Contrairement à Kars dont l’attribution de la fondation
est incertaine, celle d’Erzurum remonte au 5e siècle lorsque
l'empereur Théodose II (408-450) mit en place une garnison à l’emplacement d’un
ancien village arménien nommé Garin, aux confins orientaux de l’empire
byzantin, objet de luttes incessantes.
La Theodosiopolis byzantine, une fois relativement
sécurisée devint une cité caravanière prospère entre la Perse et le port de
Trébizonde qui ne manqua pas d’être convoitée par les Seldjoukides qui y ont
laissé en héritage un bel ensemble architectural. Entre temps la ville avait
été renommée Erzen pour laquelle on précisait son passé byzantin en lui
accolant Rum, qui par déformation orale finit par se transformer en Erzurum.
La citadelle témoigne parfaitement de son histoire
puisque les premiers remparts furent édifiés en 422. Les modifications réalisées
au 12e siècle constituent la majeure partie de la structure restante
dont le minaret vestige d’une mosquée édifiée par les Saltukides.
Place forte des Ottomans pour mener les campagnes
militaires contre les Safavides iraniens, elle abrita des garnisons de
janissaires.
La tour de l’horloge est du 19e siècle.
Les abords de la citadelle ont fait l’objet d’un récent
aménagement paysager et de reconstructions plus ou moins fidèles.
Ces aménagements ont permis d’améliorer la visibilité
d’autres édifices du patrimoine historique de la ville.
La medrese Yakutiye fut commanditée en 1310 par Hoca
Yakut Gazani (probablement gouverneur de la ville) et au nom de Gazan Khan et
de Bolugan Hatun, sous le règne du sultan ilkhanat Olcayto de la dynastie
mongole (qui a pris le contrôle de l'Anatolie à partir de la capitulation des
Seldjoukides en 1243). Elle porte cependant les caractéristiques de l’architecture
seldjoukide. Structure en pierre de taille à deux niveaux, c’est l’une des
dernières construite avec une cour fermée, en Anatolie.
Le portail du bâtiment s'élève en saillie sur la façade
principale encadrée de deux minarets aux angles, dont
l'un s'est effondré jusqu'au balcon et l'autre jusqu'à la base à une date
inconnue et coiffés depuis d'un toit conique. Le minaret conservé est animé par des
motifs géométriques de tuiles lustrées entrelacées évoquant des cordons.
L’ornementation du portail est remarquable avec ses
compositions de motifs végétaux, géométriques, figuratifs et calligraphiques,
couronné d'un arc brisé de muqarnas. De chaque côté, les faces latérales présentent une sphère ajourée, surmontées de l'arbre de
vie en forme de palmier sous lequel se trouvent deux léopard se faisant face. Au
sommet, un relief représente l’aigle bicéphale que l’on a rencontré maintes
fois au court du voyage.
La cour intérieure rectangulaire, au centre de trois iwans, est couverte d'un dôme à muqarnas
percé d’un oculus d’éclairage. Les autres sections sont couvertes de voûtes en
berceau à arcs brisés.
Le tombeau du commanditaire construit simultanément est à
l’extérieur de la medrese, adjacent et communiquant à la façade arrière de l'iwan principal. Il est parfaitement
visible de l'extérieur.
Les façades et le toit conique sont élégamment décorés de
reliefs formant des arcs brisés surmontant des colonnes. Une bordure
géométrique vient souligner l'avant-toit. Au niveau inférieur, six rangées
d'arcs à muqarnas surmontent trois fenêtres à encadrements rectangulaires.
Des motifs différents gravés dans la pierre au dessus de
chaque porte permettaient d’identifier les fonctionnalités de chacune des
salles. Après dix années de restauration (1984 à 1994), la medrese abrite
désormais un musée d'art et d'ethnographie turco-islamiques.
On peut y voir en autre la restitution d’une salle
d’études, les instruments servant à l’écriture et l’enluminure des manuscrits, et
un quadrant sinusoïdal permettant de mesurer les angles célestes, de lire
l'heure, de trouver des directions, d'effectuer des calculs trigonométriques et
de déterminer la position de tout objet céleste.
Une autre medrese ne manque pas de retenir l’attention avec
sa façade spectaculaire, ses minarets jumeaux hauts de 26 mètres, en briques, cannelés,
décorés de tuiles vernissées turquoise et violet aubergine, encadrant un
portail couronné monumental abondamment décoré de reliefs.
Sur les côtés du portail, dans des niches en arc brisé bordées
d'épaisses moulures cannelées, se trouvent les motifs de l'arbre de vie, symbolisé
par des palmettes et s'élevant d'un croissant, au bout des queues de deux
dragons et surmontés de l’aigle à deux têtes.
Sur la base des minarets des panneaux carrés portent des inscriptions
coufiques en étoile à huit branches. L’ensemble des décorations est similaire à
celles de la medrese Gök de Sivas. Elle
ne porte aucune inscription et sa date de construction est incertaine. Elle est
également connue sous le nom de « medrese Hatuniye », car elle a probablement
été construite pour Hundi Hatun, la fille du sultan seldjoukide Alaattin
Keykubat, ou par Padişah Hatun, épouse du prince mongol Geyhatu. Le nom de Toktay
Hatun, veuve du khan mongol Abaka est une autre hypothèse avancée, ce qui
détermine une construction dans la deuxième moitié du 13e siècle,
dans tous les cas.
Elle a servi de modèle pour la construction de la medrese
Yakutiye décrite ci-dessus.
Autre mystère, diverses études de son architecture
mettent en évidence des différences dans les éléments de décoration de la
structure, plus élaborés du côté droit et plus sobres du côté gauche, évoquant
la possible interruption de sa construction. Ceci dit, l’édifice aurait été
utilisé comme fonderie de canons sous le règne du sultan Mourad IV (1638-1639)
et n’aurait retrouvé sa fonction éducative qu’en 1846, mais pas forcement son intégrité
architecturale. Plusieurs restaurations furent entreprises depuis 1930. Des
fouilles scientifiques commencées en 2000 ont abouti à une nouvelle
restauration entre 2011 et 2014. La medrese abrite aujourd’hui les témoignages artistiques
et architecturaux du centre historique d’Erzurum dont elle est le symbole.
Les quatre iwans s'élèvent sur deux étages à l'intérieur
de la medrese. Un portique à arcs brisés reposant sur quatorze colonnes encercle
la cour sur trois côtés, se terminant par une haute arche soutenue par des
piliers de chaque côté devant la coupole.
Quelques colonnes sont décorées de motifs géométriques et
de palmettes, tandis que d'autres en sont dépourvues. De même, pour les chapiteaux. Vingt
salles rectangulaires, chacune couverte d’une voûte en berceau, sont disposées
de chaque côté de la cour.
Les portes et fenêtres de ces espaces sont ornées
d'épaisses moulures et d'ornements floraux. Le deuxième étage abrite vingt-deux
salles à la décoration plus sobre, couvertes également de voûtes en berceau.
Derrière le grand iwan,
face à celui de l'entrée, se trouve le kümbet
de la commanditaire, la structure funéraire la plus monumentale d'Anatolie
comportant deux niveaux comme la plupart de ces structures à cette époque.
On accède à la chambre funéraire et à l'étage
supérieur/mosquée par des escaliers dans l'iwan principal de la medrese.
Il semble aujourd’hui comme encastré dans la structure de
la medrese.
Tout près de là, trois autres kümbet forment un ensemble significatif de sépultures de
personnalités importantes de la ville. Le plus remarquable est sans aucun doute
celui que l’on attribue à l'émir Izzeddin Saltuk (1132-1168), l'un des
commandants turkmènes d'Alp Arslan, auquel le souverain du Grand Empire seldjoukide accorda un fief sur les terres conquises ayant pour centre Erzurum, suite à
la bataille de Manzikert en 1071. Il est daté du 12e siècle. Construit
en pierres de taille de différentes couleurs, le tombeau présente sur un corps
octogonal des frontons triangulaires avec des arcs en plein cintre, surmonté
d’un tambour cylindrique et couvert d’un toit conique légèrement convexe. Les
deux autres sépultures, anonymes, couvertes d’un toit de pierre parfaitement
conique, dateraient du 13e et 14e siècles.
A proximité se trouve la Grande mosquée d’Erzurum (Ulu
Cami). Elle fut construite en 1179 pour Nasreddin Aslan Mehmed, l’Atabey saltukide
descendant du fondateur de la principauté, l’émir Izzeddin Saltuk. Elle possède les
caractéristiques de l'architecture islamique primitive et représente l'un des
plus anciens exemples construit en Anatolie, partageant son ancienneté avec
celle de Sivas.
L’édifice est de plan rectangulaire. Sur le côté droit l'unique
minaret en briques à corps rond n’a qu’un seul balcon.
A l’intérieur, le toit plat est soutenu par 40 piliers
reliés par des arcs légèrement brisés, et les façades sont percées de 28 fenêtres.
Deux oculus situés en hauteur sur le mur de part et
d’autre du mihrab, permettent de déterminer les horaires de deux prières : la
lumière provenant de celui de gauche forme un ovale au sol avant midi, qui se
transforme en cercle à l'heure de la prière. De même, la lumière provenant de
celui de droite passe d'une forme ovale à un cercle à l'heure de la prière de
l'après-midi.
Le musée archéologique créé en 1944 a récemment déménagé
dans une toute nouvelle structure et présente depuis 2021 des collections de
fossiles de mammouths et de mollusques, quantité d’artefacts d'obsidienne provenant
de plusieurs sites d’extraction de la région, ainsi que des traces
significatives de la culture transcaucasienne kouro-araxe ou Karaz (tr), des
civilisations urartéenne et hellénistique, allant du Chalcolithique à l'âge du
Fer, provenant des fouilles archéologiques
de Pulur Höyük (1960), Güzelova Höyük (1961), Sos Höyük (1994-1998) et de
divers tumulus)
Des ustensiles et artefacts de la culture Karaz de
chasseurs semi nomades. L’une des plus grandes cultures de la préhistoire du Proche-Orient, est apparue
dans le nord-est de l'Anatolie au Chalcolithique tardif et au début de l'âge du
Bronze ancien et s'est propagée aux régions environnantes par la suite. (fin du 4e au 3e millénaire av. notre ère).
Des textes urartéens gravés en cunéiforme
Des éléments de sépultures rares comme cette pierre représentative
d’un dirigeant défunt dans les traditions des anciennes populations turques
d’Asie Centrale et entrant dans la catégorie des « Taşbaba ». (hauteur: 1m26). Elle
serait datée de 500 avant notre ère et sa présence en Anatolie reste inexpliquée
pour l’époque. Le personnage tient une coupe dans sa main indiquant qu'il a bu
à la coupe de l'éternité après la mort et est entré dans l'immortalité. Sa
ceinture à quatre lignes témoigne d’un rang social élevé.
Habituellement en bois ou en pierre, ce cercueil est en
terre cuite et appartient au début de la période byzantine, pratique assez
répandue en Anatolie à partir du 7e siècle avant notre ère, mais qui
s’est raréfiée au cours des siècles suivants.
A l'entrée du musée, des pierres tombales en forme de moutons ou béliers datées du 10 au 12e siècle, sans autre précision. La symbolique du bélier est probablement liée à la culture nomade des tribus turkmènes
Akkoyunlu et Karakoyunlu qui ont dominé un temps la région, mais les sculptures
semblent trop précoces pour y être rattachées. A noter que les lieux de
découvertes de ces tombes sont liés à des zones d'implantation de la population
alévie et qu’il serait intéressant d’étudier le lien avec leur culture. Mais dans cette hypothèse non plus, la datation affichée ne semble
pas compatible.
Au premier étage du musée se trouvent des témoignages des
massacres turco-arméniens, entre 1894 et
1896 sous le règne du sultan Abdülhamid II, puis ceux du printemps 1915 à l'automne 1916.
Avant de quitter la ville, une autre page d’histoire récente
est à voir au musée du Congrès et de la lutte nationale, qui héberge également le musée de peinture et
de sculpture d'Erzurum.
Dans cette bâtisse construite en 1881 pour abriter un établissement
d'enseignement et un centre culturel arméniens fermés en 1912, s’est tenu entre
le 23 juillet et le 7 août 1919 un congrès des cinq provinces orientales, présidé
par Mustafa Kemal Atatürk, préparant le congrès de Sivas et la ligne à suivre
dans la lutte pour l'indépendance.
Aujourd’hui Erzurum est la plus grande ville d’Anatolie
orientale. Elle accueille dans son université, créée en 1950, plus de 40 000
étudiants.
C’est aussi la plus haute, dominée par l’impressionnante
montagne de Palandöken. La station de ski attire les amateurs de glisse et le
tourisme constitue une source importante de revenus pour la ville.
Elle est bien sûr desservie par les lignes aériennes intérieures
que nous empruntons pour le retour à Istanbul.
Dans le hall au dessus de nos têtes, plane l’un des
appareils qui a servi dans la lutte pour l’indépendance.
Sources :
Tombes dans les medreses et hôpitaux seldjoukides d'Anatolie - Société historique turque
Medrese aux minarets jumeaux – ASYEP / Inventaire des
structures architecturales seldjoukides
Trois tombes, Encyclopédie TDV de l'Islam
Statue d’un Baba en pierre au musée d'Erzurum - arkeolojıhaber
Culture Karaz (Kura-Aras) tr.wikipedia
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