mardi 2 avril 2024

Arboretum Atatürk à Istanbul

L’équinoxe de mars marque la transition de l’hiver au printemps. Cette année il s’est produit le 20 mars, comme une grande majorité des années du 21e siècle, et une balade était prévue pour accueillir l’événement, mais la météo peu clémente cette semaine là, elle a été reportée.
Une semaine plus tard à la faveur de températures quasi estivales, le rendez-vous avec le réveil de la nature ne pouvait être davantage différé. Plusieurs options envisageables: la forêt de Belgrade ou la forêt urbaine du quartier Haciosman
 

Des tapis de primevères se prélassent dans les flaques de soleil. À l’état sauvage elle est jaune, n’a pas la même allure avec une tige beaucoup plus longue et ses fleurs en clochette. On l’appelle familièrement coucou.  Souvenirs d’enfance des bouquets glanés sur les talus forestiers lors des promenades dominicales… Mais je n’en ai pas rencontré ici. Peut être déjà fanées ?
    
Le choix de destination s’est donc porté sur l’arboretum Atatürk situé à l'intérieur des limites de la forêt de Belgrade, mais avec un accès à part sur la route Bahçeköy-Kemerburgaz. Maintes fois visité, mais toujours attractif avec ses nombreuses essences répertoriées et soigneusement étiquetées.
Fondé en 1949, à l’emplacement d’une pépinière du début du 20e siècle, le projet n’a réellement abouti qu’en 1982 dans le cadre des célébrations du 100e anniversaire de la naissance d’Atatürk. Entre temps la mise en place de parcelles structurées par des allées et la plantation de jeunes arbres se sont poursuivies avec l’objectif d’installer chaque essence à sa place en fonction des besoins de chaque arbre et de ses capacités d'enracinement. Dans les années 1950, Camille Guinet (1890-1974), l'un des responsables de l’école de botanique du Muséum au Jardin des Plantes, fut même invité pour y prodiguer ses conseils avisés en particulier sur le réseau piétonnier du site. L’arboretum s'est agrandi au fil des années pour atteindre sa superficie actuelle de 296 hectares. 
Trois plans d’eau complètent l’ensemble paysager.
   

Des canards, des cygnes et des oies y barbotent à leur aise ainsi que des tortues, sans compter les carpes rouges de belle taille.
 

C’est l’heure du bain de soleil pour les unes et de la baignade pour les autres.

Avec plus de 2000 espèces botaniques provenant de diverses parties du monde et d’espèces endémiques locales il est un important centre de recherche et d'observation scientifiques, de préservation et de sensibilisation.
Sa fonction pédagogique est perceptible dès l’entrée.
 


Un ancêtre nous raconte son histoire :
« Je suis né d’une petite graine ailée tombée sur l’humus fertile de la forêt de Belgrade en 1766. En milieu naturel les charmes vivent généralement 150 à 200 ans. Moi j ai vécu jusqu’à ce qu’un vent puissant me renverse au printemps 2016. J’étais alors le plus ancien charme de la forêt.
On nous confond souvent avec nos amis les hêtres. Les cannelures de notre tronc suffisent pourtant à nous différencier. En vieillissant ces cannelures se creusent jusqu'à nos branches, tout comme les rides marquent les visages des humains. Chacune d’elles porte le témoignage d’une épreuve de la vie.
Tout comme vous écoutiez votre grand père vous raconter ses expériences passées, tendez si vous le voulez bien une oreille attentive à mon récit.
Je suis donc né au temps de l’empire ottoman. Depuis longtemps déjà la forêt de Belgrade, riche en sources, alimentait en eau potable la ville proche (Constantinople puis Istanbul). Pour cette raison elle était protégée comme un trésor, l’eau étant la source de vie dans toutes les civilisations. Toute intrusion non autorisée était lourdement punie.
J’avais environ 30ans quand le sultan Selim III accompagné de sa mère Mihrişah vinrent s’arrêter près de moi et donnèrent l’ordre de construire un barrage pour augmenter le débit de l’eau vers la capitale de l’empire, en précisant à l'architecte Krikor Balyan de nuire le moins possible à la forêt et de veiller à ce que le barrage se fonde dans le décor naturel. Ces injonctions impériales me sauvèrent la vie et c’est ainsi que je devins le proche voisin de cette œuvre caritative d’utilité publique. D’autres barrages furent construits et de célèbres visiteurs venus du monde entier défilèrent pour admirer ces réalisations hydrauliques.
J’avais grandi et mon feuillage accueillait, le temps d’une halte rafraichissante, des ingénieurs prenant des notes, des écrivains en quête d’inspiration, des historiens et même un général qui compara le barrage à un palais sans porte ni fenêtre. J’avoue humblement que je n’y aurais pas pensé !
Puis vinrent les années sombres de la 1ere guerre mondiale et de l’occupation avec leur cortège de souffrances et de misère. Je ne sais pas comment j’ai pu en sortir vivant. Les autochtones démunis de tout venaient y chercher de quoi se chauffer, les occupants ont voulu couper les plus beaux arbres pour les transporter en Europe. Des années difficiles qui ont davantage creusé les rides de mon tronc qui s’est aussi un peu tordu.
Malgré cela, en prenant de l’âge, j’ai encore grandi mais me suis surtout épaissi. Mon écorce s’est craquelée comme la peau de la vieille sultane qui s’asseyait autrefois près de moi.
Mais j’attirais désormais les regards des voyageurs et des artistes. Confus de l’avouer, sur les gravures et peintures de l’époque le barrage a dû partager avec moi sa célébrité.
Ceux qui le voient aujourd’hui regrette peut être mon absence. Bien sûr que j’aurais souhaité me décomposer lentement près de lui et me mêler à la terre qui m’a fait naitre. Mais ces dernières années, il y a tant de monde qui vient piqueniquer en forêt ! Mes branches et mon tronc desséchés seraient une aubaine pour alimenter le feu sous les grillades.
Heureusement, les regards respectueux des forestiers se sont posés sur moi et ont décidé de mon sort en me soustrayant à ces actes irrévérencieux. Ils ont pris la peine de me transporter jusqu’ici, à l’arboretum, pour me permettre de vous raconter mon histoire. Venez me voir souvent. La vie ne m’a pas totalement déserté. Pour quelques décennies encore je sers de refuge et de nourriture à de nombreuses espèces animales (insectes, oiseaux, petits mammifères, batraciens, reptiles) et certaines espèces végétales (champignons, mousses, lichens) y trouvent un milieu de développement favorable. Je suis même considéré comme un écosystème indispensable au maintien de la biodiversité. »



Continuons maintenant notre quête des premiers signes du printemps. Les primevères mais aussi les perce-neige se sont frayés un passage dans le tapis de feuilles de chêne séchées.



Autour du lac on peut voir de nombreuses espèces ornementales. Les hortensias commencent à faire éclater leurs gros bourgeons vert tendre, promesse d’une floraison éclatante dans quelques mois, mais pour le moment il est bordé du camaïeu jaune des narcisses.
 

Une intense activité règne autour des beaux chatons mâles du saule, petites boules d'étamines jaunes très appréciées des bourdons, abeilles, papillons et autres insectes. En cette période de l'année, le nectar à butiner est loin d'être omniprésent, car peu de plantes sont en fleurs.
  

Le poirier d’ornement, à l’abondante floraison neigeuse est une autre option.
 

A proximité de l’autre plan d’eau, quelques magnolias se font à peine remarquer.
Si la floraison nous aide à repérer facilement les espèces végétales, identifier les feuillus sans leur feuillage n’est pas évident. Dans le doute on peut évidemment consulter les affichettes.
Pour le moment les plus précoces ne portent encore au mieux que des bourgeons sur leur ramure dressée vers le ciel qui se transformera bientôt en houppier verdoyant donnant à l’arbre une silhouette caractéristique de son espèce.
Les arbres ont bien d’autres façons de se singulariser. L’écorce de leur tronc est un précieux indice.



Tel ce peuplier blanc à la silhouette élancée malgré un âge certainement avancé que trahit la formation de curieux dessins composés de petits losanges sur fond blanc.



Cet arbre aux pieds dans l’eau se distingue par d’autres particularités pour le moins originales. Le cyprès chauve est un conifère pas comme les autres qui perd ses aiguilles en hiver (d’où lui vient son nom). Il se plait en milieu marécageux, dans les plaines inondées. En vieillissant son tronc ligneux se torsade et s’élargit à la base. Autre curiosité, ses racines produisent des excroissances émergeant du sol appelées pneumatophores formant de multiples pieds autour du tronc et pouvant être comparés aux poumons de l'arbre. Ils ont pour fonction de transporter l'oxygène capté en surface au reste des racines. Ingénieux tuba de plongée !
 

La promenade peut se poursuivre en suivant l’allée bordée de pins sylvestres ou bien en zigzaguant dans les sentiers à la recherche d’autres découvertes. Les plus curieux pourront prendre de la hauteur en grimpant les marches de la tour d’observation.
 
Fermé le lundi. Entrée payante nettement moins chère en semaine (17 TL) Interdiction d’apporter de la nourriture et des boissons à l’exception d’une bouteille d’eau. Les animaux domestiques ne sont pas autorisés.
Pour le moment pas de brochure disponible.
 


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Sources
Arboretum Atatürk et histoire, Istanbul Üniversitesi, Orman Fakültesi

  


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