mardi 16 avril 2024

Barrages ottomans en forêt de Belgrade

 
Lors de la récente promenade à l’arboretum, l’histoire contée par le vieux charme m’a donné envie de partir à la recherche de son lieu de naissance. Belle opportunité d’une nouvelle balade en forêt… si besoin de trouver un prétexte !
Dans le contexte de la fête du sucre clôturant le Ramadan ce fut un excellent choix pour éviter la foule qui se presse dans les zones de pique-nique à proximité du lac cerné du classique parcours piétonnier.
Une fois passé le guichet d’entrée de la forêt de Belgrade, il suffit de s’engager sur la petite route à droite jusqu’ à l’aire de parking quelques centaines de mètres plus loin.
Se dresse alors l’imposante construction du barrage du sultan Mahmud II (1838).
Mais ce n’est pas de celui-ci dont parle le vieux charme de l'arboretum…



Sous l'Empire ottoman, pour approvisionner la ville en eau potable, sept barrages ont été construits dans cette forêt irriguée de nombreux ruisseaux.
D’autres réseaux de distribution existaient déjà aux périodes romaine et byzantine, mais ils furent très endommagés lors de la 4e croisade (1202-1204). Après la conquête d'Istanbul, le sultan Mehmet II ordonna la réparation de ces anciennes structures constituant le réseau de «Halkalı» dont l'aqueduc de Valens (Bozdoğan Kemeri), alimentant la péninsule historique.

Sous le règne de Soliman, l’architecte Mimar Sinan rénova et agrandit le réseau «Kırkçeşme», entre 1554 et 1563, afin d’acheminer de plus grandes quantités d'eau depuis la forêt de Belgrade. Long de plus de cinquante kilomètres, il fut doté de bassins de décantation et filtration, de canalisations, d’aqueducs encore visibles dans le paysage (Uzunkemer, Eğrikemer, Mavlova, Güzelcekemer), et de tours de niveau d’eau. Ces installations ont permis d’alimenter 15 conduites, 94 fontaines publiques, 19 puits, 13 bains publics et 7 palais.
Puis au fil du temps plusieurs barrages furent construits pour constituer des réserves et augmenter le débit. Kömürcü Bent, daté de 1620 serait le plus ancien, Ayvad bent (1765), Kirazlı Bent (1818).
Büyük Bent, le Grand barrage qui se trouve sur le parcours piétonnier classique de la forêt, devrait à Mimar Sinan une première construction sous la forme d’un grand bassin, selon certaines sources. Une autre tentative en 1728 dut être plusieurs fois restaurée et même démolie. La version actuelle est celle que fit construire le sultan Mahmud I en 1748. En 1900, le sultan Abdulhamit II ordonna la réparation et le sur élèvement de ce barrage.

Sous le règne de Mahmud I (1730-1754) un nouveau réseau de distribution fut créé pour alimenter en eau potable un quartier alors en plein développement sur l’autre rive de la Corne d’or faisant face à la péninsule historique. Ce nouveau système d'aqueducs connu sous le nom de Taksim (qui veut dire distribution) alimentait Pera (Galata) ainsi que les installations militaires de Tophane. La place Taksim doit son nom au Taksim Maksemi, monument emblématique où se trouvaient les vannes de distribution d'eau, construit sous Mahmud I en 1732/1733. Encore visitable de nos jours ainsi que la citerne transformée en galerie d’exposition.
Ce réseau se compose de trois barrages, dont le dernier construit, cité plus haut, Sultan Mahmud II Bent, barrage du sultan Mahmud II (1838), et de deux aqueducs (Sultan Mahmud Kemeri et Bahçeköy Kemeri).   
Topuzlu Bent (1750), situé à la lisière du village Bahçeköy, avant l’entrée de la forêt, fut le premier de ce réseau. Mahmut I Bent est son nom d’origine. Il est également connu comme barrage de Bahçeköy. Plus tard, on a commencé à l'appeler Topuzlu Bent en raison des sphères de pierre de 25 cm de diamètre qui y étaient placées. A découvrir une autre fois.
Et puis Valide Sultan Bent (1796), le barrage de la Sultane Mère est le cadre évoqué dans le récit du vieux charme. Le voici dans toute sa splendeur.


 
Comme les édifices religieux, les hammams et les fontaines, les barrages font alors partie des constructions caritatives des membres de la dynastie. La mère de Selim III, la sultane Mihrişah, a également apporté sa contribution personnelle par pieuse charité et  accessoirement pour obtenir le salut de son âme !


Elle s’est assise à l’ombre d'un feuillage pour contempler l’ouvrage, s’est sans doute promenée au sommet pour admirer les reflets changeants du ciel et des houppiers ondulants au moindre souffle de vent.


Tout comme pour les autres barrages de la forêt, le chemin de ronde est aujourd’hui inaccessible et l’on ne peut voir que de loin la plaque de marbre, preuve de l’identité de la bienfaitrice.


Il faudra se contenter du panneau défraichi de İSKİ, institution d’administration des eaux et canalisations d’Istanbul pour en savoir plus sur les caractéristiques du barrage.



Par contre la promenade autour du lac, peu fréquentée, est tout à fait accessible.


Un régal pour les yeux, les oreilles et les narines car verdure, petites fleurs, gazouillis des oiseaux, chuchotis des ruisseaux nous accompagnent.


La doronic orientale (cousine de l’arnica, mais pas de propriétés analgésiques, ni anti-inflammatoires)


Les délicates violettes odorantes



A l’extrémité du plan d’eau les plantes aquatiques forment un tapis flottant, abri de choix pour crapauds et grenouilles qui coassent à qui mieux mieux pour déclarer leur flamme amoureuse et offrir en supplément un puissant concert cacophonique.



Dès la fin du 19e siècle, il a fallu envisager d’autres systèmes hydrauliques pour satisfaire les besoins en eau d’une population croissante. Au bord du lac Durusu appelé aussi Terkoz, situé en bordure de la mer Noire au niveau de Çatalca, une station de pompage à vapeur d’une capacité quotidienne de 33000 mètres cubes fut construite. Elle a commencé à approvisionner la ville en eau courante à partir de 1883, ce qui a conduit à la modernisation du système de distribution. Pendant de nombreuses années l’eau fut livrée sans filtrage. La première station d'épuration fut construite en 1926 puis l’eau fut chlorée dans les années 1950. Autant dire que sa réputation d’eau imbuvable a durablement marqué les esprits et qu’encore aujourd’hui rares sont ceux qui se risquent à boire de l’eau du robinet pourtant potable selon les affirmations des autorités! 
L’eau de source Hamidiye a commencé à être collectée puis distribuée en 1902 jusqu’au palais de Yıldız (Beşiktaş) en alimentant au passage le quartier de Nişantaş, à partir de la station de pompage de Cendere, vestige du passé reconverti aujourd’hui en centre culturel. Depuis 1975, création de la première usine d’embouteillage, l'eau de source Hamidiye est vendue conditionnée et capsulée.

La rive asiatique du Bosphore ne pas négligée et d'une manière générale, assez bien pourvue en eaux douces pour approvisionner Üsküdar et Kadıköy par le barrage Elmalı construit en 1893.
Il faut bien constater qu’Istanbul a conservé un exceptionnel patrimoine architectural lié à l’approvisionnement, le stockage et la distribution d’eau, trahissant une obsession de l’insuffisance des ressources à travers toutes les époques. Une simple balade en forêt a le pouvoir de sensibiliser les consciences à ce sujet tout autant que les déambulations urbaines.
Si les citernes byzantines sont devenues des attractions touristiques de premier plan, d’autres vestiges disséminés dans les quartiers populaires, se font plus discrets.


Ici une fontaine monumentale fut construite à Kumkapı en 1780 pour Esma Sultan, princesse impériale, demi-sœur de Mahmud II, et trône aujourd’hui dans le parc de Kadırga, offrant désormais un passionnant terrain de jeux aux enfants du quartier.


Là une tour de niveau d’eau, une fontaine et un réservoir en ruine aménagé en lieu de prière. Cet ensemble non daté se trouve à Yeniköy, quartier de la rive européenne du Bosphore.


Yeniköy recèle aussi un peu plus loin au bord d’un petit parc, une fontaine commanditée par Mihrişah Valide Sultan en
1806. La même qui a fait construire le barrage !
Il suffit d’être un peu attentif pour détecter leur présence qui souvent se fond dans le dédale de petites rues, au risque de se faire oublier.
 
Sources : 


 

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