforme et leur bruyante fanfare retenaient l’attention des passants, les
incitant à déposer quelques pièces dans un chaudron, principalement dans la
période de Noël. Un moyen de récolter des fonds afin de pouvoir distribuer au
moins une soupe chaude à ceux qui en avaient besoin… La méthode a fait par la
suite des émules jusque dans les rangs laïcs puisque la précarité est loin
d’avoir disparue.
Dans l’Armée du Salut, les femmes ne sont pas exclues des
plus hautes fonctions, même celle de général, mais la plupart du temps leur
engagement reste dans l’ombre. Ainsi la figure de Blanche Peyron, s’est-elle un
peu effacée derrière celle de son compagnon. Pourtant Raoul Gout, lui a
consacré une publication en 1942 : Une
victorieuse, Blanche Peyron : 1867-1933, Paris, Éditions Altis
Aucun doute que Laetitia Colombani s’en soit inspirée
pour écrire son roman Les Victorieuses
dont la parution en 2019 a été largement évoquée par les médias.
Après consultation des critiques, je ne suis pas très
pressée de le lire. Le personnage fictif de Solène, avocate quarantenaire qui
se voit prescrire du bénévolat comme remède à ses souffrances existentielles et
se reconvertissant en écrivain public une heure par semaine auprès des
pensionnaires du Palais de la Femme, ne m’a pas semblé très convaincant.
Quelques extraits du roman montrent une écriture plutôt conventionnelle pour
décrire des vies dévastées, en attente de reconstruction.
Les passages consacrés à Blanche Peyron, personnage
hautement plus déterminé et combatif, semblent pouvoir cependant répondre à la
curiosité d’en savoir plus sur l’histoire du Palais de la Femme.
La version officielle de cette histoire passée et récente
est également consultable sur le site web de l’Armée du Salut.
Une restructuration du bâtiment a été effectuée entre
2006 et 2009 sur les cinq niveaux d’habitation et les éléments architecturaux des
espaces collectifs réaménagés du rez-de-chaussée ont été restaurés.
Il se compose d’un foyer d’hébergement de 280 places en
studios individuels tous équipés d'une salle de bain, et certains d’une
cuisine; d’un centre d'hébergement de stabilisation de 50 places (30 femmes
seules et 20 mères avec leur enfant).
Une maison relais permet d'accueillir sans limitation de
durée, quelques couples et personnes seules (hommes ou femmes) ayant un faible
niveau de ressources et dans une situation d'exclusion importante.
Un abri de nuit temporaire a été créé depuis l’hiver
2017-2018 dans l’inter-sol du Palais de la Femme et se compose de 4 chambres
équipées de lits superposés pouvant accueillir 40 femmes sans abri en période
de grand froid.
Mais ailleurs, d’autres pages web mentionnent des
conditions d’accueil irrespectueuses de la vie privée, des conflits engendrés
par la promiscuité, des maltraitances institutionnelles, des expulsions
arbitraires, des loyers excessifs, un encadrement paternaliste en contradiction
avec l’objectif de recherche d’autonomie, un manquement au suivi des dossiers
pour accéder à des logements sociaux en dehors de la structure. Les présences
masculines en augmentation sont une source d’inquiétude supplémentaire pour les
femmes ayant subit des violences conjugales.
Un collectif de soutien a été mis en place pour relayer
les revendications des résidentes.
De quoi nuancer les descriptions élogieuses concernant le
fonctionnement de ce centre d’hébergement. On ne peut qu’imaginer, à
l’intérieur de ce palais, l’exacerbation des tensions en cette période de confinement !
Très intéressant, c est une découverte insolite. Merci et surtout continue. Après le 11 mai, tu pourras parcourir jusqu à 100 kms.
RépondreSupprimerBravo, malgré les conditions, tu as le chic pour decouvrir un coin insolite de Paris. Merci et fais quand même attention à toi.
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