A l’instar d’Émile Guimet (1836-1918), fils d’une riche
famille d’entrepreneurs lyonnais, voyageur fasciné par l’Orient et ses
civilisations, par la découverte du monde et fondateur de l’incontournable
institution inaugurée en 1889 sur la colline de Chaillot aujourd’hui Musée national des arts asiatiques présentant la collection la plus complète au monde, un
autre collectionneur passionné et fortuné va laisser aussi une trace en
provenance d’Asie dans le paysage culturel parisien.
Henri Cernuschi (1821-1896), républicain italien refugié
en France en 1850 est naturalisé français en 1870. Encore sous le choc de la
répression sanglante de la Commune de Paris, il entreprend en compagnie de Théodore
Duret un tour du monde entre septembre 1871 et janvier 1873. Lors
de son séjour au Japon et en Chine, il acquiert environ cinq
mille œuvres d'art qui formeront l’essentiel de sa collection. À son retour, cet
ensemble exceptionnel pour l’époque, bronzes, céramiques, peintures, estampes,
livres illustrés, objets en bois laqué et sculpté, est exposé au Palais de
l'Industrie à l'Exposition orientaliste (août 1873-janvier 1874).
Il achète aux frères Pereire la dernière parcelle non
bâtie bordant le parc Monceau sur l'avenue Vélasquez pour y faire construire un
hôtel particulier où il résidera, entouré des œuvres d'art rapportées de son
périple asiatique.
Sur la façade, on remarque les médaillons en mosaïque
d'Aristote et de Léonard de Vinci admirés par Cernuschi.
Henri Cernuschi meurt en 1896 après avoir légué son hôtel
particulier et ses collections asiatiques à la ville de Paris. Le musée des
arts de l'Asie sera inauguré le 26 octobre 1898.
Certes plus modeste que le musée Guimet, le musée
Cernuschi méritait bien une visite attentive, surtout à l’occasion de
l’exposition temporaire Retour d’Asie,
célébrant le 150ème anniversaire de son retour de voyage et présentée du 6
octobre 2023 au 4 février 2024, dans un parcours
thématique.
Au moment où j’écris ces lignes, l’exposition temporaire
est terminée depuis un mois. J’y suis allée dans les tout derniers jours et il
m’a fallu un peu de temps pour trier et classer les informations et photos ! Ceci
est donc un partage rétrospectif illustré pour ceux qui veulent en rafraichir
le souvenir ou pour les curieux qui ne l’ont pas vue.
Les deux premières salles évoquent l’itinéraire du
voyageur en Extrême-Orient.
Après avoir traversé le continent américain et l’océan
Pacifique, Henri Cernuschi aborde le Japon, avant de gagner la Chine, puis
l’Indonésie, Ceylan et l’Inde.
Trônant dans la première salle, cette imposante statue attire
d’emblée le regard des visiteurs et nul doute qu’elle n’ait fait grande
impression sur le voyageur. Elle représente une des entités bouddhiques les
plus populaires au Japon. « L’être d’éveil » est figuré ici levant la
main droite en signe de compassion et tient dans l’autre un bouton de fleur de
lotus, symbole de l’espérance de l’éveil pour tous les êtres.
Statue de bronze de la fin de l’époque Edo (1603-1868)
représentant Acala (Fudō Myōō), principale divinité irritée, l’une des cinq
gardiennes du bouddhisme ésotérique. Acala serre dans sa main gauche une corde
qu’il utilise pour ramener les fidèles dans le droit chemin. Dans sa main
droite il tient une épée visant à relier le ciel à la terre pour combattre
l’ignorance et les illusions.
Si les objets réalisés en bronze ont suscité un grand intérêt
chez Cernuschi, d’autres pièces ont retenu également son attention.
Parinirvâna. Encre et couleurs sur soie de l’époque Edo (1603-1868). L’extinction
complète du Bouddha.
Encre et
couleurs sur soie de l’époque Edo (1603-1868). Bouddha auréolé, assis en padmasana
(posture de méditation) sur une base en forme de fleur de lotus. Il est entouré
de bodhisattva, disciples et Gardiens Célestes.
Manjusri/Wenshu chevauchant un lion, bronze
doré, Chine époque Ming (1368-1644), 15e siècle.
Deuxième thème : de retour à Paris Henri Cernuschi
s’empresse de faire partager ses trouvailles et participe à l’éclosion d’une véritable
révolution du goût connue sous le nom de japonisme qui a largement influencé
l’art européen.
L'exposition accueillit bon nombre d’artistes ou amateurs d’art
asiatique, tels Gustave Moreau (1826-1898) ou encore le céramiste Théodore Deck
(1823-1891) pour lesquels ce lieu se révéla une extraordinaire source
d’inspiration.
Vase en forme de chimère ailée portant un vase Zun, bronze, incrustation d’argent et d’or, Chine période Qin (1644-1912) 18e siècle. Parmi les œuvres exposées par Cernuschi, ce vase séduisit particulièrement le peintre Gustave Moreau qui fera figurer l’objet dans plusieurs de ses œuvres : Triomphe d’Alexandre le Grand, (vers 1875-1890) et Salomé dansant (vers 1874)
Pour mettre en évidence les sources d'inspiration, quelques prêts ont ete accordés par d'autres musées. Le vase en faïence (1875/80) produit par la manufacture
Deck reprend exactement la forme du vase à anses japonais du 18e
siècle de la collection Cernuschi. Théodore Deck s’est aussi inspiré des
porcelaines chinoises en reproduisant les procédés techniques de glaçure.
De même pour ce vase soliflore japonais en bronze
reproduit en faïence par Théodore Deck.
Tout le monde connait l'Ours blanc exposé au musée
d’Orsay, une statue du sculpteur animalier français François Pompon (1855-1933).
Grand cerf, Statuette en bronze, patine brune, 1929
Grand duc, bronze 1927/1930, Canard, bronze 1911, Poule
d’eau, bronze, vers 1929. Impossible de ne pas y déceler comme un écho aux
bronzes animaliers japonais ci-dessous
La troisième partie de l’exposition est consacrée à la
réalisation du projet d’Henri Cernuschi
Plat à couverte céladon, décors incisés, Chine période
Ming, 15e siècle. Ce plat témoigne de la circulation des grès
céladon chinois du Proche-Orient au Japon à l’époque médiévale. Le palais de
Topkapi à Istanbul en possède une belle collection utilisée autrefois par la cour
ottomane.
Lion chinois, grès de Bizen, Japon, fin de l’époque Edo,
19e siècle
Ecrans de table en grès ajourés à couverte de céladon,
aux motifs de Kirin (animal hybride mythique) signe de bons présages,
longévité, grandeur, sérénité, paix et réussite
Grand plat à décor de rochers et pivoines. Porcelaine,
décor au bleu de cobalt sous couverte, Japon, milieu du 19e siècle.
Un article de luxe utilisé probablement pour les banquets et repas de fête. La
pivoine, fleur préférée des empereurs chinois et signe de richesse témoigne du
prestige de la culture chinoise dans le Japon de la période Edo.
Iconographie classique au Japon pour ce pot de fleur orné
de Kirin, phénix, tigre et dragon. Grès brun engobe blanc, décor au bleu de
cobalt sous couverte. Fin de l’époque Edo, 19e siècle.
La salle des bronzes a repris la présentation en gradin
voulue par le maitre des lieux
Bronzes japonais, époque Edo (1603-1868) côté gauche, ci-dessous.
Bronzes chinois, pour la plupart période Qin (1644-1912) côté droit ci-dessous.
Ci-dessus, vase « champion », bronze avec incrustation d’or,
18 ou 19e siècle.
Ce type de récipient, doté de deux compartiments
verticaux étroits reliés par une sculpture d'un animal mythique, est connu sous
le nom de « vase champion » traduction libre de yingxiongbei, « coupe du héros
». Basés sur un type de bronze archaïque qui remonterait au 2e siècle av. notre ère, les vases champions ont
été de nouveau fabriqués à partir du 16e siècle dans différentes matières.
Cloche de type yongzhong en bronze, 5e siècle
av. notre ère, Zhou de l’Est (770-259 av. notre ère)
Au centre quelques présentoirs sous vitrine
Une série de netsuke en ivoire, objet utilitaire et
accessoire de mode au Japon, destiné à faciliter la fixation de différents étuis à
la ceinture des kimonos. Ces petites figurines furent très appréciées des collectionneurs européens.
La visite se termine sur une pièce impressionnante comme
un point d’orgue à cette exposition qui a certainement, même au 21e siècle, suscité l’émotion,
l’admiration selon les vœux d’Henri Cernuschi.
Brûle-parfum, émaux cloisonnés sur cuivre, Chine période
Qin (1644-1912) 18e siècle.
D’autres merveilles nous attendent à l’étage,
section des collections permanentes.
A suivre dans le prochain article.
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