En français les mots "yaourt" ou
"yoghourt" font leur entrée officielle dans le Petit Larousse en
1925. L’orthographe "yogourt" sera acceptée plus tardivement. Selon la
législation européenne ils définissent un lait fermenté exclusivement avec ces
deux bactéries : Lactobacillus bulgaricus et Streptococcus thermophilus.
C'est au début du 20e siècle, que le prix
Nobel scientifique, Ilya Metchnikoff, mit en évidence les propriétés bénéfiques
pour la santé de l'acide lactique produit par les bactéries du yaourt.
Considéré comme un reconstituant pour les malades, il ne fut
vendu dans un premier temps que dans les pharmacies. Un petit négoce à l’enseigne
Danone, diminutif de Daniel, fut ouvert à Barcelone en 1919 par Isaac Carasso,
né à Salonique en 1874 et émigré en Espagne en 1913. Son fils Daniel Carasso,
développa en 1929 une filiale parisienne dans le 18e arrondissement,
avant de partir aux États-Unis en 1941 et y fonder la société Dannon.
Ce n'est qu'en 1950 que le yaourt fit en France sa timide
apparition dans les rayons des épiciers. Pour atténuer son goût aigrelet qui ne
séduisait guère les papilles occidentales, on le consommait en dessert en y
ajoutant quantité de sucre ou de miel. Les fabricants eurent alors l'idée de
proposer des yaourts sucrés, puis aromatisés à la vanille, au chocolat, au
caramel, au café et aux arômes artificiels de fruits. C'était l'époque des pots
en carton paraffinés vendus à l'unité. Le yaourt finit par séduire tous les
palais et la véritable production industrielle put prendre l'essor que l'on sait.
On le présenta en pots de plastique par quatre, par huit ou plus, fruité, allégé,
mixé, brassé, velouté, crémeux, liquide. Les puristes le choisirent au lait
entier en pots de verre ou de céramique. Mais pendant encore de longues années,
le "nature" fut barbouillé de confiture, hérissé de corn flakes,
d'amandes effilées, et ne resta en Occident qu'un dessert et au mieux un ingrédient
de petit déjeuner. Dans mon enfance parisienne, je me souviens d’une exception :
mon père qui détestait les sucreries, le dégustait
occasionnellement en fin de repas en y
ajoutant une pincée de sel, au grand étonnement de tous.
La recherche en diététique se chargea ensuite de nous
faire redécouvrir toutes ses vertus qu'on avait fini par oublier sous
l'avalanche d'additifs qui masquaient son goût acidulé. La consommation de
yaourt améliore la flore intestinale et préviendrait même le stress. Les
ferments qu’il contient auraient également des propriétés anti-cancérigènes.
Aujourd’hui, les recettes de cuisine du monde, sucrées ou
salées, nous ont familiarisé avec l'utilisation du yaourt grec ou bulgare à
toutes les sauces.
Pourtant le mot est incontestablement d’origine turque et
sa mention écrite en caractères arabes, équivalent à l’écriture actuelle yoğurt, apparaît pour la première fois
en 1071 dans le dictionnaire de Mahmoud al Kachgari, linguiste ouïgour d’une
tribu turque d’Asie Centrale.
Le yaourt/yoğurt suivit la progression des Turcs Seldjoukides en Anatolie, et plus tard celle des Ottomans jusque dans les
Balkans.
Le yaourt fit une brève apparition à la cour de
France en 1542 quand le roi François Ier, souffrant des intestins, apprit l'existence d'un remède à ses maux : un lait de brebis fermenté dont on vantait
les bienfaits à la cour du sultan Soliman le Magnifique, son allié
diplomatique. Mais une fois sa majesté soulagée, le secret de fabrication repartit
d’où il était venu et l’Occident dut attendre encore presque quatre siècles
pour en redécouvrir d’abord les vertus puis la saveur. Pendant ce temps, on le consommait
sur un vaste territoire et différents peuples élaboraient des légendes à son
sujet dont voici la version locale :
Une affiche publicitaire vue dans les rues d’Istanbul en 2006… l’allusion
ottomane n’a pas du séduire la clientèle ! La marque n’existe plus aujourd’hui,
à ma connaissance.
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Il y a très longtemps, quelque part en Anatolie, au matin
du 1er jour de printemps (Hıdrellez,
fête préislamique célébrée le 6 mai), une jeune fille cueillit quelques gouttes
de rosée dans ses mains. A cet instant, une voix lui dit de la verser dans l’outre
contenant le lait tiède de la brebis qu'elle venait de traire. Elle constata quelques heures plus tard que la texture avait changé. Ainsi fut fabriqué le
premier yaourt. Et cette légende rejoint les dernières constatations des
archéologues qui affirment que la technique de ce lait caillé était connue des
populations néolithiques du Proche-Orient, il y a 10 000 ans.
Ceux qui vivent en Turquie, savent que le yaourt est ici un
ingrédient incontournable de la gastronomie. En voici un petit inventaire :
Il accompagne l'iskender kebab, plat de viande d'Alexandre, sur un lit de pide et arrosé de sauce tomate, les mantı sorte de tortellini, les etli dolma légumes farcis à la viande servis chaud, certains légumes, en
particulier les épinards, les fèves, les courgettes et aubergines frites et
même le riz et les pâtes.
On le retrouve en sauce aillée sur la salade de pourpier,
les œufs durs et aussi sur les carottes cuites froides, servies en meze.
Il devient rafraîchissant l'été en cacık (dilué et salé, mélangé avec des concombres hachés finement au
couteau).
Il est utilisé égoutté (süzme yoğurt) avec de l'aneth émincé pour confectionner un autre meze (haydari), ou dilué pour en faire une
boisson que vous ne pouvez ignorer : l'ayran
Il est l'ingrédient principal d'une soupe, yayla çorbası, servie avec de la menthe
séchée.
Malaxé avec une purée de tomates, oignons, piments et
incorporé à de la farine, il forme une pâte qui sera desséchée après
fermentation pour constituer la base de l'ancêtre de toutes les soupes
déshydratées, le tarhana.
Il entre aussi dans la liste des ingrédients de
pâtisseries sucrées ou salées (poğaça,
yoğurt tatlısı…)
Rien d’étonnant donc à ce qu’il soit vendu dans toutes les
petites et grandes surfaces en pots de 500g, 1kg et plus, et que les conditionnements
individuels soient davantage réservés aux yaourts aux fruits, arrivés dans les rayons seulement depuis
une vingtaine d’années suite à l’occidentalisation et l'uniformisation de la
consommation. Pour la petite histoire, le groupe Danone s'est implanté en Turquie en 1997. Daniel Carasso, né en 1905 comme son père à Salonique est décédé en mai 2009 à Neuilly-sur-Seine.
Mais sur les tables familiales et dans les restaurants le yaourt
nature, fabriqué par de nombreuses marques, trône en bonne place et continue d’accompagner les plats salés.
Pour ma part je le préfère nettement à celui que l’on trouve en France, pour
son goût moins acide et sa consistance plus onctueuse.
Jusque dans les années 80, il était le plus souvent
« fait maison » et sans yaourtière. En ville, sa fabrication artisanale faisait l'objet
d'un véritable sacerdoce. A Istanbul, pas un quartier sans son “yoğurtcu” qui
vendait sa production de la nuit, son chargement en équilibre sur une épaule,
pendant que sa femme assurait la distribution dans une boutique minuscule où
elle proposait également les yufka
(grandes galettes pour börek) qu'elle
confectionnait devant les clients. On ne trouvait alors que du yaourt avec une
fine couche de crème qui formait un opercule naturel. Il n'était pas
garanti pur lait de vache. Dans sa composition il pouvait entrer suivant la
saison et en quantité variable du lait de brebis ou de bufflonne. Le kaymaksız yoğurt (yaourt sans crème) n’est
apparu qu’avec l’industrialisation de la production.
Certains quartiers étaient réputés pour leur yoğurt particulièrement savoureux. Kanlıca,
sur la rive asiatique du Bosphore, fut le dernier à maintenir la tradition et
offrir une pause nostalgique de dégustation aux terrasses des petits cafés près
de l’embarcadère.
Texte revu et
modifié d’un de mes articles publié en 2004 dans la brochure de l’association
Istanbul Accueil et par le site mymerhaba
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