jeudi 22 août 2024

L’art verrier à Beykoz

 
Beykoz est un quartier d’Istanbul situé sur la rive asiatique du Bosphore. Une tradition verrière le caractérise depuis plus de deux siècles. Un premier atelier fut créé à la fin du 18e siècle sous le règne de Selim III qui invita des verriers vénitiens à partager leur savoir-faire. Une époque où ces maîtres verriers étaient très sollicités aussi par les souverains européens.


A Beykoz émergèrent alors les premières productions du style «çeşm-i bülbüller» que l’on peut traduire par le poétique  « Rossignols de la fontaine ».


Une fabrique impériale de verre et de cristal fut établie dans ce quartier au 19e siècle mais l’origine du  bâtiment abritant le musée du verre et du cristal depuis avril 2021 n’est pas industriel. Il fut construit pour Abraham Pacha, fonctionnaire et diplomate ottoman d'origine arménienne, ami du sultan Abdülaziz (r:1861-1876) dont il fut un temps le vizir. Pavillons, volières, bassins, théâtre et écuries apparurent sur les terres du Pacha, avant qu’il ne soit complètement ruiné en 1898.
Dans les écuries, bâtisse en pierre en forme de U qui seule a survécu, la fabrique impériale y installa des ateliers. Plus tard il est probable que le bâtiment ait servi de bureaux administratifs et salles d’exposition pour la verrerie Paşabahçe-Şişecam, l'un des tout premiers centres industriels de la période républicaine, créé le 17 février 1934, financé par İş Bankası, à la demande d’Atatürk.
La fabrique, symbole républicain, a fermé ses portes en 2002 pour s’installer dans des locaux plus modernes et surtout plus adaptés à son développement commercial international. Ces vestiges industriels sont actuellement en cours de démolition.
En 2009 il semblerait qu’un premier musée du verre ait vu le jour, à l’initiative de la municipalité de Beykoz soutenue par le groupe industriel  Paşabahçe, dans ces écuries du 19e siècle dont l’histoire est désormais indissociable de l’art verrier turc.


La bâtisse a été récemment entièrement restructurée par la direction du département des Palais Nationaux pour en faire un vaste espace muséal permettant une présentation fluide des collections. Près de 1500 pièces d’art verrier sont réparties en 12 sections thématiques dans lesquelles on peut suivre les étapes de développement de l'art du verre turc mais également des œuvres uniques produites dans les plus prestigieuses verreries européennes pour les palais ottomans.

Pour commencer un peu d’histoire du matériau.
Les verres à l’état naturel sont d'origine volcanique. Ce sont des obsidiennes qui seront taillées par l’homme il y a environ 100 000 ans pour fabriquer des outils, des armes coupantes et parfois des bijoux. Les gisements étant en nombre limité, l’obsidienne faisait alors l'objet de troc.
Une première fabrication semble apparaitre en Mésopotamie vers 2350 av. notre ère. Une diversification des formes en verre moulé et tesselles de mosaïques est constatée lors de fouilles archéologiques en Mésopotamie, Egypte, Syrie, et Anatolie à partir de 1500 av. notre ère.
Une nouvelle technique, celle du verre soufflé est attestée vers le milieu du 1er siècle av. notre ère par la production de verriers syriens. Technique développée et améliorée par les romains à partir du 1er siècle.


Matières premières, moules, pinces, cannes de soufflage et colorants utilisés dans la production.



Retrouvée presque intacte lors des fouilles de 1966 réalisées au palais ruiné de Kubadabad à Beyşehir, cette assiette unique, réalisée selon la technique du soufflage libre, décorée d'émail et de dorure, a pu être datée grâce à l’inscription en calligraphie sülüs souhaitant au sultan seldjoukide Giyaseddin Keyhüsrev (r :1237-1246) santé et appétit. On y distingue également une bordure végétale stylisée.


D’autres fouilles se poursuivent depuis 1980 dans ce palais construit pendant le règne d’Alaeddin Keykubad (r:1221-1236) et on y a retrouvé quantité de céramiques colorées mais aussi d’autres pièces en verre. Ici des gobelets et des verres à pied.



Contrairement aux vitraux occidentaux dont les morceaux de verres colorés ou non sont assemblés avec du plomb, les revzen, vitraux orientaux, ont un assemblage en plâtre. Ils étaient utilisés dans l’architecture religieuse ou civile.


La reproduction d’une miniature extraite de l’ouvrage Surname, livre de la fête de la circoncision impériale consacré tant aux préparatifs qu’aux festivités données à l'occasion de la circoncision du prince Mehmed, fils du sultan Murat III, qui durèrent 52 jours et 52 nuits en 1582, illustre ici la parade de la guilde des verriers. Le sultan, en compagnie de divers personnages assis dans la galerie des spectateurs, assiste au défilé qui se déroule sur la place de l’hippodrome depuis un balcon fermé de la salle d'audience du palais d'Ibrahim Pacha. Les verriers présentent des objets déjà réalisés, mais aussi les différentes étapes de la production du verre et les outils qu'ils utilisent ainsi que le four monté sur un chariot.
Lors des fouilles de sauvetage réalisées en 2004/2011 à l’occasion des excavations pour la station Sirkeci du Marmaray, une grande quantité de tessons de vaisselle de verre ont été exhumés correspondant à une fabrication de cette époque.


Lâledan et Gülâbdan, des formes spécifiques à la production ottomane du 16e et 17e siècles. Les premières sont des soliflores destinés à recevoir une seule tulipe et les secondes sont des flacons à eau de rose.


Une vitrine est consacrée aux verreries vénitiennes « vetro filigraneto » du 16e au 18e siècle.


En parallèle on peut voir dans une autre vitrine des exemplaires de pièces réalisées dans les ateliers de Beykoz, production influencée par les maitres vénitiens pour la technique, mais s’en émancipant pour les formes.  

Nous entamons ensuite un secteur de la visite plus sensible apparemment et la vigilance des gardiens se fait plus pressante pour rappeler que les photos sont interdites, alors qu’une certaine tolérance avait été accordée dans les salles précédentes.
Cela concerne principalement les arts de la table ottomane avec profusion de vaisselle en cristal, et divers objets décoratifs et précieux (lustres, vases, flacons, pichets et lampes à gaz…) produits localement ou spécialement par les plus prestigieuses cristalleries européennes (Baccara, Bohème, Murano) pour les palais ottomans. 
Les restrictions photographiques semblent décidemment se multiplier au fil des ouvertures de musées concernant la période ottomane. Ce fut le cas au pavillon de Maslak, mais de façon moins stricte au palais Yıldız dans la mesure  la circulation des visiteurs n'était pas ralentie. 
Il a fallu un peu de patience pour subtiliser discrètement celles qui suivent.


Des pièces uniques Art Nouveau, signées des artistes verriers Gallé, Daum et Lalique


Un lampadaire d’intérieur en fer forgé et verre illustrant une fable de La Fontaine, Le Renard et les Raisins. Début du 20e siècle.


Un piano en cristal, création de la manufacture Gaveau fondée en 1847 à Paris et une chaise en cristal de Bohème, 19e siècle.


La visite se termine sur un surprenant carrosse de fabrication française, signé Lelorieux – Paris, décoré de verres colorés qui fut utilisé par le sultan Mahmut II (r:1808/1839)


En sortant du musée on peut faire d'étranges rencontres. Deux pintades en promenade.


Le terrain qui entourait la propriété à sa construction a été en grande partie conservé avec ses 117 essences arboricoles pour certaines inexistantes dans la capitale ottomane et constitue un jardin botanique historique dans les allées duquel il fait bon prolonger la visite après une pause à la cafeteria du musée.


Adresse: Merkez Mahallesi, Mehmet Yavuz Caddesi, n° 115 ; Beykoz/Istanbul
Le musée est ouvert entre 9h et 18h, et fermé le lundi

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