mardi 30 juillet 2024

Le palais Yıldız, dernier palais de l'empire ottoman

 
Sur la colline Yıldız de Beşiktaş à Ortaköy, se trouvaient autrefois des bosquets, terrains de chasse prisés du sultan Soliman le Magnifique (r:1520-1566). Sous le règne du sultan Ahmet Ier (r:1603- 1617), ce lieu fut officiellement inclus parmi les jardins privés dédiés à la promenade. Ce n’est qu’au début du 18e siècle que le sultan Selim III (r:1789-1808) fit construire ici un manoir pour sa mère, Mihrişah. Un autre manoir fut édifié pendant le règne du sultan Mahmud II (r:1808-1839) pour Bezmialem, mère du sultan Abdülmecid (r:1839-1861). Celui-ci fit ensuite, selon la rumeur, réparer et rénover le manoir pour l’une de ses favorites nommée Yıldız Hanım. Le nom Yıldız y ferait référence. Le sultan Abdülaziz (r:1861-1876) fera construire des pavillons désignés Chalet (1870), Malte et Çadır, toujours présents dans le parc de Yıldız ouvert au public depuis 1950.
Mais toutes ces fréquentations bucoliques impériales n’auraient pas suffi pour ancrer les lieux dans l’Histoire.


Le palais acquiert sa dimension sous le règne du sultan Abdülhamid II (r:1876-1909) qui, craignant une attaque maritime, abandonne en 1889 le palais de Dolmabahçe situé en bordure du Bosphore pour s’installer en des lieux plus sécurisés.  Il a commandé au célèbre architecte italien Raimondo D'Aronco la construction de nouveaux édifices pour ce complexe impérial à la fois lieu de résidence et siège du gouvernement ottoman. Au cours de cette période, le complexe s’est déployé sur 50 hectares.
Contrairement au Palais de Dolmabahçe construit d’un seul tenant selon des standards occidentaux, celui-ci évoque la structure du palais de Topkapı avec sa juxtaposition de pavillons, sans recherche de symétrie, ni de puissance visuelle dans l’ordonnancement du plan architectural, mais se fondant plutôt dans le paysage derrière des murs protecteurs et divisé en cours selon la fonction des pavillons, d’apparence extérieure pour la plupart assez modeste.
Le complexe du palais Yıldız a perdu de son importance après la destitution du sultan Abdulhamid II en avril 1909, suivie de dégradations et pillages, mais il fut encore occupé sous le règne de Mehmed VI Vahdeddin, 36e et dernier sultan ottoman, jusqu'à l'abolition du sultanat en 1922.
Les bâtiments du palais furent ensuite attribués à l'Académie militaire puis cédés au Ministère de la Culture en 1978.
A partir de 1993 quelques visites furent momentanément autorisées mais ce n’est qu’en 2018 que commencent de vastes travaux de restauration sous la direction du département des Palais Nationaux en vue d’ouvrir les portes du palais Yıldız au grand public. Et pour ce faire, l’accès est gratuit depuis l’inauguration mi-juillet, jusqu'à fin août 2024. Inutile de préciser qu’une foule de visiteurs pas très disciplinée se presse pour découvrir les luxueux salons des pavillons. Mieux vaut s’y rendre le matin à l’ouverture pour une tranquillité relative.


Une fois franchi le sas de sécurité, le premier bâtiment sur la gauche présente sa façade arrière, c’est le selamlık, sorte de salle d’accueil des invités masculins en attente de prise en charge par un personnel compétant devant les guider vers le pavillon où ils étaient attendus. Il n’est pas accessible aujourd’hui.


L’entrée par laquelle commence la visite est un peu plus haut, grand portail dépourvu de toute fioriture.


En face, un premier bâtiment tout en longueur abritait les bureaux de l’état major. S’y trouve aujourd’hui, le personnel d’accueil et une cafeteria.


Sur la gauche un autre portail plus imposant donne accès à la seconde cour abritant entre autre le pavillon Petit Mabeyn, appartements privés du sultan.




L’accès de visite fait face à l’orangerie mais sa façade se distingue mieux depuis le jardin.




Le tapis a été réalisé à Uşak en 1894 et représente une carte des frontières de l'empire à cette date.


Salons, chambres et bureaux privés du sultan


  
La photo des personnalités en présence lors de la destitution du sultan Abdulhamid est postérieure à l’événement. Elle a servi de modèle au calife Abdülmecit qui a peint le tableau d’après cette photo en y ajoutant le sultan.



Le jardin paysager a été conçu dans un style dit de « jardin anglais naturaliste ».




Il présente un cours d’eau sinueux avec grottes et cascades, bassins, petits ponts de bois, barques et kiosques d’agrément, arbres aux essences rares et parterres fleuris. Sans la vigilance des gardiens, plus d’un visiteur serait tenté d’aller se rafraichir dans cette piscine de luxe !


Un chalet, Cihannuma kasrı, isolé à l’une des extrémités du jardin fait office de belvédère avec vue panoramique sur le détroit du Bosphore depuis son 3e étage, mais ne se visite pas.

Dans la première cour attribuée à l’espace public, face au bâtiment de l’Etat major se dresse la plus imposante bâtisse du complexe qui ne s’impose pas d’emblée au regard comme pour susciter la surprise et l’admiration.


Le grand Mabeyn fut construit en 1865 par les architectes de la famille Balyan pour le sultan Abdülaziz, comme résidence d’été. Le sultan Abdülhamid II en fit le lieu des réceptions officielles du pouvoir étatique et des relations diplomatiques avec les chefs d’Etats et les représentants des pays étrangers.


Salle de travail du grand chambellan


Divanhane ou salle du conseil, salon de réception des hauts dignitaires. Selon la tradition il comporte des fontaines. Le murmure de l’eau permettant de rendre plus discrètes les conversations. Un décor ostensiblement fastueux sert de vitrine au pouvoir impérial en perte de prestige et d’influence.


Situé à proximité du pavillon du Grand Mabeyn, le pavillon Çit, bâtiment d'un seul étage tout en longueur était aussi utilisé pour recevoir les hommes d'États étrangers. Avant d’atteindre la salle de réunion, ils devaient traverser une enfilade de salles exposant les collections personnelles du sultan qui se montrait très curieux des nouvelles technologies et inventions ainsi que des réalisations artistiques dans de nombreux domaines en particulier en ébénisterie dont il s’employait lui-même à fabriquer quelques meubles.

  
Ce bureau a été réalisé par Victor Aimone, sculpteur italien établi à Paris et porte le tuğra du sultan Abdülhamid II.
On y voit aussi les tentures, voilages et tissus d’ameublement de la manufacture impériale d’Hereke créée par Abdülhamid II et qui exportait une partie de ses productions en Europe.



Des pièces en faïence ou porcelaine provenant de la manufacture impériale créée également par le sultan dans l’enceinte même du palais afin de revitaliser l’art traditionnel de la céramique développé en Anatolie depuis des siècles, font partie du décor comme une sorte de showroom et attire l’attention des visiteurs d’aujourd’hui comme elles ont dû le faire à l’époque. Technologie et matériaux empruntés en partie aux manufactures de Sèvres et de Limoges, ces vases étaient appréciés en Europe et trouvaient leur place dans les expositions internationales.
Dans la grande salle de réunion se trouvent des joyaux de marqueterie ottomane aux incrustations d’ivoire et de nacre.


Un savoir faire ancestral adapté à des pièces d’ébénisterie dont volume et forme dénoncent  une influence occidentale, en particulier l'impressionnante table de réunion.

Le Musée du Palais est une grande galerie de 90 mètres de long où étaient exposés les objets de valeur. La bibliothèque bien conservée contient des ouvrages remarquables.




Traduction en turc ottoman du Shâh-Nâme (le Livre des Rois), commandée par Murat III au 16e siècle, célèbre ouvrage du poète persan Firdevsî, rédigé au 11e siècle pour relater la grande épopée persane et illustré de miniatures. 


Les cartes de Matrakçı Nasuh, mathématicien ottoman, traitent de la guerre safavide de Soliman le Magnifique de 1532-1555. Elles illustrent les villes rencontrées par l'armée ottomane alors qu'elle marchait d'Istanbul à Bagdad, puis Tabriz.


Seyyid Lokman, est un auteur ottoman de récits historiques dans le style Shâh-Nâme.

Les pavillons désignés sur le plan ne sont pas tous accessibles pour le moment, tels les appartements de l’eunuque noir en chef, les appartements de l’épouse du Sultan ni le harem, ni les logements des domestiques à leur service. Pas davantage le laboratoire photographique personnel du sultan. Peut-être le seront-ils en septembre, quand l’accès sera payant ?
Le complexe comprenait aussi une pharmacie, des hammams, un atelier de menuiserie, une forge, un atelier de serrurerie… Quant au théâtre que j’avais eu l’occasion de visiter il y a une vingtaine d’années, il n’est pas même mentionné sur le plan. Un gardien m’a confirmé son existence mais il serait encore en restauration.
Selon certains récits, le complexe abrita jusqu’à 12000 personnes, y compris les ouvriers des manufactures et des ateliers.
Le palais Yıldız fut conçu comme une petite ville modèle reflétant les visions économiques, sociales et culturelles en cette fin d'Empire ottoman.
 

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