Au cours de notre dernier périple Smyrniote, après avoir visité
plusieurs sites antiques et curiosités locales, Pergame, Sardes, Kyme,
bas-relief hittite de Karabel, village de Nazarköy, une halte à Menemen était
prévue. La petite ville des environs d’Izmir est connue pour ses poteries de
qualité. La plaine argileuse environnante fournit la matière première à cette activité
artisanale depuis des millénaires. Pas besoin de chercher bien loin, la
production est en vente sur le bord de la route. Par contre les ateliers et fourneaux
ne sont pas vraiment accessibles ayant été délocalisés dans la campagne
environnante.
Les amphores antiques ont laissé la place à des formes plus
adaptées aux utilisations actuelles. Si
les classiques cruches, récipients de toutes tailles pour la cuisson au four ou
à l’étouffée, pots à l’intérieur engobé pour la fabrication et conservation du yaourt,
constituent l’essentiel de la production, des pièces à vocation décorative telles que cache-pots, photophores etc… sont également empilées sur les étagères.
J’avais plus ou moins imaginé que j’y trouverai un récipient
spécialement adapté à la cuisson de la préparation d’œufs brouillés, tomates et
poivrons, bien connue partout en Turquie, et portant le nom de la localité. Je supposais que par extension, le contenant avait pu finalement
donner son nom au contenu.
A ma question, le marchand m’a répondu que c’était une tout
autre histoire, précisant que la fameuse préparation se cuit généralement dans
un plat métallique, cuivre étamé ou aluminium.
Le traditionnel menemen
ne serait d'ailleurs pas millénaire mais tout juste centenaire. En effet la présence de
tomates dans la préparation indique clairement que ce plat ne faisait aucunement
partie des traditions culinaires de l’empire ottoman.
Même si aujourd’hui, en Turquie, la tomate est au 3e
rang de la production mondiale et qu’elle est devenue un élément incontournable
de la gastronomie turque, elle n’y a été introduite qu’au début du 20e
siècle.
Mais revenons à notre menemen
dont le potier s’improvise l’historien.
Selon lui, le célèbre plat serait le résultat d’un enchaînement de circonstance qui commence avec l’avènement de la République et l’arrivée
des Turcs Crétois suite aux échanges de populations. Ces insulaires ont des
habitudes culinaires bien différentes des autochtones et ne dit-on pas d’eux qu’où
ils s’installent, une chèvre est condamnée à la famine. Ils ont en effet l’habitude
de ramasser quantités de variétés d’herbes sauvages constituant l’essentiel de
leur alimentation. Pour s’intégrer plus rapidement à leurs concitoyens, ils n’hésitent
pas à partager largement avec eux leurs repas. Les tablées sont donc souvent
importantes et pour rassasier les convives on ajoute simplement des œufs à ces
herbes.
La politique de développement de l’agriculture en général
et l’introduction de la tomate coïncident avec leur arrivée et du coup ils sont
souvent employés agricoles. C’est ainsi que peu à peu, les tomates et poivrons ont
remplacé les herbes dans la préparation populaire qui s’est répandue sur tout
le territoire pour des raisons évidentes : recette facile, rapide, économique
et conviviale.
J’ai dégusté mon premier menemen improvisé dans
un village de Cappadoce, il y a plus de trente ans. Nous avions été invités à
nous joindre à la veillée précédant un mariage. Assises sur des kilims, une quinzaine
de personnes se pressaient autour de deux plats au diamètre généreux, y trempant allègrement des bouchées de pain. L’authenticité résidant bien entendu dans l’absence de la moindre fourchette.
Même si je n’ai jamais vraiment retrouvé la saveur de
celui-là, d’autres menemen s’en
approchent bien qu’ils soient servis dans une cassolette individuelle… comme à
la pâtisserie-restaurant Saray (à Beyoğlu).
Pour conclure, n’oublions pas de mentionner que Çakallı,
un village situé entre Ankara et Samsun, à des centaines de km de Menemen, en
revendique la spécialité et l’excellence. A l’occasion, il faudrait vérifier l’affirmation et, qui
sait, trouver celui ou celle qui détient l’historique de la version locale.
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