Au tournant des 19e et 20e siècles,
dans le foisonnement artistique de Montmartre, essentiellement masculin, une
figure féminine a réussi à se faire une place dans le paysage. En témoigne
aujourd’hui l’atelier-appartement reconstitué au 12, rue Cortot que Suzanne
Valadon (1865-1938) occupa dès 1896 avec Paul Mousis son premier mari, ami du
compositeur Eric Satie, puis à partir de 1912 avec son fils Maurice Utrillo, et
son compagnon André Utter.
La Chambre bleue, huile sur toile, 1923 |
L’affiche de l’exposition reproduit un détail du tableau. Sur le thème des odalisques alanguies, Valadon en propose une représentation qui s’en éloigne radicalement. Une femme habillée d’un vêtement
confortable est nonchalemment alongée et sa posture évoque un moment de détente juste pour elle-même et
non pour plaire ou être admirée.
Modèle recherché de peintres célèbres, elle ne se
contenta pas de poser pour Puvis de Chavannes, Auguste Renoir, Henri de
Toulouse-Lautrec, et bien d’autres dès ses 14 ans, mais s’appliqua à observer
attentivement les maîtres.
Edgar Degas apprécia ses dessins et l’encouragea dès 1883.
L’exposition qui lui est consacrée à Beaubourg jusqu’au
26 mai 2025, retrace le parcours singulier de l’artiste en marge des courants
artistiques de son époque.
Dessins et peintures, près de 200 œuvres ont été réunies
pour témoigner de son attachement à la représentation du réel à travers des
autoportraits, des compositions mettant en scène sa famille, ses amis et
connaissances sans complaisance. Beaucoup appartiennent aux collections
nationales, notamment celle du Centre Pompidou, du musée d’Orsay et de
l’Orangerie. Des prêts exceptionnels du Metropolitan Museum of Modern Art de
New York, de la Fondation de l’Hermitage et de quelques collections privées viennent
compléter la présentation.
Mon portrait, 1894, encre de Chine sur papier,
collection musée de Montmartre
Ses premières peintures seront réalisées à partir de 1892
dont ce portrait du compositeur et pianiste Eric Satie réalisé en 1892-93.
Après six mois de relation passionnée la séparation du couple inspire au
musicien une partition obsédante, Vexations,
retrouvée à son domicile après sa mort.
Suzanne Valadon observe les personnes qu’elle côtoie au
quotidien, et brosse ainsi les portraits de son fils et de sa mère, de sa nièce
Marie Coca et sa petite nièce Gilberte.
Portrait de famille, huile sur toile, 1912.
Valadon est elle-même au centre de la composition entourée de sa mère, de son
amant André Utter et de son fils Maurice Utrillo.
Grand-mère et petits fils, huile sur carton, 1910
La poupée délaissée, 1921 et Marie Coca et sa fille Gilberte, 1913
Adam et Eve, huile sur toile, 1909. Ce
tableau représente l’artiste et André Utter. La ceinture de feuilles de vigne
fut rajoutée plus tard à la demande des organisateurs du Salon des Indépendants
en 1920.
La Venus noire, huile sur toile, 1909 .
Sans trace d’exotisme ni de condescendance, le corps athlétique de la femme est
représenté dans la posture fière d’une déesse romaine.
Le Lancement du filet, 1914, toile
monumentale rappelant dans sa composition La
Danse de Matisse, et étude préalable au fusain sur papier calque.
Suzanne Valadon peint des nus en sortant des carcans
sociaux et artistiques, artiste masculin/ modèle féminin nu. Elle peint des
corps féminins et masculins pour eux-mêmes et non pour le désir d’un spectateur
voyeur.
En parallèle quelques toiles d’autres artistes, suggèrent
les influences artistiques de Valadon
La composition de Valadon : La Joie de vivre, 2011, au titre inspiré de la toile de Matisse
réalisée en 1905
La Petite Fille au miroir, huile sur toile,
1909
Autoportrait aux seins nus, huile sur toile, 1931
La notoriété, reconnue par les marchands et la critique,
se précisant à partir de 1920, Suzanne Valadon entame une série de portraits de
personnes de son entourage.
Portrait de Nora Kars, une amie ;
Portrait de Germaine Eisemann, 1924, son élève ;
Portrait de Miss Lily Walton, huile sur toile, 1922,
Femme à la contrebasse, huile sur toile,
1915
Plus rarement, quelques hommes qui ont compté dans sa vie
comme le Dr Robert Le Masle, Louis Moyses, Paul Petrides et un voisin
montmartrois, ami d’Utrillo, le chimiste Richmond Chaudois.
Portrait de Richmond Chaudois, huile sur
toile, 1931
Portrait de Maurice Utrillo, 1921, son fils, tenant fermement une palette et un
piceau sous le regard d’une mère.
Elle a peint aussi des natures mortes, des bouquets et
des paysages aux couleurs vibrantes.
La Boite à violon, 1923. On reconnait à
l’arrière plan une partie de son grand tableau Le Lancement du filet qui permet d’identifier le lieu comme
l’atelier de Valadon.
Vase de fleurs, huile sur toile, 1934
Le Jardin de la rue Cortot, 1928
Valadon se décrivit ainsi à l’historien de l’art Germain
Bazin : "Formation : Libre -
Talent inné, exceptionnellement douée. Principales étapes de la vie artistique
: Dessina dès 1883, ses débuts, comme une enragée, non pour faire de beaux
dessins pour être encadrés, mais de bons dessins pour surprendre un instant de
vie, en mouvement, tout en intensité."
Sans doute l’une des dernières occasions de voir une
exposition à Beaubourg avant longtemps, puisque la fermeture du Centre Pompidou
pour cinq années de rénovation/restauration est programmée en septembre 2025.
Pas sûr que la place Igor Stravinsky toute proche soit
encore accessible dans ce contexte. Autant ne pas attendre pour y admirer la
fontaine et ses sculptures métalliques colorées et animées, créations en 1983 de
Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle évoquant les compositions du musicien, ainsi
que plusieurs œuvres d'art urbain ultérieures, Chuuuttt !!! Pochoir de Jef Aérosol ; Knowledge + Action = Power de Shepard Fairey alias OBEY; et la plus
grande mosaïque d’Invader réalisée à Paris.
Sources
Et les fiches muséales de l’exposition
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