Par le biais de divers artefacts, l’exposition vise
à faire connaitre au public l’histoire des Hittites et de leurs héritiers. De
nombreux vestiges ont donné aux historiens la possibilité de reconstituer au
moins dans les grands traits, les territoires qu’ils ont occupés, leurs
langages et leurs écritures, leurs productions économiques et artistiques,
leurs croyances et pratiques funéraires ainsi que la conception et
l’organisation d’un système administratif, politique et social.
L’exposition montre quantité de moulages, un bon aperçu de l’adoption
de cette technique et de la photographie au service de l’archéologie et de la muséographie.
Moulage d'un lion portant des inscriptions hiéroglyphiques louvites. L'original provient du royaume de Gurgum (actuelle Kahramanmaraş en Turquie) et il est exposé au musée de la ville.
Mise en parallèle d’un grand panneau mural représentant la porte des lions d’Hattusa, et des vestiges similaires de Karkemish.
On comprendra l'importance de cataloguer les vestiges en découvrant les véritables puzzles en 3D des
originaux de Tell Halaf.
Entre les lignes des cartouches explicatives apparaît aussi une petite histoire de l’hittitologie. La compétition des pays
occidentaux pour s’imposer dans ce domaine est perceptible.
Qui a découvert quoi ? Il semblerait qu’au tout
début du 19e siècle un Suisse, Jean-Louis Burckhardt remarqua dans
la ville syrienne de Hama des signes hiéroglyphiques différents des caractères
égyptiens. Mais cette découverte n’eut pas de conséquences immédiates. Tout au
long du 19e siècle des missions de prospections furent entreprises
par des scientifiques. Charles Texier, archéologue
et architecte français, découvrit les vestiges de Boğazköy et les reliefs
rupestres de Yazılıkaya en 1834, sans parvenir à les identifier. William John Hamilton, géologue anglais découvrit Alaca Höyük et le monument de la fontaine Eflatun Pınar en 1836. Georges Perrot, archéologue
français, fournit en 1872 une description complète des reliefs rupestres de
Gâvur Kalesi, et des précédents, dans un ouvrage, Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie, publié
en collaboration avec Edmond Guillaume (architecte) et Jean Delbet (médecin).
A la fin 19e siècle, les découvertes archéologiques
suscitent toujours l’intérêt des Français, des Anglais et des Américains mais
aussi des Allemands dans
l’optique d’enrichissement des musées nationaux. Mais dans l’empire ottoman, on
commence à prendre conscience de l’importance de ce patrimoine culturel à
sauvegarder sur place. Dès 1883, Osman Hamdi Bey obtint la modification de la loi relative aux
antiquités et devint le responsable des fouilles menées sur le territoire. Il
fut le principal interlocuteur des étrangers venus entreprendre des missions
archéologiques à cette époque. La construction du musée impérial (actuel musée archéologique d’Istanbul)
était en chantier. Ceci explique la présence limitée des originaux au profit de
nombreux moulages dans les salles de l’exposition actuelle du Louvre, dont ceux
réalisés par Ernest Chantre lors des fouilles méthodiques qu’il entreprit avec
sa femme sur les sites hittites en 1893 et 1894. De nombreuses tablettes
d’argile couvertes d’écriture cunéiforme sont exhumées mais encore indéchiffrées.
Faute de pouvoir réunir les fonds nécessaires, il n’y aura pas de suite. La série
de moulages d’orthostates sera acquise par le musée du Louvre.
L’archéologue britannique, John Garstang, s’intéressera également
à ces sites de l’Anatolie centrale en 1907, et à d’autres sites plus au sud.
Une exposition retraçant son périple, photos à l’appui, a été présentée à Istanbul
en 2015.
Mais les scientifiques allemands entre en scène avec un
atout financier. Les industriels ont obtenu la concession pour la construction
du réseau ferroviaire ottoman et avec elle, les relations économiques et
diplomatiques s’intensifient.
Contrairement au British Museum et au musée du Louvre,
les musées de Berlin n’avaient pas de collections d’antiquités orientales. Les
recherches dans ce domaine sont encouragées pour remédier à cette lacune.
Ils obtiendront les autorisations et une première
campagne de fouilles en 1906 sera confiée à Hugo Winckler et à Théodore
Makridi. Otto Puchstein les rejoindra l’année suivante et sera fasciné par les
monumentales constructions.
Le décryptage par H. Winckler d’un texte en akkadien,
langue déjà connue, trouvé sur le site, permettra enfin l’identification de la
ville antique Hattousa.
Mais les signes cunéiformes consignaient aussi d’autres
langues sur les tablettes dont le hourrite et le sumérien, reconnaissables à
l’époque, et d’autres idiomes totalement inconnus. Le savant tchèque Bedřich
Hrozný put mettre en évidence le caractère indo-européen de ces langues et leur
relation avec d’autres langues bien connues, le sanscrit, le latin, le grec… A
partir de cette constatation, le décryptage pouvait commencer, grandement
motivé par l’étonnante découverte de la présence d’Indo-européens en Anatolie
au 2e millénaire avant notre ère.
Quant à l’impressionnant « butin » du baron Von
Oppenheim, prélevé sur le site de Tell Halaf, il indique que les précautions
prises un temps sous l’empire ottoman pour conserver le patrimoine
n’embarrassaient plus grand monde au début du 20e siècle.
Les deux conflits mondiaux ont évidemment interrompu provisoirement
les fouilles, mais elles avaient repris de façon plus élargie entre les deux
guerres.
Mustafa Kemal en personne ne tarda pas à se lancer dans
la compétition et ceci pourrait bien constituer une lacune de l’exposition,
muette sur le sujet.
Sur sa décision en 1923, le musée hittite est fondé à
Ankara, capitale de la toute jeune République, sur les hauteurs de la vieille
ville dans un ensemble architectural de deux édifices ottomans du 15e
siècle. (Il sera renommé musée des civilisations anatoliennes en 1967).
Quelques artefacts, prélevés lors des fouilles étrangères commencent à s’y
accumuler dans la louable intention de les préserver des dégradations. En 1935,
les archéologues turcs Remzi Oğuz Arik et Hamit Koşay fouillent les sites et de
nouvelles trouvailles viennent enrichir la collection.
Si à cette époque, quelques spécialistes commencent à
bien connaitre la civilisation hittite, sa zone géographique d’implantation et sa
langue identifiée comme appartenant au groupe linguistique indo-européen, il reste encore bien des points
à éclaircir. Et puis personne ne sait vraiment qui sont ces migrants
indo-européens ni d’où ils viennent. La question provoque cependant les passions des
occidentaux et l’élaboration de théories jusqu’aux dérives les plus sinistres.
Le sujet des origines ne se borne généralement pas à
assouvir une curiosité scientifique et entraîne souvent des considérations plus
politiques et idéologiques.
Le nouveau dirigeant de la Turquie ne manquera pas d’instrumentaliser
à sa façon, l’hittitologie naissante. La thèse que les Hittites ont pour
ancêtres des peuples turcs d’Asie Centrale sera développée et entrera dans les
livres d’histoire de la Turquie moderne. L’argument de la présence turque en
Anatolie précédant celle des Grecs et des Arméniens sera censé légitimer les
nouvelles frontières de l'État-nation et donc la souveraineté territoriale. Cette
interprétation aura les conséquences tragiques que l’on sait sur le cosmopolitisme.
Pour conclure, méfions nous des hypothèses archéologiques
brandies comme des justifications à s’octroyer l’exclusivité de territoires, de
techniques, de biens fabriqués ou construits dans le passé. L’archéologie,
quand elle n’est pas détournée de son objectif sert avant tout à comprendre que
l’histoire de l’humanité est une longue succession de migrations et de
métissages qui ont engendré de multiples civilisations apportant chacune son
lot au patrimoine mondial. Nous sommes tous des migrants et des métisses. Il n'est pas superflu de le rappeler.
Sources
Isabelle
Klock-Fontanille, Les débuts de l’hittitologie : le rôle de la science allemande
Jean-Paul Demoule, Mais où sont
passés les Indo-Européens ? Le mythe d’origine de l’Occident, Seuil 2014
François Djindjian, Le rôle de l'archéologue dans la société contemporaine
Ricardo
González Villaescusa, Le dessous des cartes de l’archéologie
François Georgeon, Atatürk invente la Turquie moderne
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