mardi 14 juillet 2015

Périple en Cappadoce – Zelve, Çavuşin, Uçhisar, Özkonak

Température clémente et ciel nuageux en cette matinée de la mi-juin. Idéal pour la réalisation des randonnées prévues, un peu moins bien pour la prise des photos… Voici la suite de notre périple. (Pour le début c'est ici)
A 4 km d’Avanos en direction de Zelve se dressent un bel ensemble de cheminée de fées au lieu-dit Paşabağ (les vignes du Pacha), constituant un véritable laboratoire géologique. Les éléments y accomplissent leur lent travail d’érosion. Beaucoup de ces colonnes dressées et coiffées d’un bonnet pointu sont au mieux de leur forme, certaines sont en voie de disparition, d’autres sont en formation. Elles furent parfois le refuge solitaire d’ermites. Lieu propice, on en conviendra, à la contemplation et la méditation !




C’est déjà l’occasion d’une belle balade dans les sentiers aménagés… mais il faut faire des choix car les itinéraires pour les marcheurs ne manquent pas !
Et nous avons décidé de revoir le village troglodyte de Zelve, musée à ciel ouvert depuis 1967. 


Centre important du christianisme entre le 9e et 13e siècle, Zelve fut occupé probablement dès le 4e siècle par des communautés villageoises de culture grecque, auxquelles vinrent s’ajouter des Turcs pendant les périodes seldjoukide et ottomane et ce jusqu’aux échanges de population qui suivirent l’avènement de la république. Puis dans les années 1950 les derniers occupants furent évacués en raison des risques d’éboulements.
Les trois vallées fertiles dont deux reliées par un tunnel d’environ 30 m actuellement non accessible, sont bordées de cônes creusés par les hommes et dont l’érosion dévoile aujourd’hui l’intérieur autrefois caché de cette gigantesque meule de gruyère, laissant imaginer l’organisation de la communauté, l’activité laborieuse et spirituelle de ses habitants.








Des habitations, mais aussi des greniers et moulins pour les céréales, des caves pour la fabrication et la conservation du vin, des chapelles, des églises, un monastère, des pigeonniers et même une mosquée qui signale son entrée par un minaret à colonnettes.









Un autre village troglodyte a nos faveurs, celui de Çavuşin avec sa falaise ajourée, ses petites maisons cubiques se fondant dans le paysage. 


L’érosion continue impitoyablement son œuvre destructrice. Malgré l’effondrement de sa façade on peut encore visiter les vestiges de la basilique Saint-Jean-Baptiste creusée en hauteur au 5 ou 6e siècle qui recelait probablement une relique du Saint et attirait les pèlerins. 




On y accède facilement à pied par la petite route pavée qui a aussi le mérite de serpenter dans l’ancien village grec quasi-abandonné malgré quelques tentatives de restaurations. 





Depuis la basilique on découvre un beau point de vue sur les alentours et en particulier la vallée rouge (kızılvadi) accessible depuis Çavuşin mais que l’on arpentera demain matin.


Depuis Göreme, une autre vallée se faufile jusqu’au pied du rocher d’Uçhisar. C’est la vallée des pigeonniers (güvercinlik vadisi) avec ses milliers de volatiles qui ont envahi les nichoirs creusés, et parfois décorés, par les hommes au 19e siècle afin de récupérer leurs fientes et l’utiliser comme engrais naturel. Encore une belle randonnée d’environ 4 km dans un paysage époustouflant de contrastes et fantaisies. 




Ici les superbes meringues roses de la vallée de Zemi toute proche dont l’harmonie des couleurs s’allie à la douceur des formes.



Un peu plus loin d’autres couleurs…



Le piton rocheux d’Uçhisar est une autre curiosité que l’on voit de très loin. Il est possible de grimper jusqu’au sommet d’où l’on découvre toute la région. Poste d’observation idéal, il n’a pas manqué de retenir l’intérêt des Hittites (tout comme celui d’Afyonkarahisar). Il a été creusé sur une vingtaine de niveaux au fil des siècles et servit même de base à une garnison romaine. Nous nous contenterons cette fois de boire un thé en regardant son flanc percé de cavités où les villageois vivaient autrefois avant de construire de petites maisons semi troglodytes en contrebas.


Depuis l’entrée du village actuel d’Uçhisar, on peut accéder aussi à la vallée de l’amour ou vallée blanche (Akvadi) dont l’autre extrémité se trouve près de Çavuşin. Une façon de revenir presque au point de départ de la vallée des pigeonniers.
Nous décidons de partir un peu plus loin, 14 km au nord d’Avanos, pour visiter Özkonak.


Moins fréquentée que Derinkuyu et Kaymaklı, elle est la troisième grande ville souterraine sur les deux cents recensées en Cappadoce. De nombreuses questions se posent sur les constructeurs de ces cités évoquant des terriers labyrinthiques et sur leurs motivations. On avance l’hypothèse qu’elles auraient été creusées par les Hittites au 13e siècle av. JC, pour se protéger d’éventuels envahisseurs. Mais peut être vers le 8e siècle av. JC par les Phrygiens qui, on l’a vu au cours d’un autre périple, étaient passé maître dans l’art de creuser et sculpter la roche (nécropoles et sanctuaires rupestres, habitations troglodytes à voir ici et ). D’autres pensent qu’elles sont bien antérieures et qu’elles seraient l’œuvre des hommes du néolithique cherchant à se protéger d’un épisode climatique de refroidissement.
Quoi qu’il en soit, les populations cappadociennes très tôt converties à la religion chrétienne, se groupent en communautés. Elles occupent et aménagent les villes souterraines entre le 4e et le 10e siècle, s’y retranchant sur de longues périodes en particulier pour se protéger à partir du 7e siècle des incursions des Omeyyades et des Abbassides. On les a redécouvertes par hasard, celle de Derinkuyu en 1963 et celle de Kaymaklı en 1964. Située à environ 9km l’une de l’autre, elles seraient reliées par un tunnel. Une autre à Nevşehir vient de sortir de l’oubli en 2013. Etude archéologique des lieux et travaux de déblaiement ont commencé l’année dernière.
Celle d’Özkonak, découverte en 1972, aurait une profondeur de 40m. Elle fut ouverte au public après de rapides aménagements. Les guichets sont actuellement en rénovation et l’accès manque de visibilité. Il semblerait que l’on  s’apprête à y remédier. Mais pour le moment nous sommes les seuls visiteurs. Un homme à chapeau nous signale avec insistance un monastère à voir absolument à environ 2 km d’ici. D’accord… on ira.
En ce qui concerne l’agencement, il est comparable à celui des villes souterraines citées plus haut. Cheminées d’aération, puits profonds pour l’alimentation en eau potable, vastes silos pour les réserves, cuisines, réfectoires et dortoirs, chapelle, pressoirs, étables, longs corridors étroits et pentus pour circuler entre les différents niveaux. Il y en aurait dix, on n’en visite ici que trois.






D’après les spécialistes, les énormes meules destinées à bloquer les accès en cas de menace extérieure auraient été fabriquées sur place contrairement à celles de Derinkuyu et Kaymaklı.


A la sortie, l’homme au chapeau n’est plus là. Nous le retrouvons sur le site qu’il nous a indiqué, le monastère troglodyte de Belha. Une affligeante construction en pierre défigure ce qui devait être un portique à trois arcades creusé dans la roche. Son gardien bénévole entreprend de nous en faire une visite guidée. 



La disgracieuse consolidation aurait été illégalement entreprise dans les années 90 dans un but indéterminé… Il nous affirme qu’il a lui-même désensablé quelques salles et qu’il consacre tout son temps à des recherches de documentation sur l’histoire du lieu. Il n’a pas du en trouver beaucoup car ce qu’il nous raconte me semble très fantaisiste. Derrière les arcades, un haut couloir voûté s’ouvre sur une grande salle qui pourrait être un réfectoire. Sur la droite se trouve l’église. La nef très haute est bordée de piliers carrés.


Quand il nous invite à le suivre dans un étroit couloir menant à une petite salle voûtée au plafond bas, je ne suis plus vraiment rassurée. Quand il nous explique que cette salle servait de prison et braque sa lampe sur les anneaux creusés dans la roche pour attacher les prisonniers, la panique n’est pas loin… Elle monte d’un cran en entendant un autre détail… juste à côté des anneaux des traces de doigts ayant creusé la pierre témoigneraient d’une longue et pénible détention. 


Un rien sadique le guide. Nous n’avons plus très envie d’en entendre plus… Pourtant il en rajoute en nous présentant une cavité dans le sol comme des oubliettes…


Sortis sains et saufs, on décline l’offre du verre de thé avec autant de diplomatie que possible, mais Serkan (il nous a donné sa carte de visite) ne semble pas renoncer à obtenir un bakchich conséquent pour sa prestation. Pour nous amadouer il nous fait un cadeau : une petite poupée typique de la région comme en confectionnent les villageoises pour les vendre aux touristes.


L’imposant complexe monastique daterait du 6e siècle. Nicole Thierry, spécialiste de l’art religieux en Cappadoce, lui a consacré un article dans le magazine Dossiers d'Archéologie n° 121 / novembre 1987. A ma connaissance, c’est le meilleur moyen d’en savoir un peu plus, mais je n’ai pas encore eu la possibilité de le lire.

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