Température clémente et ciel
nuageux en cette matinée de la mi-juin. Idéal pour la réalisation des
randonnées prévues, un peu moins bien pour la prise des photos… Voici la suite
de notre périple. (Pour le début c'est ici)
A 4 km d’Avanos en direction de
Zelve se dressent un bel ensemble de cheminée de fées au lieu-dit Paşabağ (les
vignes du Pacha), constituant un véritable laboratoire géologique. Les éléments
y accomplissent leur lent travail d’érosion. Beaucoup de ces colonnes dressées
et coiffées d’un bonnet pointu sont au mieux de leur forme, certaines sont en
voie de disparition, d’autres sont en formation. Elles furent parfois le refuge solitaire
d’ermites. Lieu propice, on en conviendra, à la contemplation et la méditation !
C’est déjà l’occasion d’une
belle balade dans les sentiers aménagés… mais il faut faire des choix car les
itinéraires pour les marcheurs ne manquent pas !
Et nous avons décidé de revoir
le village troglodyte de Zelve, musée à ciel ouvert depuis 1967.
Centre
important du christianisme entre le 9e et 13e siècle,
Zelve fut occupé probablement dès le 4e siècle par des communautés
villageoises de culture grecque, auxquelles vinrent s’ajouter des Turcs pendant
les périodes seldjoukide et ottomane et ce jusqu’aux échanges de population qui
suivirent l’avènement de la république. Puis dans les années 1950 les derniers
occupants furent évacués en raison des risques d’éboulements.
Les trois vallées fertiles
dont deux reliées par un tunnel d’environ 30 m actuellement non accessible, sont bordées
de cônes creusés par les hommes et dont l’érosion dévoile aujourd’hui l’intérieur
autrefois caché de cette gigantesque meule de gruyère, laissant imaginer l’organisation
de la communauté, l’activité laborieuse et spirituelle de ses habitants.
Des habitations, mais aussi
des greniers et moulins pour les céréales, des caves pour la fabrication et la
conservation du vin, des chapelles, des églises, un monastère, des pigeonniers
et même une mosquée qui signale son entrée par un minaret à colonnettes.
Un autre village troglodyte a
nos faveurs, celui de Çavuşin avec sa falaise ajourée, ses petites maisons
cubiques se fondant dans le paysage.
L’érosion continue impitoyablement son
œuvre destructrice. Malgré l’effondrement de sa façade on peut encore visiter
les vestiges de la basilique Saint-Jean-Baptiste creusée en hauteur au 5 ou 6e
siècle qui recelait probablement une relique du Saint et attirait les pèlerins.
On y accède facilement à pied par la petite route pavée qui a aussi le mérite
de serpenter dans l’ancien village grec quasi-abandonné malgré quelques
tentatives de restaurations.
Depuis la basilique on découvre un beau point de
vue sur les alentours et en particulier la vallée rouge (kızılvadi) accessible depuis Çavuşin mais que l’on arpentera demain
matin.
Depuis Göreme, une autre
vallée se faufile jusqu’au pied du rocher d’Uçhisar. C’est la vallée des
pigeonniers (güvercinlik vadisi) avec
ses milliers de volatiles qui ont envahi les nichoirs creusés, et parfois
décorés, par les hommes au 19e siècle afin de récupérer leurs fientes
et l’utiliser comme engrais naturel. Encore une belle randonnée d’environ 4 km dans un paysage
époustouflant de contrastes et fantaisies.
Ici les superbes meringues roses de la vallée de
Zemi toute proche dont l’harmonie des couleurs s’allie à la douceur des formes.
Un peu plus loin d’autres
couleurs…
Le piton rocheux d’Uçhisar est
une autre curiosité que l’on voit de très loin. Il est possible de grimper
jusqu’au sommet d’où l’on découvre toute la région. Poste d’observation idéal,
il n’a pas manqué de retenir l’intérêt des Hittites (tout comme celui
d’Afyonkarahisar). Il a été creusé sur une vingtaine de niveaux au fil des
siècles et servit même de base à une garnison romaine. Nous nous contenterons cette
fois de boire un thé en regardant son flanc percé de cavités où les villageois
vivaient autrefois avant de construire de petites maisons semi troglodytes en
contrebas.
Depuis l’entrée du village
actuel d’Uçhisar, on peut accéder aussi à la vallée de l’amour ou vallée
blanche (Akvadi) dont l’autre extrémité se trouve près de Çavuşin. Une façon de
revenir presque au point de départ de la vallée des pigeonniers.
Nous décidons de partir un peu
plus loin, 14 km
au nord d’Avanos, pour visiter Özkonak.
Moins fréquentée que Derinkuyu
et Kaymaklı, elle est la troisième grande ville souterraine sur les deux cents
recensées en Cappadoce. De nombreuses questions se posent sur les constructeurs
de ces cités évoquant des terriers labyrinthiques et sur leurs motivations. On
avance l’hypothèse qu’elles auraient été creusées par les Hittites au 13e
siècle av. JC, pour se protéger d’éventuels envahisseurs. Mais peut être vers
le 8e siècle av. JC par les Phrygiens qui, on l’a vu au cours d’un
autre périple, étaient passé maître dans l’art de creuser et sculpter la roche
(nécropoles et sanctuaires rupestres, habitations troglodytes à voir ici et là).
D’autres pensent qu’elles sont bien antérieures et qu’elles seraient l’œuvre
des hommes du néolithique cherchant à se protéger d’un épisode climatique de
refroidissement.
Quoi qu’il en soit, les
populations cappadociennes très tôt converties à la religion chrétienne, se
groupent en communautés. Elles occupent et aménagent les villes souterraines
entre le 4e et le 10e siècle, s’y retranchant sur de
longues périodes en particulier pour se protéger à partir du 7e
siècle des incursions des Omeyyades et des Abbassides. On les a redécouvertes
par hasard, celle de Derinkuyu en 1963 et celle de Kaymaklı en 1964. Située à
environ 9km l’une de l’autre, elles seraient reliées par un tunnel. Une autre à
Nevşehir vient de sortir de l’oubli en 2013. Etude archéologique des lieux et
travaux de déblaiement ont commencé l’année dernière.
Celle d’Özkonak, découverte en
1972, aurait une profondeur de 40m. Elle fut ouverte au public après de rapides
aménagements. Les guichets sont actuellement en rénovation et l’accès manque de
visibilité. Il semblerait que l’on s’apprête
à y remédier. Mais pour le moment nous sommes les seuls visiteurs. Un homme à
chapeau nous signale avec insistance un monastère à voir absolument à environ 2 km d’ici. D’accord… on ira.
En ce qui concerne
l’agencement, il est comparable à celui des villes souterraines citées plus
haut. Cheminées d’aération, puits profonds pour l’alimentation en eau potable, vastes
silos pour les réserves, cuisines, réfectoires et dortoirs, chapelle,
pressoirs, étables, longs corridors étroits et pentus pour circuler entre les
différents niveaux. Il y en aurait dix, on n’en visite ici que trois.
D’après les spécialistes, les
énormes meules destinées à bloquer les accès en cas de menace extérieure
auraient été fabriquées sur place contrairement à celles de Derinkuyu et Kaymaklı.
A la sortie, l’homme au
chapeau n’est plus là. Nous le retrouvons sur le site qu’il nous a indiqué, le monastère
troglodyte de Belha. Une affligeante construction en pierre défigure ce qui
devait être un portique à trois arcades creusé dans la roche. Son gardien
bénévole entreprend de nous en faire une visite guidée.
La disgracieuse consolidation
aurait été illégalement entreprise dans les années 90 dans un but indéterminé… Il
nous affirme qu’il a lui-même désensablé quelques salles et qu’il consacre tout
son temps à des recherches de documentation sur l’histoire du lieu. Il n’a pas
du en trouver beaucoup car ce qu’il nous raconte me semble très fantaisiste. Derrière
les arcades, un haut couloir voûté s’ouvre sur une grande salle qui pourrait être
un réfectoire. Sur la droite se trouve l’église. La nef très haute est bordée
de piliers carrés.
Quand il nous invite à le
suivre dans un étroit couloir menant à une petite salle voûtée au plafond bas,
je ne suis plus vraiment rassurée. Quand il nous explique que cette salle
servait de prison et braque sa lampe sur les anneaux creusés dans la roche pour
attacher les prisonniers, la panique n’est pas loin… Elle monte d’un cran en
entendant un autre détail… juste à côté des anneaux des traces de doigts ayant
creusé la pierre témoigneraient d’une longue et pénible détention.
Un rien sadique le guide. Nous n’avons plus très envie d’en entendre plus… Pourtant il
en rajoute en nous présentant une cavité dans le sol comme des oubliettes…
Sortis sains et saufs, on décline
l’offre du verre de thé avec autant de diplomatie que possible, mais Serkan (il
nous a donné sa carte de visite) ne semble pas renoncer à obtenir un bakchich
conséquent pour sa prestation. Pour nous amadouer il nous fait un cadeau :
une petite poupée typique de la région comme en confectionnent les villageoises
pour les vendre aux touristes.
L’imposant complexe monastique
daterait du 6e siècle. Nicole Thierry, spécialiste de l’art
religieux en Cappadoce, lui a consacré un article dans le magazine Dossiers
d'Archéologie n° 121 / novembre 1987.
A ma connaissance, c’est le meilleur moyen d’en savoir
un peu plus, mais je n’ai pas encore eu la possibilité de le lire.
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