La Turquie est, comme chacun sait, riche d’un patrimoine
culturel exceptionnel, et les occasions de se plonger dans le passé ne manquent
pas.
Plus on remonte loin dans le temps, plus les traces se
raréfient, non parce qu’elles n’existent plus mais parce qu’elles sont
enfouies. Les découvertes archéologiques sont souvent dues à des concours de
circonstances: une curieuse pierre affleurant du sol (Göbeklitepe), un vaste
tumulus attisant la curiosité (Çatal höyük, site néolithique), un chantier de
construction (port de Théodose à Yenikapı), l’exploitation d’une carrière de
travertins (crâne fossilisé de Kocabaş), etc…
Il y a des sites privilégiés que leur emplacement désigne
comme potentiellement intéressants pour les spécialistes. Des lieux
naturellement protégés de la dispersion par les éléments et qui sont donc plus
propices à la fossilisation.
Nul doute que la grotte de Karain, située à une trentaine
de km au nord d’Antalya, n’ait pas été choisie au hasard par le Pr I. Kılıç
Kökten, quand il y entreprit des sondages en 1946. Surplombant de 150m une
vaste plaine irriguée de nombreuses sources, elle avait pu offrir un abri aux
hommes préhistoriques dans un environnement favorable à la chasse et la
cueillette. Des études géo-morphologiques ont révélé l’existence d’un lac au pléistocène.
Des troupeaux d’animaux venaient donc s’y abreuver. Les chasseurs n’avaient
plus qu’à choisir le bon moment depuis leur observatoire.
Les hypothèses de Kökten furent confirmées et ses
trouvailles s’avérèrent bien plus conséquentes qu’il n’aurait sans doute osé l’espérer.
Il poursuivit ses prospections jusqu’en 1973 en prenant soin de délimiter une
sorte de puits, permettant d’identifier les différentes couches géologiques
contenant les restes archéologiques. Dépassés les inscriptions et les niches
antiques témoignant d’une activité cultuelle, les artefacts de l’âge de Bronze,
du chalcolithique et du néolithique, on arriva jusqu’aux traces du
paléolithique.
Des fouilles ont repris depuis 1985 avec une équipe
internationale sous la direction d’Işin Yalçinkaya et Harun Taskiran,
professeurs à l’Université d’Ankara.
D’après le prospectus offert à l’entrée, les études
pluri-disciplinaires de la chrono-stratigraphie ont révélé les traces
d’industrie lithique de toutes les périodes du paléolithique, avec les différentes
techniques de débitage (fabrication d'un outil à partir d'un caillou). Les plus
profondes donc les plus anciennes ayant été datées de 500 000 ans sont des
galets aménagés de type Oldowayen et des bifaces de type acheuléen.
Dans les niveaux correspondants au paléolithique moyen,
les outils sont plus diversifiés, plus effilés, et se déclinent en lames,
racloirs, pointes. C’est aussi là qu’ont été retrouvés quelques restes fossilisés
de Néanderthaliens (fragments de mandibule, vertèbres, fémurs et phalanges de
la main datés de 160 000 à 60 000 ans).
Dans les niveaux plus récents correspondant au
paléolithique supérieur (39 000 à 22 000 ans) ont été retrouvés des productions microlithiques et des outils en os, des perles et même une tentative de
sculpture sur un os d’animal représentant une tête humaine stylisée. Y sont
associés des restes humains, essentiellement des dents d’Homo sapiens.
Tous ces témoignages d’un passé très lointain, (environ
800 000 pièces !) collectés depuis de nombreuses années, ne sont
évidemment pas restés sur place, mais mis à l’abri dans les vitrines et les réserves du musée d’Antalya.
Malgré une position géographique unique entre l’Asie et
l’Europe, l’étude des peuplements paléolithiques
sur le territoire turc reste cependant très limitée. Karain en est le seul
exemple d’une séquence aussi longue ayant produit un matériel archéologique
aussi dense.
Après avoir grimpé les 475 marches qui facilitent
aujourd’hui la montée jusqu’à la grotte, on peut voir à l’entrée la berne
témoignant des fouilles, toujours en cours.
Ce n’est pas tant la profondeur qui donne le vertige mais
la plongée temporelle d’un demi-million d’années! Quelques mètres de
remplissage sédimentaire nous séparent seulement du sol foulé par des hominidés
d’espèces disparues (Homo erectus, Néandertaliens) et des Homo sapiens, nos
ancêtres directs. En pénétrant dans la grotte composée de plusieurs cavités
reliées entre elles par d’étroits passages, on découvre un décor qui leur était
familier.
Un peu trop éclairé ? On consentira à cette mise en
scène lumineuse pour ce lieu si particulier d’autant plus que les concrétions
calcaires sont les seuls éléments concrets de la visite.
Pour le reste, il faut faire appel à une documentation spécialisée sur le paléolithique dont je me garderai bien de tenter la résumer tant elle est foisonnante et
sujette à de multiples interprétations selon les auteurs.
Pour ceux qui voudraient en savoir un peu plus sur Karain, voici
deux liens concernant une exposition proposée par l’Institut de paléontologie
humaine à Paris et la Faculté des Lettres de l’Université d’Ankara en Turquie
en novembre 2008 :
Brochure de l’exposition : Les premiers peuplements de la
Turquie (2008)
Auteurs : A. Vialet et I. Yalçinkaya, 50 p.
Amélie Vialet est Maître de conférences en paléoanthropologie
au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris et chef des fouilles à la
Caune de l'Arago, près du village de Tautavel, dans les Pyrénées-Orientales.
Elle a donné le 9 octobre 2015 une conférence publique dans le cadre de la
Fête de la Science, dans l'auditorium du Musée de Tautavel, ayant pour sujet la
découverte, près de Denizli, d’un crâne du paléolithique par le Pr. Mehmet Cihat Alçiçek en 2002:
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