Même quand on décide d’un parcours précis de promenade
dans Istanbul, l’imprévisible n’est jamais exclu. Parties de la station de
métro Haliç, en plein milieu du pont suspendu entre les deux rives de la Corne d’Or, l’objectif du
jour visait plutôt quelques vestiges architecturaux du quartier de Karaköy.
Nous en avons trouvé certains dont j’aurai plus tard l’occasion de vous parler
tandis que d’autres sont encore à découvrir.
Empruntant l’escalier Camondo pour faire une pause au
pied de la tour de Galata, nous avons ensuite continué de remonter la pente en
direction de Beyoğlu et l’avenue Istiklal.
L’avenue Galip Dede, bordée de
boutiques rutilantes semble avoir entrepris de concurrencer le grand bazar pour
attirer les touristes, au détriment des magasins traditionnels d’instruments de
musique qui étaient sa spécialité il y a encore quelques années. De rares
rescapés ont modifié leurs prix en même temps que leur vitrine. Sur ces
constatations, une grille ouverte sur un petit passage pavé d’une autre époque
a capté notre regard. A l’entrée, une plaque annonçait une fondation artistique
et un nom, Habib Gerez, pas vraiment inconnu.
Nous engageant par curiosité, un couple nous a emboîté le
pas, puis sans hésitation a sonné à la porte au fond à gauche dans l’impasse aménagée
en jardinet urbain avec tables et chaises adéquates. Nous allions par discrétion
rebrousser chemin quand un vieux monsieur a ouvert la porte et invité toutes
les personnes présentes à entrer.
Habib Gerez nous faisait l’honneur de sa demeure sans
autre formalité et nous pressait d’aller s’installer dans les fauteuils de son
salon. Satisfait, il entreprit de nous faire le récit résumé d’une vie bien
remplie, tandis que nos regards ébahis se portaient sur les vitrines où
s’alignent les couvertures de ses publications, les récompenses accumulées tant
pour sa production de peintures que pour ses talentueux écrits, et les albums
uniformément reliés contenant photos et articles de presse le concernant.
Sur
les murs quelques tableaux, un peu partout des souvenirs de ses nombreux
voyages dont les imposantes sculptures en teck extrême-orientales qu’il semble
plus particulièrement affectionner.
Toute une vie classée, rangée, exposée entre les murs de
cette ancienne maison grecque qu’il occupe depuis 35 ans, située à 200m de la
synagogue Neva Shalom. Il ne restait plus qu’à ouvrir la porte de ces lieux
étonnants aux visiteurs. C’est chose faite depuis peu d’années et il déclare
d’un ton détaché n’être plus qu’un occupant usufruitier. Il a légué ce bien
immobilier et ce qu’il contient à sa fondation pour 500 ans.
Né le 14 juin 1926 à Ortaköy, sur la rive européenne du
Bosphore, juriste de formation, amoureux de la poésie depuis son enfance,
lui-même auteur de 11 recueils et autres écrits, il a commencé dans les années
60 à suivre librement les cours des Beaux Arts. Depuis il a peint dix mille
tableaux dont quatre mille sont entreposés au sous sol.
Différents styles ont jalonné sa production. Il a
commencé par une variante du papier marbré (ebru) avec de la peinture diluée,
puis une période réaliste a suivi, remplacée par une période abstraite aussitôt
enrichie d’éléments concrets pour une création de « paysages
humains ». Il conserve la trace
écrite de toutes les oeuvres vendues ou offertes et dont quelques unes se
trouvent dans les musées turcs, mais aussi en Belgique, en France, en Israël et
aux USA. Il a réalisé cent trente expositions personnelles dont une trentaine à
l’étranger.
Avant de grimper allégrement les escaliers pour la suite
de la visite, il prend la pose devant ses médailles et trophées enrubannés avec
un sourire malicieux.
La vaste pièce du premier étage est à la fois bureau, entrepôt,
atelier et salle d’exposition.
Tandis que l’on caresse Boncuk, la chatte affectueuse lovée
sur les coussins moelleux du fauteuil dans l’espace de la fenêtre en saillie
sur la rue, Habib Gerez s’est emparé d’un micro et a branché la sono pour nous
réciter un poème de sa composition « Yaşamın
ardından » (Au-delà de la vie).
Il nous reste à explorer timidement les lieux. Des toiles
tapissent les murs ou sont classées sur des étagères, les pots de couleurs bien
alignés, les pinceaux, les carnets prêts à être utilisés. Quelle fée du logis règne
sur cet univers ?
Tandis qu’on se consulte d’un regard pour évaluer
l’opportunité de proposer à notre respectable guide de nous acquitter d’un modeste
droit pour s’être introduit dans sa maison musée, c’est lui qui nous remercie
d’une chaleureuse poignée de main et nous offre quelques exemplaires de son
calendrier, en nous congédiant gentiment.
Il est 14h, le moment pour lui d’aller déjeuner au
restaurant d’en face comme chaque jour et d’y rencontrer peut être des amis jusqu'à 16h,
puis de flâner dans les rues alentours puisque le temps le permet.
Minutieux archiviste de sa propre vie, il a choisi l’art
comme ligne de conduite et répète à qui veut l’entendre sa devise: « Sanatın
kulu kölesiyim, böyle bir kölelik dostlar başına » Je suis l'esclave le
plus servile de l'art, esclavage que je souhaite à mes amis de connaître.
De la 18e génération de Juifs arabes ayant fui
l’inquisition espagnole pour se mettre sous la protection du sultan ottoman, il
se revendique artiste turc et aspire à l’égalité et la fraternité entre tous
les peuples.
Nous venons de faire la connaissance d’un personnage
sympathique et attachant dont le narcissisme généreux est l’une des multiples
facettes. Il s’enorgueillit de parler six langues dont le français et d’avoir
commencé l’étude du russe.
Il aura 90 ans en juin prochain et nous invite à venir
fêter son anniversaire qui parait-il est un événement incontournable du
quartier. Ne pas oublier d’apporter un gâteau à partager…
Adresse: Galip Dede
cad. No.68 Galata, Beyoğlu, Istanbul
AVEC MES MEİLLEURS VOEUX ET AMİTİEES.
RépondreSupprimerTres interessant M. Habib Gerez, artiste, peintre, poete, ecrivain, ce jeune d'esprit presque nonagenaire n'a pas perdu son temps. Il fait honneur au judaisme Turc. Mes souhaits pour une vie longue et productive.
RépondreSupprimerSelim Amado
Habib Gerez, le poète, l'écrivain et peintre prolifique à la personnalité attachante, s'est éteint à 97 ans le 25 mai 2022 à Istanbul. Après une vie si bien remplie, qu'il repose en paix.
RépondreSupprimerGreat bllog you have
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