jeudi 7 novembre 2024

« We are Here » au Petit Palais

 
Des représentants internationaux de l’art urbain qui déploient leur talent depuis des années, voir plusieurs décennies, l’affirment : « Nous sommes là ». Et le public a répondu : nous aussi, justifiant une prolongation de l’évènement jusqu’au 19 janvier 2025.
Pourtant le Street art au Petit Palais, ressemble à un oxymore. Incompatibilité des mots rue et institution culturelle. Contradiction des concepts éphémère / pérenne, marginalité / notoriété, contemporain / classique… Mais peut être pas autant qu’il n’y parait !


Alors, quand les températures hivernales commencent à rafraichir les rues de Paris, que les flâneries se font plus rares, tarissent les occasions de partir le nez en l’air à la recherche des dernières œuvres qui auraient pu fleurir sur les murs de la capitale, l’alternative peut s’avérer attrayante. D’autant plus que sous les hauts plafonds majestueux se trouvent aussi bien des œuvres empruntées aux collectionneurs que d’autres spécialement réalisées pour l’événement.
Certes délocalisées de leurs lieux de création habituels mais au chaud et à l’abri des intempéries, sur d’autres murs, les visiteurs peuvent prendre le temps de les découvrir.
Plus qu’une exposition, une exploration est ici proposée car si certaines, monumentales, s’affichent sans retenue, il faut quand même être attentif pour en découvrir d’autres, immergées parmi les collections permanentes, s’intégrant si parfaitement qu’on les croirait là depuis longtemps, ainsi le tableau de DaBro intitulé "Châtelet-les-Halles". Il représente un danseur hip-hop dans la nuit à la façon des scènes de genre du 19e siècle accrochées près de lui, mettant en évidence la place de l’artiste témoin de son époque.
Sous les plafonds en boiseries ou sur des consoles d’autrefois, dans le dédale des galeries du Petit Palais, égarons-nous dans ce jeu de piste.


Une bombe aérosol géante, symbole de l’art urbain, surgie du sol en mosaïque, impose d’emblée sa présence avec insolence.



On reconnait les ailes du casque d'Astérix, signe distinctif adopté par D*Face, dont il a affublé plus loin les bustes facétieux de la reine d’Angleterre et de Beethoven tirant la langue aux visiteurs. Les enfants y sont particulièrement réceptifs. L’impertinence fut appréciée d’Elvan, mon petit fils, grand amateur de grimaces, bien surpris d’en voir une démonstration au musée.


Devant sa sérigraphie "AR15 Lotus" Shepard Fairey (Obey) a installé une sculpture monumentale, une variante avec cette fois un lys jaillissant du canon d’une arme automatique ravivant de bien mauvais souvenirs, et incarnant cependant un engagement pacifiste.


La sculpture en bois et résine de Cléon Peterson (2024) évoque la menace cyclique des pouvoirs politiques autoritaires, tandis que dans une autre salle consacrée à la République, les artistes donnent leur interprétation des dangers qui la guette, injustice, terrorisme, racisme et autres plaies générées par l’intolérance.


Seth présente « La Tour de Babel », un empilement de livres au sommet duquel un enfant atteint un plafond arc-en-ciel. Livres anciens et résine, peinture acrylique et socle en chêne, 2018/2024.


Et il reprend le thème de l’enfant lecteur avec le Petit Prince perché sur un globe constitué de livres. « Enfant, les livres me faisaient voyager. Les images des écrans ne remplaceront jamais le pouvoir des mots ». Très juste, mais on peut saluer la force évocatrice des illustrations de l'artiste.


A l’emplacement du Petit Palais se trouvait au 19e siècle le palais de l'Industrie et des Beaux-arts, un édifice construit pour l'Exposition universelle de 1855 et détruit en 1896. En 1863, une vaste salle avait accueilli les artistes de l’avant-garde exclus des cercles académiques. Reconnus comme des maitres aujourd’hui, Courbet, Renoir, Manet, Pissarro, Sisley, et bien d’autres n’ont pas toujours été les bienvenus dans les salons officiels!
La salle Concorde constitue comme une réplique en hommage à l’ancien « Salon des refusés » désigné ainsi par le public et la presse de l’époque.



 
Y sont accrochées façon pêle-mêle, comme autrefois dans ces lieux historiques, les œuvres d'artistes venus des quatre coins du monde, Invader, Seth (France) ; D*Face, Hush (Royaume-Uni) ; Shepard Fairey alias Obey, Cleon Peterson, Swoon (Etats-Unis), Vhils, Add Fuel (Portugal), Inti (Chili), DaBro (Tunisie) ou Conor Harrington (Irlande).


Les alias d'Invader, répliques de ses « space invader », voyagent un peu partout comme à leur habitude, parfois au-dessus des toiles de maîtres, tel un clin d’œil sur soleil couchant de Claude Monet par exemple.



Sous La Couronne de la Nuit (2008), lustre contemporain de Jean-Michel Othoniel resté sur place après son exposition en 2021, l’escalier se pare des couleurs pastels des carreaux de céramique d’Add Fuel évoquant les azulejos portugais.

Mais ne nous y trompons pas, cette mosaïque colorée, se jouant de la diversité des styles et des influences, sous des apparences désinvoltes parfois, aborde les sujets les plus sérieux de l’actualité.

Commissaire de l’exposition, Mehdi Ben Cheikh, galeriste franco-tunisien d'art urbain et d'art contemporain, directeur et fondateur de la Galerie Itinerrance à Paris et Annick Lemoine, directrice du Petit Palais.
Entrée libre et gratuite du mardi au dimanche de 10h à 18h.
 

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