Pour peu qu’on me parle de flâneries dans les rues
parisiennes me vient à l’esprit la butte Montmartre. Pas celle du Sacré Cœur ni
de la place du Tertre un peu trop fréquentée à mon gout, mais tous ses recoins
plus secrets, portant les traces de ses anciens habitants, paysans, meuniers,
artisans, puis artistes peintres, sculpteurs, écrivains, acteurs, chanteurs
d’hier et d’aujourd’hui. Car ils sont nombreux à s’être laissé séduire.
Pour s’imprégner des lieux, le musée de Montmartre, installé
dans la plus ancienne maison de la butte est une bonne introduction. Je l’avais
visité en automne 2014, peu après sa restructuration.
Commençons cette fois la promenade place des abbesses et
un petit crochet par le square Jehan Rictus, avec une brève concession à ce que
je viens d’énoncer, car l’endroit est très prisé des touristes.
Une banale façade
aveugle porte depuis 17 ans l’œuvre imaginée par Frédéric Baron, calligraphiée
par Claire Kito et réalisée par Daniel Boulogne. « Le mur des je t’aime »,
grand panneau composé de carreaux de lave émaillée, reproduit les écritures
manuscrites recueillies sur feuilles de papier pendant plusieurs années dans
toutes les langues du monde. Les éclats rouge vif, éparpillés entre les
déclarations calligraphiées en blanc sur le fond bleu marine, sont les morceaux
d’un cœur en attente de reconstitution, symbolique message d’espoir d’amour et
de paix.
Surmontant le tableau des « je t’aime »,
plusieurs versions du graffiti collage femme fatale signé Rue Meurt d'Art, se sont succédées au fil des ans mais le message
contenu dans la bulle reste le même « aimer c’est du désordre… alors
aimons ! ». Pourquoi pas, mais je ne vois pas bien le rapport avec la
femme fatale !
A moins que ce ne soit un clin d’œil, à Dutilleul, alias
Garou-Garou, héros au destin tragique de la nouvelle de Marcel Aymé « Le Passe-muraille » (Gallimard, 1943) qui après avoir abondamment usé de
l’exceptionnelle faculté de traverser les murs pour se venger du harcèlement de
son chef, puis pour commettre de nombreux larcins et narguer ses gardiens de
prison en s’évadant autant de fois que nécessaire, se retrouve coincé dans la
muraille après quelques nuits d’amour auprès d’une belle, épouse délaissée d’un
mari jaloux. Il va s’en dire que l’auteur a situé cette rocambolesque histoire
dans les rues de Montmartre où il a passé une bonne partie de sa vie. Devant sa
maison, rue Norvins, Dutilleul est figé dans le mur depuis 1989.
C’est à Jean
Marais, acteur et sculpteur, que l’on doit ce malicieux hommage à
l’écrivain.
Vestiges des nombreux moulins érigés depuis le 16e
siècle sur la ligne de crête de la Butte Montmartre, ils ne sont plus que deux
à déployer leurs ailes. Le moulin Blute-fin, seulement visible de loin car
enclos dans une propriété privée, et son ancien voisin le moulin Radet, déplacé
un peu plus haut à l'angle des rues Girardon et Lepic, rebaptisé moulin de la
galette en 1934 pour servir de guinguette les dimanches et jours fériés et
aujourd’hui un restaurant. Mais il y a longtemps qu’on n’y mange plus de
galette avec un verre de lait.
C’est pourtant de cette tradition que l’endroit,
constitué de l’ensemble des moulins et fermes attenantes, avant le déplacement
de l’un d’eux, doit son nom, le Moulin de la Galette, qui attirait les
parisiens avec son bal populaire et dont Renoir immortalisera l’ambiance festive sur
l’une de ses toiles en 1876.
Au détour de nos pérégrinations, nous voila devant la
petite maison rose, 2 rue de l’abreuvoir, gargote modeste où se retrouvaient
les artistes, immortalisée par Maurice Utrillo.
En descendant la rue, une autre
maison rose et sa guirlande de glycines et un cadran solaire rescapé d’autrefois.
A l’angle des rues Girardon et de l’Abreuvoir, sur la
place Dalida commence l’allée des Brouillards et sa folie jouant à cache-cache derrière les floraisons d'un buisson de spirée et d'un lilas. Elle fut construite en 1772 à l’emplacement d’un autre moulin (le moulin à vin
du 17e siècle).
Au milieu du 19e siècle, la bâtisse qui a
fasciné Gérard de Nerval tombe en ruines. Dans les cabanes en bois et bicoques en
tôle qui l’entourent, séjourne une foule de marginaux et d’artistes dont
Modigliani et Brancusi, constituant le célèbre maquis.
Le château des brouillards comme on le nomme encore, doit
son nom à l’atmosphère brumeuse qui se dégageait autrefois de sources d’eau
chaude affleurant en ces lieux. Il échappera de peu à la destruction et sera restauré
au début du 20e siècle.
Quant au maquis, il a été rasé pour percer, entre 1910 et
1912, l’avenue Junot que nous redescendons maintenant jusqu'à une impasse
étonnante, née elle aussi de ces transformations urbaines. Un petit air
provincial, anglo-normand se dégage de cette voie pavée et des bâtisses à deux ou
trois étages qui la bordent.
Un rêve de campagne en plein Paris, comme il y en a d’autres…
Tout au fond, surmontant l’auvent de la porte d’entrée d’une
maison de brique rose aux volets vert, un chat en céramique a trouvé un refuge précaire.
Ne
serait-ce pas celui de la mère Michel qui, comme le dit la cruelle comptine, l’aurait
perdu ? Ou bien l’un de ceux de Louise Michel échappé du roman de Christian
Wacrenier « Les Chats de Louise Michel », Gallimard, 2014. L’auteur affirme d’ailleurs dans son blog que la mère Michel et Louise Michel ne sont qu’une et même personne et que
les paroles de la chanson ont été écrites pour se moquer d'elle. Je ne la
chanterai plus à mon petit fils ! Mais je ne manquerai pas la prochaine
fois de faire un tour dans le square Louise Michel, celui que l’on grimpe pour
atteindre la basilique et qui depuis 2004 porte le nom de la figure emblématique
de la Commune de Paris, de la défense du droits des femmes puis du mouvement
libertaire… et je viens de l’apprendre, affectueuse protectrice des chats. Ils
sont d’ailleurs nombreux à avoir colonisé les pentes à la végétation foisonnante.
Ils y ont trouvé le gîte. Le couvert et les caresses sont fournis par de
bienveillants habitués et promeneurs de passage. Tout comme à Istanbul... Au hasard d'une balade j'avais rencontré celui-là...
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