Depuis le legs d’Henri Cernuschi à la ville de Paris en 1896, de nombreuses acquisitions ont enrichi les
collections et permettent aujourd’hui de retracer en partie l'histoire des
peuples chinois, japonais, coréen ou vietnamien, depuis le néolithique. Au
début du 20e siècle, les importantes découvertes archéologiques en
Chine et au Vietnam orientent le musée vers les origines des cultures d’Asie
Extrême-Orientale.
Au pied du grand escalier la Pagode en « bleu et blanc » est supposée être un modèle réduit de la célèbre
pagode de porcelaine de Nankin, monument culminant à 79,6 mètres qui attirait
les voyageurs depuis le 17e siècle dans cette ville, et détruit lors
de la révolte des Taiping au milieu du 19e siècle.
Lui faisant face, un brûle-parfum au dragon de Kimura
Toun, bronze et fonte à la cire perdue, a été réalisé entre 1800 et 1870. Le
vase de forme sphérique et son couvercle ajouré sont décorés de phénix et de
motifs de nuages en relief. Une frise stylisée entoure le bord supérieur. Le
dragon à la féroce gueule barbue dégage, par la tension de son corps sinueux,
une puissante énergie.
La visite se prolonge au premier étage avec les
collections permanentes qui ont bénéficié récemment d’une nouvelle scénographie
muséale, replaçant dans une présentation chronologique les œuvres rapportées
par Cernuschi et des pièces plus récemment acquises. À la suite d’achats, de dons, de legs, le musée a triplé la collection
d’origine, mais tout n’est pas exposé.
Sur le palier du 1er étage des vitrines dévoilent quantité de pièces de collection qui ont fait l’objet de nombreuses
illustrations, dessins, gravures, reproductions en couleur et photographies
pour faire connaitre ces œuvres au grand public.
Henri Cernuschi a orchestré une véritable campagne de communication.
Puis une enfilade de salles permet de découvrir des témoignages
des premières cultures chinoises, des objets de facture néolithique, poteries
décorées, jade sculpté. La multiplication des contenants en terre cuite
caractérise les bouleversements dans les modes de vie du néolithique, comme au
Moyen Orient presqu’à la même période (10000-2000 av. notre ère)
Jarres, culture de Banshan (vers 2600 – 2300 av. J.-C.)
Disque ajouré à décor d’oiseau, néphrite, culture post-Shijahe (2100 – 1700 av. notre ère). Le travail de cette pierre dure assimilée au jade devait être fastidieux sans outils métalliques. Ce type d’objet se multiplie à la fin du néolithique et la production se poursuit au début de l’âge de bronze.
Divers ornements zoomorphes sont produits en quantité
pendant la période Shang à partir du 15e siècle av. notre ère.
Mais les dynasties Shang (vers 1500 - 1050 av. notre ère)
puis Zhou (1050- 256 av. notre ère), sont majoritairement représentées par des
bronzes témoignant de la maîtrise technique et des innovations décoratives des
artisans par l’incrustation de cuivre et métaux précieux (vers 550 avant notre
ère)
Vase You pour boissons fermentées. Ce type de récipient
décoré et pourvu d’un couvercle est réservé aux cérémonies rituelles ou
funéraires. Sur la panse on distingue un masque taotie aux grands yeux globuleux sous d'épais sourcils particulièrement
impressionnant, représentation stylisée et symétrique d'un animal imaginaire.
Chine époque d'Anyang (vers 1300- 1050 av. notre ère), vers 1150 av. notre ère.
Décor semblable de masque taotie pour ce vase Zun en bronze mais sans couvercle, pour
boissons fermentées. Chine époque d'Anyang (vers 1300- 1050 av. notre ère),
vers 1150 av. notre ère.
Vase Hu en bronze figurant un masque taotie, Chine, époque Shang (vers 1500 - 1050 av. notre ère)
Vase You pour boissons fermentées, en forme de félin, dit « La Tigresse », 11e siècle av. notre ère (entre -1100 et -1050), époque Shang (vers 1500 - 1050 av. notre ère). Ce vase en forme de tigre enserrant un être humain est un vase rituel comportant une anse et un couvercle. L’interprétation du décor de l’objet est libre : Scène de prédation ou relation protectrice ? Le visage semble serein et bienveillant!
Vase ding dit "Ge ding", vase rituel
tripode aux motifs rubanés décoratifs, destiné à cuire des
offrandes carnées
et
datant du milieu de la dynastie des Zhou de l’Ouest (fin
du 10e siècle – début du 9e siècle av. notre ère)
Tombe période Han (206 av. notre ère à 220 après), porte
et stèle funéraire.
La vaste salle aux larges verrières et sa mezzanine
proposent au regard les œuvres des dynasties impériales couvrant des siècles
d’effervescence artistique et de grands bouleversements économiques,
politiques, techniques et religieux (commerce intense sur les routes de la
soie, introduction du Bouddhisme, travaux d’irrigation, constructions de
grandes murailles de protection, mise au point des céladons et de la
porcelaine…)
Parenthèse dans la chronologie, la statue la plus
imposante est sans conteste le Bouddha Amida (Amitābha), monumental bronze de
plus de 4 mètres réalisée au 18e siècle, au Japon. « Rescapée
de l’incendie qui détruisit le Banryūji, un petit temple du quartier de Meguro
à Tōkyō, cette statue demeura à l’air libre, en pleine végétation, durant des
années, avant que Cernuschi ne l’achète en 1871 pour la fabuleuse somme de 500
pièces de monnaie en or ». Le piédestal en forme de lotus et le nimbe
comportent des inscriptions mentionnant les supérieurs des temples de l'école
Jōdo.
Avant de fermer la parenthèse chronologique, le regard se
porte immanquablement sur une autre œuvre spectaculaire.
Frise monumentale de 12 m de long sur 1,50m de haut, sculpture
sur bois en haut relief, Japon époque Edo (1603-1868). Ce chef-d'œuvre figurant
trois dragons chassant la perle de sagesse entre vagues et nuages, est exposé
pour la première fois dans son intégralité depuis les années 1930. Il a été
spécialement restauré à l'occasion de la célébration du 150ème anniversaire du Retour d'Asie d'Henri Cernuschi. Finesse d’exécution et maitrise technique n’en
finissent plus de fasciner conservateurs et historiens de l’architecture.
Au premier plan à gauche Bodhisattva en bronze. Époque
Edo (1603-1868) Japon.
Puis nous retrouvons les dynasties impériales chinoises
et les témoignages qui nous sont parvenus. En particulier les mingqi*, trouvés en abondance dans les tombes au côté de récipients à offrandes, nous
racontent des détails de la vie quotidienne, relations sociales et commerciales,
activités agricoles, divertissements, croyances…
La statuaire bien représentée offre d’autre part une perception de la
diffusion du bouddhisme véhiculé depuis l’Inde par les routes de la soie dès le
1er siècle de notre ère. Le bouddhisme trouva un terrain favorable dans le
contexte spirituel de la Chine dominé par le confucianisme, né de
l’enseignement de Confucius (551-479 av. notre ère), et le taoïsme, issu des anciennes croyances dans les esprits et formulé par Lao-Tseu,
censé avoir vécu vers le 6e siècle av. notre ère.
Tour, terre cuite et glaçure, mingqi, Chine dynastie des
Han de l’Est (entre 25 et 220). Ce substitut funéraire d’architecture est utile
pour comprendre les structures en bois apparues dans le centre-nord de la Chine
vers le milieu de l’époque des Han de l’Est. Bien qu’elles aient toutes
disparu, les scientifiques supposent qu’elles avaient des fonctions de guet, de
délassement, voire de lien spirituel avec le monde des immortels.
Modèle réduit d’habitation retrouvé dans une sépulture.
Terre cuite, mingqi, Vietnam époque Giao Chi (1er -3e
siècle)
Récipients à offrandes retrouvés dans des sépultures,
grès blanc à couverte ivoire et email vert, Vietnam époque Giao Chi (1er
-3e siècle) sous administration chinoise.
Jarre, grès revêtu d’une couverte transparente aux
reflets verts. Chine du Nord, époque Sui (581-618)
Tête
de bodhisattva, grès, Chine époque Tang (618-907), 7e
siècle.
Chameau terre cuite à trois glaçures, mingqi, Chine
époque Tang (618-907), entre 700
et 750.
Roi céleste, terre cuite à glaçure trois couleurs
(sancai), Tang (618-907), première moitié du 8e siècle.
Bouddha Amitābha(Amida), marbre, polychromie, bien que
son style évoque l’esthétique épurée des Qi du Nord (550-577), cette œuvre est
replacée dans une production archaïsante réalisée à l’époque des Liao (907-1125),
dans le nord-ouest du Hebei
Bodhisattva Avalokitesvara / Guanyin pusa, bronze laqué
et doré, Chine époque Yuan (1271 à 1368), 14e siècle. Cette posture
de délassement, caractéristique des représentations d’Avalokitésvara dans sa
demeure du mont Potala s’inspire à la fois de la statuaire indienne et des représentations
chinoises d’immortels ou de sages. Les influences népalaises sont fréquentes
dans l’art bouddhique des Yuan. (Dynastie mongole dont le premier empereur fut
Kubilaï Khan)
Bodhisattva Avalokitesvara dans une niche rocheuse, grès
à couverte de céladon et biscuit, Chine époque Ming (1368- 1644), 15e
siècle.
Au milieu du 20e siècle, le musée Cernuschi s’ouvre aux arts asiatiques modernes et
contemporains et plus récemment accueille des collaborations avec des créateurs
asiatiques tout comme le musée Guimet.
Une autre visite ne sera pas superflue pour en apprécier
les œuvres. Signalons que l’accès aux collections permanentes du musée
Cernuschi est gratuit. Seules les expositions temporaires sont payantes.
En attendant voici un aperçu de créations d’artistes
vietnamiens inspirés à la fois par l’étude des arts de l’Occident et le style
de l’Asie Orientale. Ici le thème de la jeune femme dans ses occupations
quotidiennes rompt avec les portraits traditionnels d’ancêtres et de scènes
historiques ou légendaires.
« L’identité vietnamienne du modèle est toujours
nettement marquée par certains détails du vêtement, de la coiffure, de
l’attitude ou du décor. Ainsi les artistes répondent à l’exhortation de leurs
professeurs de créer un art propre à leur culture en évitant l’écueil d’une
copie servile de l’art français, conseil qui rencontre leurs propres
aspirations dans ces années 1930 où l’on rêve d’une société nouvelle émancipée
tant du carcan du vieil empire mandarinal que du joug du gouvernement
colonial. »
410 Thanh Van En, Ecole de Gia Dinh promotion 1937, Joueuse
de Flute Traversière, aquarelle sur papier
En 150 ans de découvertes, les collections couvrent près
de cinq millénaires, de quoi offrir au public un étourdissant voyage
spatio-temporel.
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*Les Mingqi sont des figurines qui accompagnent le défunt
dans sa dernière demeure. C’est « l’objet lumineux » éclairant par sa présence
serviable, protectrice ou divertissante, la tombe pour l’éternité. Soit ayant
appartenu au défunt, soit fabriqué pour les funérailles. A partir du 5e siècle
av. notre ère, les sacrifices humains disparaissent au profit de ces figurines
simulacres en bois ou en terre. Personnes aimées, serviteurs, soldats,
acrobates, danseurs, musiciens, animaux et même modèles réduits d’architecture
sont ensevelis pour accompagner le disparu et permettre à son âme de continuer
à vivre comme elle le faisait auparavant. A partir du 9e siècle leur usage
disparait des coutumes funéraires. Ils sont remplacés par des sculptures, des
bas-reliefs, des peintures murales pour les tombes les plus riches.
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Sources principales des intitulés et légendes
photos : la rubrique collection du site internet du musée Cernuschi, et les panneaux
explicatifs sur place.
La rubrique dossier bouddhisme du musée.
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