lundi 28 octobre 2024

Tripolis du Méandre, cité antique en Lydie

 
Après les déambulations dans les vestiges de Nysa, nous filons vers Denizli plus à l’Est en faisant un petit détour vers Tripolis (près de la ville de Buldan). Bien que les deux cités ne soient éloignées l’une de l’autre que de 100 km, il va falloir environ 1h30 pour arriver à destination.


Changement de décor ! La végétation est quasi absente du site archéologique et en ce mois d’octobre bien ensoleillé, la visite s’annonce ardue. En compensation l’entrée n’est pas payante pour le moment.


Les premières prospections de la ville antique sont récentes mais, au premier coup d’œil, intenses. Elles ont été réalisées par la Direction des Musées dans la rue principale de la cité en 1994, et des excavations ont repris en 2008. La troisième campagne des fouilles a été entamée en 2012 sous la direction du musée de Denizli et du professeur Dr. Bahadır Duman de l'Université de Pamukkale et se poursuit toujours.


Selon des déclarations de l'archéologue Sezer Sayan, des centaines d’années seront nécessaire pour retrouver les vestiges enfouis. On serait bien tenté de le croire en arpentant cette vaste plaine désertique hérissée de colonnades et parsemée de quelques ruines plus ou moins identifiées, mais au vu des moyens déployés les délais devraient être raccourcis.
Hérodote, historien grec du 5e siècle av. notre ère né à Halicarnasse (actuelle Bodrum) en Carie, a donné les premières informations à propos de l’emplacement de la cité.
Selon Pline, encyclopédiste romain du 1er siècle, elle aurait été fondée par des citoyens de Pergame et était alors connue sous le nom d'Apollonia.
Bien que la fondation de Tripolis remonte à la période hellénistique, des découvertes archéologiques attestent que la région était habitée dès 4000 av. notre ère. Elle fut conquise ou colonisée successivement par les Hittites, les Phrygiens, les Grecs, les Romains, les Seldjoukides et les Mongols.


Établie aux frontières des régions de Ionie, Phrygie, Carie et Lydie, sur les rives du fleuve Méandre (Büyük Menderes), elle s'étend sur une superficie d'environ 300 hectares. Réunissant probablement trois établissements lydiens, on la nomma définitivement Tripolis au 1er siècle avant notre ère.
Les routes commerciales partant de cités importantes de l'Antiquité telles que Sardes, Smyrne, Pergame et Éphèse convergeaient vers Tripolis et traversaient les cités voisines Hiérapolis (à 20 km) et Laodicée (à 30 km) pour atteindre les régions orientales et méridionales de l'Anatolie.
La cité vécut son plus grand essor à l'époque romaine. Ses abondantes productions agricoles doublées d’un emplacement stratégique en favorisèrent son développement et sa prospérité.



L’entrée du site s’effectue par le Sud de la cité antique en empruntant une rue dont un premier tronçon en terre battue se prolonge par une partie dallée au centre.


Une rue perpendiculaire également dallée traverse le quartier résidentiel.



Il a notamment apporté de nombreuses informations sur l’activité principalement agricole des habitants et l’aisance qu’elle leur procurait. Une immense villa à péristyle de près de 1000 m2, dont la première construction est datée du 1er siècle de notre ère, fut agrandie, modifiée et habitée jusqu’au 7e siècle. Le sol est en partie recouvert de mosaïques. Des fresques colorées aux motifs géométriques et floraux ornent  les murs. Elle offre un exemple particulièrement significatif de l’habitat des élites urbaines de Tripolis.


Elle est toujours en cours d’exploration et momentanément non accessible aux visiteurs.


Desservie en eau, l’habitation disposait de bains  et de toilettes. Elle comprenait plus d’une dizaine de pièces. Une zone était réservée au stockage de divers liquides tels que parfum et huile d'olive, suggérant une commercialisation de ces produits. Raisins, figues et grenades récoltés dans la propriété devaient être également commercialisés et on a relevé la présence d’animaux d’élevage sur les lieux.
Sur la base d'une statue honorifique d'Hermolaos, natif de Tripolis, sénateur à Rome au 4e siècle, des inscriptions déchiffrées en 1884 par un certain Pierre Paris évoquent les demeures célèbres dont s’enorgueillissaient les citoyens. Le personnage a dû jouer un rôle important dans l’urbanisation remarquable de la cité, considérée comme l’une des plus riches de la région.


Les fouilles ont révélé sans surprise un plan en damier composé de plateia (avenues) et stenopos (rues).




Un dense réseau de canalisations en terre cuite ainsi qu’un important système d’égouts évacuaient les eaux usées et la pluie.
Des édifices publics tels le théâtre, le stade, les bains, le gymnase, le granarium, le bouleutérion ont été dégagés et identifiés mais ils ne montrent que des vestiges en surface. Datés entre le 1er et 3e siècle de notre ère, aucune reconstitution n’est engagée pour le moment.
Des excavations menées de façon systématique et intensive depuis 2013 ont permis de dégager les avenues principales et les édifices qui les bordent.


L’avenue des colonnes perpendiculaire à l’avenue Hiérapolis présente des ruines d'architectures civiles et religieuses (église et magasins) de constructions ultérieures. Elle fut rétrécie par la construction d’un mur d’enceinte à l’époque byzantine primitive. Les éléments architecturaux des premières bâtisses ont été probablement dispersés et réemployer ailleurs dans la cité.


A l’intersection des 2 avenues principales se trouve le nymphée, appelé fontaine d'Orphée. Il se dressait sur une plate-forme de marbre et ses murs étaient tapissés d'onyx et de marbre blanc. Il a été en partie reconstitué avec les éléments d’origine retrouvés in situ.



Avenue Hiérapolis (voie principale)
Sur son flanc Est, 14 colonnes non cannelées en marbre blanc comportant 2 tambours supportaient le toit d’un portique. Selon des aménagements réalisés aux 4e et 5e  siècles, des statues s'élevaient sur des piliers de marbre devant les colonnes. Elles représentaient principalement des hauts fonctionnaires, magistrats ou citoyens bienfaiteurs. Quelques unes retrouvées lors des fouilles sont actuellement exposées au musée archéologique de Denizli.



A l’entrée de l’avenue une église primitive byzantine du 5e siècle porte les traces de fresques à inscriptions datant de sa construction et d’autres fresques figuratives de saints réalisées lors de son utilisation au 10e siècle, non accessibles aux visiteurs. 


L’édifice vouté qui la jouxte fut construit à la période hellénistique pour abriter des ateliers. Des artisans y ont fabriqué et stocké des objets en os, en métal et en céramique qui étaient commercialisés sur place côté avenue, jusqu'au 5e siècle. 



  
Un peu plus loin se trouvait l’atelier des tailleurs de pierres. Une scie activée par l'énergie hydraulique taillait les marbres et travertins utilisés dans les constructions.


Du flanc Ouest de l’avenue Hiérapolis, percé d’une porte à escalier, on accède à l’agora, grande place bordée de portiques, galeries à colonnes, nommées aussi stoa.


Vue de l'avenue Hiérapolis depuis son extrémité Nord.



 
L'agora aux dimensions intérieures de 48,5m sur 68m comportait des tribunes constituées de 7 marches. S’y déroulaient festivals, festivités, spectacles et célébrations. Les portiques étaient ornés de sculptures entre les colonnes de la façade avant des tribunes donnant sur la cour de l'Agora.



Les sols des portiques ouest, nord et sud de l'agora sont recouverts de pavement en opus-sectiles de formes géométriques variées en pierre d'onyx.
Des mosaïques retrouvées dans l’architecture civile et des pavements de lieux publics, la question se pose encore de savoir si ces décors sont l’œuvre d’artisans tripolitains ou d’un artisanat itinérant.


Sur un podium excentré, au sein de l’agora, une colonne honorifique semble faire office de point de rencontre. Elle s’y dressait de toute sa hauteur (6,68m au total) du 4e au 6e siècle  et devait être visible de très loin. Coiffée d’un chapiteau corinthien, elle était probablement surmontée d’une statue d’empereur romain ou d’un notable de la cité. Les archéologues y voient un témoignage de la technologie mise en œuvre pour la fabrication de cette colonne monolithe dépassant les 4m, son transport et sa mise en place. 



L’agora jouxte des bâtiments publics tels que le Bouleutérion (Parlement) et l’agora sanctuaire, espace sacré mesurant 40 x 80 m, comportant une grande cour flanquée de galeries à colonnes.



Le sanctuaire est bordé d’une fontaine monumentale. Des inscriptions semblent indiquer qu’elle aurait été construite dans la première moitié du 2e siècle en l’honneur de l'empereur Hadrien. Des pierres ont été apportées de différentes régions géographiques de l’empire dont un granit provenant des carrières d’Assouan en Égypte. Probablement écroulée en 494 et reconstruite tant bien que mal au début du 6e siècle, les restaurateurs d'aujourd'hui ont tenté de lui redonner sa prestigieuse apparence.


Bordant également l’avenue Hiérapolis, des vestiges de latrines à péristyle ont été découverts et une reconstitution a été effectuée avec les éléments épars. Construites au 2e siècle en même temps que la fontaine adjacente, ces latrines publiques comportaient un bassin central à ciel ouvert bordé de colonnes supportant une toiture couvrant le reste de l’édifice. D’une capacité d’une quarantaine de personnes, l’empereur Vespasien y vit, ici comme ailleurs, le moyen de récupérer des revenus substantiels en les rendant payantes arguant des principes « rien ne se perd, tout se transforme » et « l’argent n’a pas d’odeur ».
Très endommagée par un puissant séisme en 494 et des conflits culminant au 6e et 7e siècle avec les incursions sassanides, des reconstructions approximatives la firent sortir provisoirement de l’oubli entre le 9e et 12e siècle. Puis elle fut abandonnée de ses habitants et se rendormit définitivement dans ses ruines, sans retenir l’attention des voyageurs occidentaux, ni l’intérêt des équipes scientifiques des universités étrangères qui étaient déjà bien occupées sur d’autres nombreux sites prestigieux, encore moins celui des chercheurs locaux qui pendant longtemps ont été tenus à l’écart de cette activité jugée futile tant par les dirigeants que par une grande partie de la population.
Et puis ces dernières décennies la Turquie a pris conscience de l’inestimable richesse de son patrimoine archéologique et surtout des ressources économiques qu’il pouvait générer. Si Ephèse, Troie, Pergame, Aphrodisias, et bien d’autres sur tout le territoire, drainent un tourisme de masse pas forcement très féru d’histoire antique, pourquoi ne pas exploiter le filon et ajouter à la ville de Denizli, déjà bien pourvue de sites antiques et de curiosités géologiques, une perle de plus à son collier. 
Les fouilles de Tripolis, ont pris des allures de chantier de construction. Les intervenants… je n’ose les qualifier d’archéologues… n’y sont pas allés « avec le dos de la cuillère » !


L’ampleur des fosses est stupéfiante et les reconstitutions souvent consternantes.
Je suppose que les équipes d’archéologues turcs ont entrepris de déterrer, d’étudier et de relever les vestiges enfouis sur les injonctions pressantes du ministère du tourisme et de la culture qui entend bien rentabiliser au plus vite les efforts déployés. Et en cherchant mieux sur le site internet de l’Université de Pamukkale on peut en trouver la confirmation explicite :
4 projets de fouilles sont réalisés par décision du Conseil des ministres. Il s'agit des fouilles d'Aizanoi, de Laodicée, de Stratonicée et de Tripolis. Les fouilles sont soutenues par le ministère de la Culture et du Tourisme, les autorités locales, les agences de développement, divers milieux scientifiques et notre université. Les fouilles de Laodicée, de Stratonicée et de Tripolis se poursuivent pendant 12 mois. En plus des fouilles, il y a des études qui sont menées par les membres du département. Grâce à ces études, il ne s'agit pas seulement d'archéologie et d'enseignement de l'archéologie ; elles visent également à améliorer le potentiel touristique et à favoriser le développement économique de notre pays. 
Nous apprenons ainsi que Tripolis n’est pas la seule concernée par le projet dans la région. 
En 2014 j’avais vu Aizanoi et en 2011 Stratonicée. Je ne regrette pas d’avoir visité ces cités gréco-romaines avant les nouvelles “interventions” aux motivations peu culturelles, n’hésitant pas à défigurer les sites en multipliant les reconstitutions abusives pour les rendre, soi-disant, plus attractifs.
Au programme de cette escapade automnale il y a Laodikeia et j’ai quelques appréhensions. Elles sont justifiées par ce que nous venons de voir ici et quelques autres récentes visites décevantes… par exemple Iznik et près d’Assos le temple d'Apollon Smintheion… sans compter le site néolithique de Göbekli Tepe, le sanctuaire d’Antiochos au sommet du mont Nemrut et le site de Zeugma. Et la liste n’est certainement pas exhaustive.

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Sources

 

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