Tradition ancestrale
véhiculée par les tribus turques d’Asie Centrale, le tissage de kilim, zili, sumak
et cicim (prononcer djidjim) est une activité artisanale qui perdure dans toute
l’Anatolie. Cette technique a précédé celle du tapis noué à l’aspect velours. Les
multiples fonctions utilitaires du tapis tissé (kilim) et parfois rebrodé sur
les fils de chaine (zili, sumak, cicim), font de lui l’élément indispensable du
confort de la yourte des nomades (isolation du sol, tenture de séparation,
enveloppe pour ranger le linge, sac pour stocker ou transporter les céréales etc.)
Il est aussi aujourd’hui un élément de décor des habitations de sédentaires. Ses
dessins géométriques et ses couleurs contrastées fascinent encore ici et hors des
frontières.
Les motifs
récurrents ont attisé la curiosité et laissent à penser qu’ils ne sont pas
uniquement décoratifs, ni simplement soumis à des exigences techniques
d’exécution.
Des études plus
ou moins sérieuses se sont intéressées à la symbolique de ces dessins stylisés
et à leurs dispositions jusqu’à y voir un véritable langage de signes.
La plupart
s’accordent pour y déceler l’expression d’une survivance des croyances
chamaniques des peuplades turques d’avant l’islamisation. C’est vraisemblable
car elles n’ont encore aujourd’hui pas entièrement disparues de la mémoire
collective et des traditions.
Les motifs évoqueraient
donc les préoccupations tout autant matérielles que sentimentales et
spirituelles des femmes qui les confectionnent : fécondité, fertilité de
la terre nourricière, cycle de la vie et de la mort, soucis de se protéger de
la maladie et des dangers pouvant menacer la descendance, de conserver l’union
de la famille, etc.
Le médaillon
central de ce kilim aux motifs particulièrement diversifiés, est orné d’une
sorte de pompon
|
Les plus utilisés
sont des représentations stylisées de mains sur les hanches (elibelinde), cornes
de bélier (koçboynuzu), étoile (yıldız), eau courante (su yolu), main (el), peigne
(tarak), crochet (çengel), yin-yang (birleşim), empreinte ou gueule de loup
(kurt izi / kurt ağazı), aigle (kartal), scorpion (akrep), dragon (ejder), entraves (bukağı), feuille (yaprak), arbre de vie (hayat ağacı), oiseau
(kuş).
Ces dessins ne
sont pas uniformément représentés et les variantes d’une région à l’autre compliquent
parfois le repérage. Certains sont associés à une tribu et seraient en quelque
sorte un signe de reconnaissance, une signature.
Cicim de Bergama
|
Néophyte en la matière,
malgré l’attrait qu’exercent sur moi ces compositions colorées, je ne me
risquerais pas à vous en proposer des interprétations. Pour vous faire une
petite idée des correspondances entre motifs et signifiants mieux vaut
consulter des ouvrages de spécialistes, par exemple celui de Belkis Balpinar Acar, Kilim-cicim-zili-sumak Türk
düz dokuma yaygıları, Eren yayınları 1982, qui vient de clôturer une exposition de ses créations personnelles au
Cirağan. Ou demandez quelques éclaircissements à des vendeurs expérimentés
comme Florence Öğutgen dirigeant le magasin Tradition (Kürkcüler Sk, Rubiye
Han, No 11-12 - Kapalıçarşı,
Istanbul) ou à Şişko Osman, (Zincirli Han No: 15, Kapalıçarşı, Istanbul)
C’est évidemment
dans les boutiques du Grand Bazar d’Istanbul que l’on peut trouver le plus
grand choix puisque des rabatteurs sillonnent toute la Turquie pour un approvisionnement
continu, mais chaque région a ses lieux de production spécifique. Les plus
renommées étant la région égéenne (Afyon, Aydin, Bergama, Denizli, Manisa,
Uşak), l’Anatolie centrale (Aksaray, Çorum, Elmadağ, Kayseri, Nevşehir. Konya,
Sivas), l’Anatolie orientale (Erzurum, Kars, Malatya, Van), le Sud-est
anatolien (Gaziantep, Maraş), la côte méditerranéenne (Adana, Antalya, Fethiye),
et la Thrace
(Şarköy).
Kilim aux motifs figuratifs
de fleurs et épis de blé trouvé près de Nevşehir
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Les kilims et
autres tapis tissés ont donc beaucoup d’histoires à raconter à ceux qui
s’attarderont à décrypter ces messages du quotidien d’époques lointaines…
En les foulant
avec moins de désinvolture, l’occasion vous sera donnée de faire un peu d’anthropologie
et d’ethnographie dans votre salon.
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