lundi 20 mai 2019

L’exposition du Louvre: Royaumes Oubliés. De l’Empire hittite aux Araméens

Evénement culturel d’envergure puisque pour la première fois en France, il réunit une sélection de collections, habituellement éparpillées au Musée du Louvre à Paris, au Metropolitan Museum of art à New York, au British Museum à Londres, au Musée national du Danemark à Copenhague, au Pergamonmuseum à Berlin, et au Musée des Terres Bibliques de Jérusalem, concernant les Hittites, Néo-Hittites et Araméens avec des vestiges trouvés sur les territoires actuels de la Turquie et la Syrie, datés de 1400 à 750 avant notre ère.


Plus d’un siècle de fouilles archéologiques a révélé sur une vaste zone géographique des vestiges, des objets, mais surtout quantité d’inscriptions hiéroglyphiques louvites gravées dans la pierre ou sur les 30 000 tablettes d’argile en écriture cunéiforme, retrouvées dans les ruines de leur capitale Hattusa, qui seront déchiffrées à partir de 1915 par Bedřich Hrozný, linguiste tchèque. Véritables archives relatant de grands événements royaux, des traités diplomatiques, des décrets, des instructions pour l’administration des temples, qui permettront aux spécialistes de reconstituer l’histoire du Proche-Orient pour cette période de la haute antiquité.

La carte ci-dessous, est une photo de la page 5 du magazine Dossiers d’Archéologie - Hors série n° 36, mai 2019

  
La première partie de l’exposition évoque l’empire hittite à son apogée, en Anatolie et jusqu’aux territoires de la Syrie actuelle.


Comme les vitrines contenant des artefacts prêtés par le Metropolitan museum ne sont pas autorisées à être photographiées, l’image ci-dessus provient d’une copie-photo de la page 35 du magazine Le Journal du Louvre - N°47 - Grande Galerie, printemps 2019. Ce rhyton en argent et or est un chef-d’œuvre d’orfèvrerie de la période impériale hittite.


Reproduction du détail de la frise décorant le col du rhyton en forme de cerf.

Une série de moulages exécutés par Ernest Chantre lors de sa première mission archéologique en 1893 à Alacahöyük (à proximité de Çorum, Turquie), reproduit les reliefs originaux (datés du 14 et 13e siècles avant notre ère) ornant les bases des tours d’entrées de la ville et encadrant des portes monumentales dont celle dite « porte des sphinx ». Ils font partie des collections du Musée du Louvre.


Un personnage assis, peut être la déesse du soleil d’Arinna


Scènes de rituels lors des processions religieuses donnant lieux à des compétitions sportives, des cérémonies d’investiture avec remise d’objets symbolisant le pouvoir.


Prêtre reconnaissable à sa robe de cérémonie, menant des moutons et des chèvres au sacrifice.


Musicien tenant un instrument à cordes lors d'une procession du dieu de l’orage avec à sa suite un personnage tenant un animal, peut être un singe faisant partie des numéros de divertissements.


Le relief rupestre de Fıraktin (Fraktin) situé dans la province de Kayseri (Turquie) et daté du 13e siècle avant notre ère, a fait l’objet de moulages le décomposant en trois parties.


A gauche sur l’original, le Grand Roi Hattusili III dont le nom est écrit en hiéroglyphes louvites verse une libation devant un autel. Derrière l’autel, un dieu tenant une crosse, vraisemblablement le dieu de l’orage, Teshub, offre au roi un symbole de forme triangulaire qui est le signe du bonheur. Les deux personnages portant un bonnet pointu réservé aux dieux, il est probable que cette représentation fut exécutée par son fils et successeur Tudhaliya IV, signifiant ainsi que son père est mort et divinisé conformément à la croyance hittite.


La scène du milieu représente la Grande Reine Puduhepa, versant une libation à la déesse du soleil, Hepat. Sur l’autel entre la reine et la déesse, on distingue un oiseau de proie (aigle ?) intermédiaire entre les dieux et les hommes.


La troisième partie est gravée de hiéroglyphes louvites qualifiant Puduhepa : « Fille du pays de Kizzuwatna, aimée des dieux ». Cette précision peut se comprendre comme l'intervention de la reine dans une déclaration de diplomatie politique confirmant les liens avec des territoires conquis.

Au passage, petit rappel chronologique : Toutânkhamon (-1345, -1327) est le contemporain du roi Suppiluliuma Ier (qui règne vers -1350,-1320).  




Quelques vitrines et panneaux explicatifs attestent des relations entre les souverains hittites et égyptiens.
 
L’influence de la culture hittite s’est propagée dans les territoires conquis :








La deuxième partie de l’exposition s’intéresse aux conséquences de l’effondrement brutal de l’empire hittite. Après l’abandon et la destruction de la capitale Hattusa et l’installation des Phrygiens sur les territoires de l’ancien royaume, les descendants des Hittites entretiendront  l’héritage culturel et administratif dans les petits états éparpillés au sud-est :  
Karkemish, Melidiya (Arslantepe, Malatya), Gurgum (Karamanmaraş), Tabal et Kummuh (Samsat höyük) ont perpétué les traditions de sculptures monumentales et des reliefs inscrits en hiéroglyphes louvites jusque vers 950 avant notre ère.


La carte ci-dessous est une photo de la page 10 du magazine Dossiers d’Archéologie - Hors série n° 36, mai 2019


Karkemish semble avoir plus particulièrement dominé cette période


Moulage d’un orthostate représentant une créature hybride. 1000/900 avant notre ère. British Museum, Londres.


Moulage d’un orthostate représentant la déesse tutélaire de la ville de Karkemish, Kubaba. Elle porte une coiffe cylindrique à cornes et tient deux de ses attributs traditionnels : le miroir (ici manquant) et la grenade. Plâtre peint d’après l’original en basalte. 1000/900 avant notre ère. British Museum, Londres


Jambage de porte en basalte flanquant la porte nord d’un bâtiment situé en haut du grand escalier de l’aire cérémonielle. Il est recouvert de signes hiéroglyphiques louvite mentionnant le nom du souverain Katuwa qui a fait rédiger une prière à Kubaba dont il vente les mérites et pour laquelle il fait reconstruire le temple qui lui était dédié. Vers 900 avant notre ère. British Museum, Londres


Moulage d’une base de colonne ornée de deux lions mugissant découverte par Leonard Woolley devant l’entrée du temple de Kubaba. Vers 925 avant notre ère. British Museum, Londres.


Stèle en basalte représentant la déesse Kubaba, coiffée d’un polos L’inscription hiéroglyphique comporte la dédicace d’un grenier voué à la déesse. Le disque solaire qui la surplombe rappelle l’héritage de la sculpture impériale hittite. La stèle provient de Birecik aux environs de Karkemish.  900/800 avant notre ère. British Museum, Londres


Stèle de Tarhunpiya: la stèle funéraire en basalte (au centre de la photo) représente un jeune homme debout vêtu d’une tunique frangée. Il tient un oiseau de proie utilisé pour la chasse dans sa main gauche et un calame dans sa main droite. Ces attributs attestent de son rang aristocratique. La présence de l’écritoire fait référence à l’écriture araméenne. L’inscription nous renseignant sur son identité : Tarhunpiya, est en hiéroglyphes louvites et semble témoigner d’une transition culturelle. Une femme assise l’entoure de ses bras dans une attitude affectueuse. Sa mère probablement. Accueille-t-elle dans l’au delà son fils défunt selon les rituels hittites ou a-t-elle fait graver la stèle pour honorer sa mémoire ? Provenance Karamanmaraş, Turquie, antique royaume de Gurgum, 800/700 avant notre ère. Coll. Musée du Louvre.


Sur le site syrien de Tell Ahmar, une stèle en basalte a été retrouvée lors des fouilles dirigées par F. Thureau-Dangin et A. Barrois en 1928. Elle est datée d’environ 900 avant notre ère. Le relief principal représente Tarhunza, le dieu de l’orage sous un disque solaire. L’iconographie combine des éléments hérités de traditions hittites, égyptiennes, syriennes et mésopotamiennes. Sur les autres faces, des inscriptions en langue et hiéroglyphes louvites, furent rédigées par Hamiyata, quatrième roi de la dynastie du royaume de Masuwari. Il se présente comme le serviteur du dieu Tarhunza et évoque également les dieux mésopotamiens Sin et Ea, ou encore la déesse hittite de la fertilité Kubaba, figure tutélaire de Karkemish. La suite du texte évoque la stèle elle-même que le roi destinait à être placée parmi les dieux c'est-à-dire dans un lieu de culte. Coll. Musée du Louvre

Au 10e siècle avant notre ère, les Araméens, peuple nomade connu depuis le siècle précédent, pénètrent l’espace et se fixent dans les territoires de la Syrie et jusqu’au sud-est anatolien afin d’y fonder des royaumes. Les souverains utilisent d’abord les hiéroglyphes louvites ou le phénicien pour graver les inscriptions sur leurs monuments, puis l’écriture araméenne, alphabétique et cursive s’impose et se diffuse aux régions voisines.
Sam’al sur le site de Zincirli höyük (à proximité de Gaziantep) a livré de nombreux vestiges d’une ville prospère, capitale d’un de ces petits royaumes araméens.


Moulage d’une statue de Lion


Stèle en basalte représentant un roi Kulamuwa ou Panamuwa II ou Barrakib. Prêt du Staatliche Museum zu Berlin, acquis suite aux fouilles de F. von Luschan en 1902


Une importante partie de l’exposition est consacrée au tragique destin des vestiges (1000/800 avant notre ère) de Tell Halaf, Guzana, cité d’un autre royaume araméen, Bit Bahiani au nord de la Syrie, découverte par le baron von Oppenheim au début du 20e siècle.
Les fouilles seront autorisées par les autorités ottomanes et le somptueux palais du roi Kapara sera dégagé. Mais la 1ere guerre mondiale viendra interrompre les fouilles qui ne pourront reprendre qu’en 1927. Entre temps, les vestiges exhumés ont bien souffert. Max von Oppenheim fait acheminer une grande partie des reliefs préservés à Berlin pour que cette précieuse collection soit conservée. Il l’installe dans une ancienne fonderie et fait disposer les blocs de pierre de façon à reproduire une partie du palais. Le musée accueille le public dès 1930 et il continue de s’enrichir de nouvelles pièces. Mais en novembre 1943, une bombe au phosphore larguée par les Alliés provoque un incendie. L’eau froide sur le  basalte surchauffé sera fatale à l’intégrité des sculptures et orthostates qui explosent en de multiples fragments, 27 000 exactement qui seront entreposés au Pergamon Museum. En 2000 commencera un long et patient travail de tri et d’identification des morceaux. Dix ans plus tard une centaine de sculptures auront été reconstituées et seront exposées au Pergamon Museum. Ce dernier actuellement en rénovation, en a prêté une importante sélection au musée du Louvre pour cette exposition. 







Dont la fameuse statue funéraire de la déesse trônant (qui n’est peut être pas une représentation féminine)
 
Le parcours s’achève sur la fin d’une époque, alors que se profile déjà l’arrivée de nouveaux conquérants, les Assyriens, qui ne se contenteront plus de disséminer leurs comptoirs commerciaux.




Arslan tash, ancienne Hadatu araméenne deviendra cité assyrienne. Les deux taureaux de l’entrée du temple viennent en témoigner par un artifice artistique propre à la représentation assyrienne. Ils ont cinq pattes de façon à les percevoir à l’arrêt de face, et en marche de profil. L’une des sculptures porte une inscription, dédicace du souverain Tiglath Phalasar III (745-727 avant notre ère) à la déesse Ishtar. 

Une autre stèle du dieu de l’orage, grimpé sur un taureau, brandissant ses attributs climatiques symbolise parfaitement les sept siècles que l’on vient de parcourir en quelques heures de déambulation dans les salles de l’exposition. Les héritages culturels se transmettent, s'assimilent, puis se modifient... Et l'histoire continue.


Les légendes sous les photos illustrant ce texte sont largement inspirées des fiches explicatives accompagnant chacun des objets exposés.   
Musée du Louvre du 2 mai au 12 août 2019 : « Royaumes Oubliés. De l’Empire hittite aux Araméens ».

Sources:
Les grands traits de l'histoire hittite, Hatice Gonnet, Hittitologue. Chargée de recherche au CNRS. Chargée de cours à l’École du Louvre
Déchiffrage des écritures:  Hrozný, le « Champollion tchèque »
Dossiers d’Archéologie - Hors série n° 36, mai 2019
Le Journal du Louvre - N°47 - Grande Galerie, printemps 2019  

   

1 commentaire:

  1. Magnifique exposition, très riche et de très belles photos, merci pour la visite Pat !

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