Sur la route de Milas, un petit tertre boisé pavoisé de foulards attire le regard des voyageurs attentifs. La curiosité nous fait découvrir un étrange cimetière de deux tombes entourées d’un muret d’environ un mètre de haut et blanchi à la chaux. Sur l’une d’elle, recouverte d’un tissu vert maintenu par des pierres, une stèle indique deux noms et des dates relativement récentes. L’autre semble anonyme mais décorée également de foulards plus ou moins décolorés par le soleil ou la pluie. Visiblement ces défunts ne sont pas oubliés.
La couleur rouge dominante fait évidemment penser à des sépultures alévies et c’est l’occasion d’évoquer cette minorité qui rassemble, suivant les estimations, de 10 à 25% de la population turque.
Les Alevis sont une communauté socioreligieuse, appelée aussi "têtes rouges". Leur doctrine et règle de vie reposent sur des principes d’égalité, de respect et de pluralisme, à l’opposé de tout intégrisme. Elle est apparue au début de l’Islam en Anatolie, associant des éléments d’autres religions. Elle a évolué vers un mode de pensée empreint de tolérance et d’humanisme et ses croyances s’apparentent à ce que certains qualifient de soufisme populaire. Elle représente un frein à l’hégémonie de l’Islam sunnite, religion officielle en Turquie.
Considérée autrefois comme hérétique, méfiance et préjugés sont encore trop souvent d’actualité. Persécutés par le pouvoir ottoman, ayant repris espoir avec l’avènement de la République et partisans convaincus de la laïcité, vivant depuis longtemps l’alévisme dans la clandestinité, victimes d’extrémistes il n’y a pas si longtemps, les alévis multiplient actuellement les démarches pour se faire reconnaître officiellement par l’État turc.
Il est indéniable que leur apport culturel a marqué profondément la musique, la littérature et la poésie turque. Pour n’en citer qu’un : Yunus Emre dont l’histoire, racontée par Jacques Lacarrière dans « La poussière du monde » est parue en édition de poche chez Points en 1998.
Pourquoi des foulards sur les tombes ? Peut-être parce que les femmes alévies n’ont aucunement l’obligation d’en porter.
Pour en savoir plus, consulter ces articles en ligne :
- Patrice van Eersel et Jean-Pierre Moreau, Alevis, des musulmans mystiques et futuristes... :
- Yücel Hakan, Le mouvement alévi. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], Actes du colloque Nantes-Galatasaray, 8 juin 2010. ISSN 1308-8378.
Ou lire:
- Irène Mélikoff, Sur les traces du soufisme turc, recherches sur l’Islam populaire en Anatolie, éd. Isis, Istanbul (1992).
- Faruk Bilici, Alevisme et Bektachisme : alliés naturels de la laïcité en Turquie ?, Islam et laïcité, approches globales et régionales, Paris, l'Harmattan, 1996, pp. 281-298.
Bonsoir,
RépondreSupprimerJ'en apprend encore, interressant, merci
Voilà une découverte bien intéressante en effet...
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