samedi 21 avril 2018

Aşıklı Höyük, site néolithique en Cappadoce


Curieusement ce site néolithique n’est au programme d’aucun circuit et absent de tous les dépliants, cartes et autres publications concernant la Cappadoce, région de Turquie si prisée des touristes autochtones et étrangers. Pourtant il n’est qu’à 8 km de Selime et de la vallée d’Ihlara et borde en aval de ces sites la rivière Melendiz qui a creusé le canyon apprécié des randonneurs.


Pas assez spectaculaire sans doute, il n’arrive pas à concurrencer les églises rupestres nichées dans les parois verticales de la gorge toute proche, ni les mystérieuses villes souterraines et les étonnantes cheminées disséminées à quelques dizaines de km.

Depuis Aksaray, en direction de la vallée d’Ihlara, il suffit cependant de parcourir 25 km et de faire un petit crochet vers le village Kızılkaya pour trouver facilement le site Aşıklı Höyük.


L’endroit est désert, le portail fermé, mais le gardien s’approche et nous propose aussitôt de nous accompagner pour la visite. Nous grimpons sur la butte recouverte en partie de toiles blanches protégeant des vestiges qui attendent l’arrivée prochaine des équipes, en été. 




D'autres sont à découvert.



Au passage on remarque en bordure du tertre excavé les strates découvrant l’empilement des reconstructions successives.



Une structure couvre une autre partie des zones fouillées.


Découvert par Edmund Gordon en 1963, et prospecté par Ian Todd en 1964-65, les véritables investigations archéologiques n’ont commencées qu’en 1989. Rapidement les datations au carbone 14 ont révélé la présence d’une occupation remontant à plus de 10 000 ans. Les recherches ont témoigné d’un peuplement sédentaire entre 8200 et 7500 avant notre ère, d’habitations néolithiques (antérieurs à Çatal Höyük, 7400 et 6000 avant notre ère) et des prémices de mutations progressives du mode chasseurs-cueilleurs au mode agro-pastoral dans le niveau 2 qui correspond au 8e millénaire.  

Les fouilles ont été dirigées par plusieurs archéologues de l'université d'Istanbul : Ufuk Esin jusqu'en 2001 puis Nur Balkan Atlı jusqu'en 2003. Depuis 2010 Mihriban Özbaşaran a pris le relais.
Les niveaux d’occupation qui se succèdent sur plus de mille ans et 15 m de stratigraphie ont été définis du plus récent (1) au plus ancien (4).
Le niveau 4, le plus récemment mis à jour et concernant comme le niveau 3 des constructions du 9e millénaire avant notre ère, témoigne d’un changement majeur dans le domaine architectural. Les abris circulaires creusés dans le sol, consolidés de briques crues sur une faible hauteur et recouverts d’un toit de paille sont délaissés pour des constructions en surface de forme rectangulaire et constituées de briques crues superposées.



Ces habitations, comme le montre la reconstitution d'un quartier domestique à l’entrée du site, sont agglutinées par 5 ou 6 et ne comportent qu’une petite pièce ou deux d’environ 12 m2 et sont reliées les unes aux autres par des ouvertures. Il n'y a pas de porte donnant sur l'extérieur mais probablement en hauteur des petites ouvertures carrées d’une vingtaine de cm laissaient filtrer un peu de lumière.  L'accès se faisait probablement par les toits, à l’aide d’échelles de bois comme à Çatal Höyük.




A l’intérieur dans un coin, on trouve fréquemment un foyer et parfois une sépulture creusée dans le sol, dans laquelle ont été inhumés un ou plusieurs corps souvent en position fœtale, indistinctement homme, femme ou enfant. Environ 70 ont été retrouvés dans les 400 structures fouillées. On ne sait pas ce qu’il advenait des autres défunts de la communauté. (Le squelette de la photo est une reproduction en plastique se trouvant dans une habitation reconstituée)



Les pièces sans foyer étaient peut être utilisées pour le stockage de viande, de graminées, mais rien ne le confirme.


Les quartiers sont séparés par des allées étroites mesurant au plus 1 m et par des cours intérieures un peu plus larges où devaient se regrouper les habitants pour leurs diverses activités quotidiennes. Préparation et prise des repas, fabrication d’outils, boucherie, travail des peaux d'animaux, débitage de bois, vannerie...


Deux autres constructions beaucoup plus vastes, nommées HV et T, datée du 8e millénaire avant notre ère, sont à observer sous la structure de protection. Leur fonction visiblement particulière n’a pu être déterminée pour le moment mais il n’y a aucun doute sur un usage d’une grande importance au vu des soins apportés à la construction et de son entretien régulier. Certains murs sont construits en pierre, et on note la présence de peintures sur plâtre.








Les fouilles ont permis la collecte d’un matériel d’étude conséquent dont on peut voir bon nombre de pièces au musée d’Aksaray.
L’outillage est constitué principalement de racloirs, grattoirs, pointes de flèches en obsidienne provenant de gisements des pentes de la montagne Göllüdağ toute proche, mais également en os et en bois de cervidé.
Des parures ont été retrouvées dans les sépultures. Essentiellement les perles de colliers et bracelets faites de dents d’animaux percées, mais aussi en pierres et pierres semi-précieuses et même en cuivre battu à chaud ou à froid pour l’aplatir puis le couper, le rouler ou le torsader. Prémices de métallurgie, les premiers attestés dans la région.
Un fragment de bracelet en obsidienne découvert en 1995, d’une grande précision technique et d’un polissage presque parfait, étudié par les laboratoires de l’École Centrale de Lyon et de l’École Nationale d'Ingénieurs de Saint Etienne a été sous le feu des projecteurs médiatiques il y a quelques années. 

Le crâne d’une jeune femme a révélé une pratique de trépanation à laquelle elle aurait survécu au moins quelques jours.
Seules quelques très rares figurines d’animaux en terre crue ou cuite ont été retrouvées dans le niveau 2, confirmant une culture encore largement acéramique.        

Une économie de subsistance est attestée : la chasse de moutons, chèvres, bœufs, sangliers, chevaux, cerfs et lièvres constitue encore le moyen d’approvisionnement carné mais le parcage de ces animaux de forme sauvage et l’utilisation du fumier ont laissé des traces visibles dès le niveau 4 tandis que des premières tentatives de domestication apparaissent dans le niveau 2.
Si la cueillette est encore la principale source d’alimentation en végétaux, des indices de domestication du blé apparaissent aussi dans la dernière période d’occupation. Certains outils en obsidienne ont servi à moissonner des plantes sauvages ou cultivées. La production de céréales n’est pas prouvée sur le site mais il se peut sa consommation provienne d’une autre région. Des pierres à moudre témoignent d'une fabrication de farine.


Aşıklı Höyük racontent en détail la vie quotidienne de ses habitants à l’aube de la sédentarisation et redéfinit les caractères locaux témoignant d’une véritable révolution qui va se confirmer et se propager au cours du millénaire suivant. La population n’aurait jamais excédé plus de quelques centaines d’individus.


A notre départ le gardien referme soigneusement le portail et nous remercie de notre visite. Il est 17h. Sa journée est finie, il n’y aura plus d’autres visiteurs.
Demain peut être un car scolaire apportera son lot d’élèves chahuteurs, qu’un enseignant motivé tentera d’intéresser aux balbutiements d’un processus qui aboutira au développement des civilisations. 


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