jeudi 24 février 2011

Le marché des pigeons au palais de Tekfur

Des écrits récents mentionnant une restauration en cours, nous avions ce dimanche là, le vague espoir que le palais de Constantin Porphyrogénète (Tekfur sarayı) soit redevenu accessible…


De cette bâtisse enclavée dans les murailles byzantines et qui faisait partie de l’ensemble impérial des Blachernes, il ne reste que les murs extérieurs qui n’ont pas beaucoup changé d’aspect depuis 20 ans mais dont la porte est maintenant close. La toiture, les charpentes, et les décorations intérieures ont bien évidemment disparues depuis longtemps. Les croisées avaient déjà contribué largement au saccage des lieux avant l’arrivée des ottomans. Mais la possibilité de se trouver dans les murs aidait l’imagination à recomposer les décors de colonnades et de mosaïques du temps des derniers empereurs byzantins… à entendre les barrissements des éléphants qui furent hébergés ici… à suivre l’activité d’une faïencerie délocalisée d’Iznik qui produisit entre ces murs au début du 18e siècle des carreaux destinés à décorer l’intérieur de la mosquée Yeni Valide d’Üsküdar… Il faut se contenter aujourd’hui de quelques photos des façades de briques et de pierres.



Mais avant d’y arriver, en longeant les remparts, une certaine fébrilité était décelable aux alentours. Des hommes avec d’étranges petites boites ou des cartons se hâtaient vers un lieu précis… en direction du palais de Tekfur, comme nous. Et en effet tout près du palais, sur une sorte de terrain vague aménagé régnait une intense activité, un rassemblement masculin pour un marché bien particulier : le commerce des pigeons.


Comme la plupart des Parisiens, je n’ai pas de tendresse particulière pour ces oiseaux envahissants, pollueurs de monuments. L’indulgence et même la sympathie que leur manifestent les stambouliotes n’ont pas été contagieuses. Je me suis juste habituée à porter un regard un peu moins désapprobateur sur les marchands de graines de la place de Beyazıt ou d’Eminönü (en considérant l’indispensable activité rémunératrice pour les marchands mais en restant indifférente à l’alimentation des pigeons citadins qui se débrouillent très bien tout seul.)


De l’utilité de ces volatiles je ne reconnaissais que celle des pigeons voyageurs.
Les Turcs en maîtrisent l'élevage depuis très longtemps et dans des temps reculés où la communication ne passait pas par les GSM, leur colombophilie palliait avantageusement l’absence de technologie pour la transmission d’informations… Les pigeons portaient les messages à des centaines de kilomètres, des milliers dit-on, pour rejoindre leur pigeonnier d’origine. Ce que l’on sait moins, et que je viens de découvrir au palais de Tekfur, c’est que la colombiculture (élevage des pigeons de vol) est une autre spécialité traditionnelle. Une passion qui a traversé les siècles et s’exprime dans l’élevage, la sélection et l’entrainement de pigeons naturellement aptes aux prouesses acrobatiques dont certains spécimens font la fierté de leurs propriétaires.

Une liste non exhaustive que je vous livre ici d’après les parcimonieuses informations recueillies et en l’absence de toute exécution spectaculaire sur place:
Le claqueur de Mardin (taklaci) qui bat des ailes bruyamment pour annoncer les culbutes ascensionnelles qu’il va exécuter.
Des pigeons dits rouleurs (de Bursa ou d’Izmir), et d’autres dits plongeurs font leurs démonstrations en descente, dont une race surnommée "kelekek" car son vol évoque celui du papillon et un "dönek" qui plonge en vrille les ailes ouvertes.


Les pattes sont souvent emplumées. Certains ont une huppe sur la tête. Les variétés de couleurs sont surprenantes. Reconnaissons qu’ils ont fière allure. Certains spécimens valent une petite fortune. Il existe des concours et des championnats pour évaluer les performances et récompenser les éleveurs. L’acquisition d’un de ces supposés oiseaux rares est accompagnée, il va sans dire, d’un long et très sérieux cérémonial de marchandage qui suit un examen très minutieux de la morphologie de l’oiseau dont dépendra les supputations sur ses aptitudes à réaliser les figures spectaculaires tant attendues.





3 commentaires:

  1. J'ai souvenir avoir été il y a 7 ans je pense d'un marché au pigeons qui avait lieu tous les dimanches près de la mosquée qui se trouve en bas de Şişhane, juste avant le pont Atatürk mais je ne crois pas qu'il existe encore. Par contre, tu sais sans doute que dans certaines régions de la Turquie, les collectionneurs de pigeons sont nombreux et se retrouvent lors de ventes aux enchères comme à Urfa par exemple http://www.dubretzelausimit.com/article-l-etonnant-commerce-des-pigeons-d-urfa-42903392.html

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  2. Je viens de lire ton reportage sur le commerce des pigeons à Urfa. Une ambiance qui semble tout aussi effervescente que celle qui règne vers le palais de Tekfur et des collectionneurs tout aussi passionnés. J’avais eu des échos de cette activité mais jamais eu l’occasion de la voir… ni à Istanbul, ni ailleurs. Peut être le marché de Şişhane a-t-il été déplacé ici…

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  3. L'ambiance était incroyable à Urfa ! En tout cas, je vais aller dès que possible voir le marché près de Tekfur sarayı...

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